#04- AMOUR ET MORT
Scénariste(s) : Robert KIRKMAN
Dessinateur(s) : Charlie ADLARD
Éditions : Delcourt
Collection : X
Série : Walking dead
Année : 2005 Nb. pages : 144
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre
Genre(s) : Horreur, Récit psychologique
Appréciation : 4 / 6
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Peut-on rester fidèles à nos valeurs face à un abus d'atrocités??
Écrit le mardi 30 juillet 2013 par PG Luneau
Tomes lus : #04 – Amour et mort (2005 4/6)
#05 – Monstrueux (2007 5/6)
#06 – Vengeance (2007 5/6)
Et oui! Me voilà qui replonge dans cette série d’horreur psychologique… Qui aurait cru qu’un jour, je m’intéresserais à une histoire de zombies au point de tenir à y revenir??!! Mais c’est bien parce que c’est Walking dead… et que ce n’est pas une histoire de zombies… Enfin, pas vraiment!...
À la fin du tome #3, Rick et ses compagnons d’infortune étaient aux prises avec Dexter et Andrew, deux prisonniers qui tentaient de les expulser de la salutaire prison où ils avaient tous trouvé refuge. Heureusement pour eux (si l’on peut dire), une avancée des zombies de l’aile A crée la diversion nécessaire pour les «sauver»! Les conséquences funestes de cette attaque inattendue rétabliront les choses, notamment grâce à l’arrivée d’une mystérieuse jeune noire, Michonne, une experte au sabre qui errait en solitaire dans la région.
Alors qu’un semblant de quotidien s’organise, chacun tente de reprendre sa vie… mais en vase clos, sentiments, pulsions et envies sont exacerbés! La nouvelle venue chamboulera un peu les cartes de Cupidon… ou plutôt d’Éros!! Comme si les tensions des derniers mois n’étaient pas suffisantes, voilà qu’adultère et jalousie se mettent de la partie!! Ce jeu des tentations en poussera certains à d’autres extrêmes et créera des frictions troublantes au sein de la petite communauté! Mais ces bouleversements sentimentaux du tome #4 vous paraîtront bien futiles à la lecture des horreurs des deux tomes suivants!!
En effet, voilà que le passage d’un hélicoptère, et son crash, non loin de la prison, redonnent espoir au groupe : d’autres survivants existent peut-être, et une exploration du site de l’impact s’impose! Rick, Glenn et Michonne partent donc en reconnaissance et aboutiront à Woodbury, petit village voisin où résiste un autre groupe de survivants. Dirigée d’une poigne de fer par un caïd se faisant appeler le Gouverneur, cette communauté leur réserve bien des surprises… et pas des meilleures!
J’arrête ici mon résumé, malheureusement, afin de ne rien vous dévoiler des exactions qui n’auront de cesse de vous nouer les trippes en lisant ce nouveau développement du récit de Walking dead! Que de tension!! Que d’horreurs!! Jamais je n’aurais cru plonger avec autant d’intensité dans un récit de ce genre!! Je vous l’ai déjà dit : je ne m’intéresse pas à l’horreur! Je suis trop impressionnable, j’en ferais des cauchemars, je le sais! (D’ailleurs, c’est le cas : le soir où je me suis remis à cette série, j’ai mis des heures à m’endormir, et j’ai fait de mauvais rêves!) Mais on s’attache tellement aux personnages, et on veut tellement qu’ils s’en sortent, qu’on ne peut pas faire autrement que de tourner page après page afin de connaître la suite!! Évidemment, Kirkman, en bon scénariste, nous torture doucement en jonglant avec nos émotions : pour chaque petit instant de bonheur qu’il donne à ses personnages pour nous faire plaisir, il renchérit avec trois ou quatre atrocités inimaginables… et pas nécessairement d’origine zombiesque!!
