LA VISITE DES MORTS
Scénariste(s) : Philippe GIRARD
Dessinateur(s) : Philippe GIRARD
Éditions : Glénat
Collection : Glénat Québec
Série : Visite des morts
Année : 2010 Nb. pages : 84
Style(s) narratif(s) : Roman graphique
Genre(s) : Quotidien, Récit psychologique
Appréciation : 2.5 / 6
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la Mort appelle la vie, qui appelle la mort...
Écrit le mercredi 13 juillet 2011 par PG Luneau
Maurice Petit n’a pas de petit que le nom. Toute son existence est à l’image de son patronyme. C’est un homme fade, sans couleur, sans imagination et sans vie sociale. Célibataire et sans ami, ce morne fonctionnaire se cloître quotidiennement dans le cubicule F-8957, perdu parmi les tonnes d’autres cubicules d’une quelconque administration publique. Tous les matins que le Bon Dieu fait, pour Maurice Petit, c’est le classique «métro-boulot-dodo».
Jusqu’à ce matin où son instinct (Comment?! Maurice Petit aurait de l’instinct?!) le pousse à lire (ô frivolité suprême!) son horoscope. Diantre, malgré les bonnes dispositions de Vénus, le trigone de Mercure, Saturne et Jupiter lui annonce que tout ira mal! Habité d’un malaise encore diffus, son regard paniqué erre sur la page voisine, dans le journal, où la rubrique nécrologique lui apprend le décès d’un de ses partenaires de classe du primaire, qu’il a complètement perdu de vue depuis. La combinaison de ces deux lectures agit sur Maurice Petit comme un catalyseur effrayant! Le voilà frappé d’une révélation fulgurante qui le trouble jusqu’à l’angoisse suprême : non seulement il est mortel, mais il sent que son heure approche, et il n’a rien accompli de sa vie!!
Fort de cette constatation, Maurice Petit quitte le bureau (wow! ce n’est même pas l’heure de la pause, encore !!) et se rend aux funérailles de cet homme qu’il ne connaît plus, espérant peut-être y trouver une forme de rédemption… Il y trouvera plutôt le moyen de laisser sa marque avant de mourir, le moyen de montrer qu’il est vivant, enfin, et que la vie mérite qu’on la célèbre. Cette illumination, il l’a eue quand le prêtre a demandé à l’assemblée si quelqu’un désirait prendre la parole pour rendre un petit hommage au défunt. Inspiré par sa fin imminente et par le silence gênant de toutes les personnes présentes, Maurice Petit se lève bravement et se rend au micro. Il s’y lance dans un touchant exposé sur les qualités intrinsèques de son ancien copain de classe, et parvient si bien à tricoter de grandiloquents lieux communs, passe-partout mais pleins d’émotions, qu’il finit par faire pleurer toute l’assistance à chaudes larmes! Pour la première fois de sa vie, Maurice Petit a accompli quelque chose de valable, de fort, de grand.
Il trouvera dans cette verve et cette inspiration un moyen d’expier son manque d’ambition et, peut-être, une façon de laisser un peu sa trace avant que la Grande Faucheuse ne l’entraîne avec elle. Aussi, notre Maurice commence-t-il à courir les obsèques, et à devenir un «déclamateur d’hommage posthume» quasi professionnel!! Jusqu’au jour fatidique où il prendra la parole aux funérailles d’Albert Braccia… On ne louange pas toujours impunément les gens qu’on ne connaît pas!!
D’abord, je tiens à m’excuser de ce que mon résumé soit si précis et complet… mais c’est que je n’ai vraiment pas grand chose d’autre à dire sur cette petite plaquette qui se lit en un rien de temps!
