#01- L'AIL DES OURS
Scénariste(s) : Olivier MILHAUD
Dessinateur(s) : Julien NEEL
Éditions : Gallimard
Collection : X
Série : Viandier de Polpette
Année : 2011 Nb. pages : 144
Style(s) narratif(s) : Roman graphique (1/3)
Genre(s) : Quotidien, Récit psychologique, Aventure, Humour tendre, Steam-punk, Drame familial
Appréciation : 5.5 / 6
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l'Incomparable charme du luxe forestier
Écrit le vendredi 13 juillet 2012 par PG Luneau
Je veux absolument séjourner à l’Auberge-château du Chat vert!! Sans faute!! Et si elle n’existe pas, qu’on la fasse construire!! Car comment résister aux charmes bucoliques de cet ancien château aménagé en superbe auberge, avec restaurant, salle de spectacle et station thermale? Sis à flanc de montagne, juste à côté d’une immense chute d’eau turquoise et limpide, cet ensemble récréo-touristique s’étale même de l’autre côté de ce cours d’eau! Via une passerelle des plus pittoresques, qui enjambe le plan d’eau, au pied de la chute, on peut accéder aux suites de l’hôtel! Le tout perdu en pleine forêt, loin de tout, dans un endroit qui semble hors du temps…
Et que dire du personnel!! Il est peu nombreux, c’est vrai : moins d’une dizaine de personnes! C’est bien peu, pour un si grand établissement, mais leur efficacité et leur discrétion en font une équipe de rêve! Surtout avec un cuisinier hors-pair comme Polpette pour remplir la panse de tout ce beau monde, et la main de fer de monsieur Biryani, qui gère rondement toute cette équipe, avec une minutie presque effroyable!
Il faut bien qu’il dirige avec poigne, ce Biryani, car le propriétaire, pour sa part, serait plutôt du genre farniente! Serait-ce dû à son rang!? En effet, ce coin de paradis sur terre appartient au comte Fausto de Scaramanda, fils de l’impétueux Eulpêtre de Scaramanda… dont il n’a pas hérité des inclinaisons pour le combat militaire! Ce comte-ci se lève plutôt vers dix heures, passe la moitié de sa journée à faire du tri dans ses diverses collections, puis l’autre moitié dans son jacuzzi, à boire des drinks en jouant avec sa flottille de petits bateaux (il a quand même vingt-deux ans!!), tout en profitant du merveilleux décor qui l’entoure! C’est qu’il a ses quartiers dans la haute tour du donjon, avec une vue imprenable sur tout le site, le chanceux!
Avec le Viandier de Polpette, Olivier Milhaud et Julien Neel (le même qui fait notre charmante Lou!) frappent très fort! C’est frais, charmant, vivant, bucolique… Ça coule tout seul, ce petit album… Petit!? Que nenni! Avec ses 144 pages, je crois qu’on peut commencer à parler de roman graphique! Et ces heureux auteurs ont pu trouver un éditeur qui leur a offert ce que bien peu offrent : de l’espace!! C’est pourquoi ce délicieux récit sans prétention peut prendre ses aises, étaler ses silences, laisser couler le temps, nous montrer un petit matin douillet sensiblement étiré sur six planches sans texte, par exemple!! Et parlez-moi de vignettes grand format (les pages séparées en deux, trois ou quatre cases sont légion!), qui permettent de bien voir tant le texte que les subtilités des mimiques et des détails architecturaux! Tout ce volume est une bénédiction en soit! Un savoureux extraterrestre dans l’air du temps…
Et c’est sans compter les nombreuses recettes qui parsèment le récit!! Car Polpette ne se contente pas d’être un excellent cuisinier-herboriste ayant délaissé les cantines de l’armée : il tient aussi à nous partager ses recettes, de manière très détaillée!! Ainsi, tout au long de l’album, la bande dessinée s’éclipse pour faire place de-ci de-là à douze recettes originales, plus alléchantes les unes que les autres! Ces recettes (sept plats principaux et cinq drinks!), discrètement illustrées par Neel, mais dans un style plus crayonné, ajoutent une touche d’originalité à un récit déjà bien spécial.