En effet, et c’est ce qu’il y a de fascinant (et d’effrayant!!) avec les nouveaux développements que l’auteur vient d’instaurer, l’horreur ne provient plus des zombies, mais des autres survivants, bien humains! Et avec elle, tout un lot de réflexions et de dilemmes moraux du plus grand intérêt!! Car, tout comme c’était le cas dans les premiers tomes de la série (et j’en parlais abondamment dans ma critique précédente), l’horreur n’est vraiment pas le thème de ce récit. Il n’est qu’un prétexte pour nous confronter, pour pousser nos belles convictions dans leurs ultimes retranchements… Le tout, en nous présentant des cheminements humains, des caractères qui se forment, se modifient, se troublent et évoluent au contact d’une situation sur laquelle ils n’ont à peu près aucun contrôle. Des gens qui cherchent à retrouver un minimum d’équilibre dans un univers où tous leurs schèmes de référence ont disparu.
Dans un tel contexte, peut-on rester fidèles à nos valeurs? Que valent nos convictions lorsqu’on est plongés dans une situation de survie permanente? N’est-il pas normal de voir notre morALE court-circuitée… et notre morAL à plat?? On ne peut tuer qu’en cas de légitime défense, dit-on… mais à partir de quand peut-on considérer notre défense comme légitime?!? D’autres pistes de réflexion? Le tome #6, comme son titre nous le laisse si judicieusement deviner, nous offre de superbes observations sur le droit à la vengeance, sa pertinence et son efficacité. Face à un bourreau pervers et sadique, est-il permis, ou pardonnable, de tomber soi-même dans le sadisme?? Jusqu’où un traumatisme peut-il excuser nos actes?... Comment rester sain d’esprit quand la folie est partout autour de nous??
Des réflexions de ce genre et d’autres sujets de débat fort intéressants vous attendent à la lecture de ces tomes. Moi, j’ai vraiment adoré (qui l’eût cru!!?)… Mon seul principal bémol, et c’est le même que pour les tomes #2 et 3, c’est le dessin de Charlie Adlard! Comme je m’ennuie du graphisme du premier tome, qui a été dessiné, rappelons-le, par Tony Moore!! En ce qui me concerne, je ne fais pas partie des nombreux fans d’Adlard : j’ai trop de difficulté à apprécier un dessinateur qui n’arrive pas à reproduire des visages ressemblants, d’une vignette à l’autre… Mais, bon : quand le scénario est aussi solide, on s’arrête moins à ce genre de détails!!
Un petit conseil si vous lisez cette série en rafale : ne faites pas de pause entre les tomes #3 et 4 (comme j’ai fait, malheureusement!). Si vous avez une pause à prendre, faites-la entre le 4 et le 5! En effet, le 4e est comme la conclusion d’un premier «chapitre», et les #5 et 6 partent sur une nouvelle lancée : la scission vous semblera plus naturelle…
Walking dead, une série pas mal plus intelligente qu’il n’y paraît… Pour un lectorat averti, toutefois (16 ans ou plus, je dirais).
À lire aussi : ce que mon ami Yaneck a pensé de ces mêmes tomes 4, 5 et 6.
Plus grandes forces de cette BD :
- l'horrible efficacité de la couverture du tome #4... Et dire que c'est la dernière illustrée par Tony Moore! Manifestement, cet artiste m'accroche beaucoup plus que le populaire Adlard!! ;^)
- les réflexions d’ordre moral qui ne peuvent faire autrement que de nous hanter (même longtemps après notre lecture!), au même titre qu’ils hantent les personnages! Quelles conditions peuvent motiver qu’on ait le droit de tuer? Aucune, diront les pacifistes purs… mais resteront-ils aussi catégoriques après avoir lu ces albums? Je n’en suis pas si sûr…
- les nombreuses illustrations pleine page, très efficaces… ou même les doubles pages, fracassantes (comme dans le tome #5, p.94, ou dans le #4, p.94 et 95, ou 136-137)!… C’est toujours poignant, au détour d’une page, d’être assailli par une de ces illustrations grand format. On ne s’y attend jamais! Aussi, quand le sujet en est punché, la surprise est de taille (sans jeu de mots!! ;^)
- la force du scénario, qui nous happe, sans condition! Plusieurs punchs scénaristiques m’ont littéralement soufflé, comme l’entourloupe avec l’armure, à la fin du tome #5 ou, surtout, la méga constatation lors du retour à la prison (tome #6, p.90-91)!! Quel coup de poing!!