J’aurais aimé aimer cet album. En effet, la mort est un sujet qui m’intéresse assez, plus que la majorité des gens en tout cas. Puis, je n’avais jamais vraiment lu du Philippe Girard, à part deux ou trois strips de Béatrice, dans les journaux, qui m’avaient bien plu. Je n’ai pas encore lu son Tuez Vélasquez, mais les critiques en sont si dithyrambiques que j’avais hâte de me coltailler à l’univers de cet auteur dont la réputation commence à être très enviable… Malheureusement, cette Visite des morts n’est pas venue me chercher du tout! Peut-être à cause du personnage, pour lequel je n’ai jamais ressenti aucune compassion, ou à cause de la tangente surréaliste que prend le récit, à un moment donné, ou encore simplement à cause du fait que le récit est très court…
En effet, les pages sont de petit format (16 x 24 cm), garnies de peu de vignettes, avec peu de texte. Ça se lit aussi vite que le Théo dont je vous ai parlé tout récemment! J’y ai apposé l’étiquette Roman graphique, mais celle de Nouvelle graphique serait plus justifiée compte-tenu de la longueur (ou de la «courteur», devrais-je dire!) du récit et de sa finale inattendue. Malheureusement, je ne suis pas vraiment amateur de nouvelles…
Bref, ma visite auprès de ces morts n’aura pas été un succès, d’autant que les traits larges et grossiers, qui sont la signature de Philippe Girard, m’aient semblé plus appropriés à des textes humoristiques qu’à un texte aussi sérieux.
Je recommanderais cet album aux amateurs de nouvelles psychologiques qui apprécient les dessins simples, en noir et blanc. Et bien que rien dans les propos ne soit grossier, violent ou coquin, je ne crois pas que les jeunes y trouvent beaucoup d’intérêt avant l’âge de 15 ans !!
Plus grandes forces de cette BD :
- plusieurs angles de vue très originaux. Dans un récit aussi statique, il fallait, bien évidemment, dynamiser le tout en y rajoutant quelques variétés! Girard a décidé d’y aller avec plusieurs vues en plan! Ces vignettes, comme prises à vol d’oiseau, jouent bien leur rôle : elles brisent le rythme visuel en surprenant l’œil et sont divertissantes.
- le malaise causé par l’appel du prêtre, qui demande si quelqu’un a un petit discours à faire en mémoire du défunt. Pour l’avoir vécu à quelques reprises, dont l’an passé lors du décès de mon père, je peux vous dire que ce moment de la cérémonie est très gênant. La tristesse qui nous accable déjà est alors submergée par une foule d’émotions : l’envie sincère d’honorer notre proche; la peur de parler en public, d’avoir l’air fou ou de ne pas savoir quoi dire, ni comment le dire; la crainte de craquer en plein laïus et de pleurer devant tout le monde; le désir farouche que quelqu’un d’autre se lève et fasse ce bel hommage qu’on souhaiterait entendre… Et, surtout, la honte de ne pas pouvoir surmonter tous ces sentiments et de réaliser que notre cher disparu partira dans le silence, sans que personne n’ose... Ce grand malaise, ces secondes troublantes pleines d’expectatives qui s’avéreront déçues, non seulement monsieur Girard les rend merveilleusement bien, mais il s’en sert comme d’un moment-clé dans l’évolution de son personnage, un tournant décisif où ce dernier réorientera totalement sa propre vie.
- l’originalité du thème. La mort et les funérailles ont de quoi fasciner. L’idée de prendre un personnage et de le transformer en un «fan de funérailles», à l’instar des «fans de mariage», est intéressante… Dommage que ce récit-ci n’aboutisse pas à grand-chose.
- le revirement du chapitre 3, qui confirme ce que je pensais de l’extravagance du chapitre 2. J’ai eu beaucoup de difficulté à croire au récit quand Maurice est devenu un «spécialiste en oraisons funèbres» auprès de gens qu’il ne connaissait ni d’Êve, ni d’Adam. Je trouvais cette situation un peu trop surréaliste, et il me semblait qu’il y avait de gros risques pour que ses discours ne soient pas adaptés au mort, soit parce que trop vagues, soit parce qu’aucunement personnalisés! J’ai donc aimé que la seconde moitié de l’album nous dresse un aperçu de ce qui était susceptible d’arrivée en cas de méprise!
Ce qui m’a le plus agacé :
- le manque d’attrait du personnage central. Maurice est vraiment trop plat, trop monochrome et monocorde, trop mochement déprimant. Je ne me suis aucunement attaché à lui! Du coup, la «transcendance» de sa révélation m’a laissé de glace… d’où mon manque total d’intérêt!
- un dessin un peu trop banal, surtout pour un récit aussi sobre et réaliste (en noir et blanc, de surcroit). J’apprécie bien ce genre de graphisme dans les strips de Béatrice… mais il s’agit de petites capsules humoristiques sans grande envergure! Dans un récit de la teneur de la Visite des morts, je trouve ce style graphique un peu trop fade… trop à l’image de son héros, peut-être?
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