Car il ne faut pas se fier qu’à la couverture mignonnette et à mon descriptif : nous ne sommes pas seulement en présence d’un doux survol de la vie lascive d’un comte dans son manoir idyllique! C’est avec bonheur que j’ai découvert, en le lisant, que ce récit couvre aussi une aventure! Contre toute attente, après une mise en place traditionnelle (avec présentation de tout ce petit monde dans leur quotidien – il s’agit d’un premier tome de série, après tout!), il y aura de l’action!! En effet, monsieur le Comte, Père, s’annonce! Il arrivera dans quelques jours, lui qui n’a jamais daigné demander des nouvelles de son fils depuis… quinze ans! Les retrouvailles s’annoncent étranges, et troubleront grandement le pauvre Fausto, si confortable dans sa petite bulle qui n’a rien à voir avec le vrai monde!
Avec ses traits caricaturaux fort sympathiques et un vaste choix de couleurs délicates, Julien Neel (aidé de Jean-Luc Deglin pour la couleur) donne un air guilleret à ce beau livre, ce qui rajoute au ton léger de l’ensemble. Pourtant, on sent qu’autour de cette enclave hors du temps qu’est le Coq vert, le monde est en crise : quelques images de l’extérieur nous font comprendre que la guerre, si elle ne fait pas rage, n’est jamais bien loin. Milhaud a bien pris soin de concevoir un univers un brin steam-punk afin de mieux faire ressortir l’ambiance bucolique de l’auberge. On peut facilement s’imaginer que les tomes à venir pourraient mettre ces deux contrastes en confrontation : qu’adviendrait-il du Coq vert si la guerre venait à frapper à sa porte??... Mais ça, c’est pour une autre histoire!
Vous l’aurez très certainement compris : j’ai été conquis par ce premier tome, et je ne peux souffrir d’attendre le suivant, qui s’intitulera : le Poivre de Voatsiperifery! Juste avec ce titre, je salive déjà!! Aussi, si vous avez dix ans ou plus, n’hésitez pas et … bon appétit!
À lire aussi : la critique de mes amis Yaneck, Jérôme et Kikine.
Plus grandes forces de cette BD :
- les superbes couleurs, subtilement choisies pour engendrer les différentes ambiances recherchées! J’apprécie particulièrement le fait que messieurs Neel et Deglin aient utilisé une palette d’une douceur remarquable, mais sans tomber dans le pastel délavé : les couleurs, bien que tendres et plutôt chaudes, restent franches et vibrantes. Et comment ne pas parler des ombrages, surtout lors des scènes forestières : ils sont de toute beauté! On s’y croirait!
- l’ampleur des vignettes! Enfin, un éditeur qui laisse de l’espace à son dessinateur!! Toutes les cases sont gigantesques… et tellement belles! C’est magique, féérique!
- le caractère parfaitement paradisiaque de l’endroit. C’est tellement invitant!! C’est à nous faire rêver : si le bonheur est dans le pré, il peut aussi être à la montagne, et si c’est le cas, c’est au Coq vert qu’il se trouve!
- les recettes! Elles nous interpellent tellement!! On ne veut plus que les tester! En fait, c’en est presque devenu un nouveau genre littéraire, ces BD-livres de recettes : quand on pense à Lord of burger, à Yakitate Ja-Pan!! Un pain c’est tout et à plusieurs autres BD à thématique culinaire qui surgissent par les temps qui courent! Si ça peut faire lire plus de BD, je ne suis pas contre, bien au contraire!
- les charmants petits furets blancs!! Ils sont adorables : à croquer! Leur présence au Coq vert égaie manifestement les journées! Quelle belle idée d’en avoir mis un, à la tête du dos du livre! Il fait très mignon, quand notre album est rangé sur le rayon de notre bédéthèque!!
- l’ensemble des personnages : tous ont un petit quelque chose de savoureux, et il nous tarde d’en apprendre plus sur chacun d’eux! Le Comte et sa vivacité entraînante me font penser à un tamia rayé! Polpette, avec son côté plus taciturne et posé, est plus du type blaireau! Biryani, le sarcastique valet, rappelle le sage hibou et la solide Alméria est tout à fait à l’image de sa bande de furets apprivoisés… Que pourra-t-on dire des autres employés, quand nous les connaîtrons mieux??
- l’importance accordée aux relations entre Fausto et son père, et à celles entre Fausto et son tuteur… qui lui a fait office de figure paternelle pendant plus de 15 ans! C’est très riche, ces questionnements qui bouleversent ce grand enfant qu’est le comte Fausto, on suit l’évolution de ses sentiments avec beaucoup d’intérêt.