- la critique acide de la violence dans notre société. J'ai adoré la banalité apparente avec laquelle la mère fait son intervention (tome #6, p.23), suite au combat qui a dégénéré. Quelle manière subtile (presque perverse!), de la part du scénariste, de nous faire réfléchir sur la place de la violence dans nos médias : jusqu'où accepte-t-on que nos jeunes soient témoins de telle violence??... J'ai tellement songé aux délirants combats de lutte en lisant ce passage!!... ;^)
Ce qui m’a le plus agacé :
- un tome #4 un peu longuet… J’avoue que le conflit entre Rick et Tyreese s’étire un peu trop : il me semble qu’il aurait pu être resserré. Avec une bonne dizaine de planches de moins, il s’en serait trouvé beaucoup plus efficace. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai donné à ce tome particulier une note plus basse qu’aux autres.
- une petite coquille dans le tome #4, p.108, 2e vignette : «… et te essaies de me tuer!».
- les dessins d’Adlard. J’ai déjà parlé, plus haut, de leurs Irrégularités : d’une vignette à l’autre, les personnages ne se ressemblent pas toujours, et c’est souvent par déduction ou par élimination que je parvenais à identifier ces personnages… ce qui n’est pas génial! De plus, on dirait qu’il commence à grossir de plus en plus la taille de leurs yeux, principalement ceux de Michonne, qui sont souvent exagérément disproportionnés! Finalement, comme c’était le cas dans les premiers tomes, je n’aime pas les têtes qu’il donne aux enfants, comme pour les jumeaux, dessinés à la p.41 du tome #5. Encore là, il me semble que ses proportions sont un peu discutables…
- la traduction, trop franco-française. On peut aisément imaginer le langage coloré (pour ne pas dire cru) que certains personnages devaient tenir, dans la version originale… Et bien voyez maintenant les équivalents choisis par les traducteurs européens!! «Tout part en couille!», «…une chiée de cadavres», «J’en ai chié pour le lever!», «Je me suis tâté pour sortir mon flingue avant de te mettre au jus», «les filles sont maquées»… Toutes des expressions qui n’ont aucun écho ici, sinon dans ces ridicules traductions de films doublés à Paris qui nous horripilent tant de par leur fausse virilité! Et je ne parle même pas de Billy, qui veut «… aller chercher un Mars.»!! UN Mars!! Depuis quand on parle d’UN Mars!?! Chez nous, on mange UNE BARRE de chocolat. Ou UNE TABLETTE. Donc, on mange UNE O’Henry, UNE Aéro, UNE Kit Kat, UNE Caramilk… Pis UNE barre Mars!! Pourquoi UN, pour l’amour?... Si vous vous débrouillez bien en anglais, je vous recommande de lire cette série dans sa version originale, indéniablement!!
- les montages originaux mais à lecture confondante! En effet, lorsqu’arrive les scènes de combats entre «gladiateurs» (notamment dans le tome #5, p.76 et 77), Adlard étale son découpage sur deux planches, insérant du même coup une lecture transversale des cases : on doit lire tout le strip du haut des p.76 ET 77 avant de passer au strip central de la p.76, etc. Cette façon de faire, intéressante en soi, arrive toutefois sans crier gare, ce qui fait qu’on est momentanément pris au dépourvu et qu’on ne comprend plus trop le très important dialogue qui accompagne ces vignettes. De plus, quelques cases nous offrent aussi des phylactères avec un ordre de lecture pas toujours évident (comme à la p.39 du tome #6).
- la vengeance de Michonne, atrocement dérangeante. Jusqu’où peut-on aller pour se venger d’un pervers dément… sans devenir un dément pervers soi-même?? Réflexion archi-intéressante… mais visuellement, ça pousse loin : était-ce nécessaire? À l’inverse, les sévices qu’elle a subis nous ont été suggérés beaucoup plus que montrés…
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