- la longueur du récit. On en a vraiment pour se satisfaire! Même si le propos est un peu léger, et que le tout est en couleurs, je suis d’avis qu’on peut tout de même parler de roman graphique.
- les previews illustrés et commentés du tome #2. Comme dans les albums du Vent dans les saules, de Plessix, ou des Légendaires, de Sobral, ce tome se termine sur une planche entière qui nous donne des pistes sur le contenu du prochain tome, question de nous mettre en appétit… Comme si c’était nécessaire!! C’est même plus une torture qu’un appetizer que cette page de previews! Pour moi, c’est déjà clair que je veux la suite… et tout de suite, si ça se trouve (c’est pas que je sois un grand bébé exigeant… c’est juste que je prends exemple sur Fausto!!) ;-)
- la présentation des lieux, via la carte du site. Tout au long de ma lecture, j’espérais avoir accès à un plan de l’endroit tant il semblait tarabiscoté mais intéressant. Ayant remarqué que chaque vignette où l’on voyait l’extérieur des bâtiments était réalisée avec une éblouissante méticulosité, j’ai eu la très nette impression qu’une maquette, virtuelle ou réelle, avait été conçue, question de ne pas commettre de bourde dans les représentations, sous divers angles, des bâtiments… qui sont effectivement, ma foi, assez alambiqués et biscornus merci!! Je ne sais si j’ai vu juste, mais les lieux sont vraiment très bien définis, et les plans fort bien respectés! Compliments pour ce complément qui nous en apprend encore plus sur certains endroits que nous n’avions pas encore eu la chance de visiter!
Ce qui m’a le plus agacé :
- une bévue visuelle, dès la deuxième page! Quand on cueille une fleur en en coupant la tige, on ne la coupe pas au-dessus de notre autre main qui la tien, mais bien en-dessous. Sinon, la partie coupée tombe par terre! C’est du gros bon sens!
- la calligraphie des narrations et des recettes. J’ai toujours de la difficulté avec les lettres attachées quand elles sont imprimées (comme dans les vieux albums de la série Émilie «C’est tout de rouge que je m’habille!...» ou dans les Babar de mon enfance!). C’est possiblement une déformation professionnelle : j’ai peut-être déjà assez de tenter de déchiffrer ce genre de pattes de mouche dans les cahiers de mes élèves sans avoir à me taper, en plus, des BD écrites de la même façon!? Surtout qu’il y a bien longtemps que je n’avais pas vu de majuscules en cursives!
- certaines recettes, moins alléchantes. C’est évidemment bien personnel, mais même si j’ai presque envie d’essayer les foies de volaille sur mes œufs, comme le propose Polpette, la Fabada de Péréro ne m’attire pas particulièrement avec son pied de porc et ses gros haricots asturiens…
- les deux villégiateurs permanents. Deux «clients» logent à temps plein au Coq vert : le colonel Diego Suarez et Léopold «Boumboum» M’basa. On apprend très peu de chose sur eux deux dans ce premier tome… si ce n’est que le colonel, fort porté sur l’alcool, a poignardé son père!!... Moi qui le trouvais déjà un peu étrange avec son look et son accent polonais (malgré son nom sud-américain?!), cette information n’a évidemment rien fait pour me le rendre plus sympathique!! Et le M’basa, n’est-il pas vraiment inquiétant avec les deux grands monocles qui semblent lui cacher les yeux!? Peut-être ces deux hommes joueront-ils plus tard un rôle qui nous éclairera sur leur personnalité, mais pour le moment, je ne les apprécie pas trop.
- certaines étrangetés par rapport aux noms. D’abord, pourquoi la série porte-t-elle le nom de Viandier de Polpette?? Jusqu’à présent, rien dans le récit ne nous permet de considérer Polpette comme le personnage principal de l’endroit… Et de viandier, il n’a pas encore été question, après 144 pages!! Puis ce titre : l’Ail des ours?! Il s’agit vraiment d’un détail anecdotique, qui ouvre le récit, certes, mais qui encore là n’a pas l’importance nécessaire pour s’abroger la fonction de titre!! Et, dans le même ordre d’idée, pourquoi l’enseigne de l’auberge du Coq vert présente-t-il… un chat ?? De deux choses l’une : soit Olivier Milhaud nous cache encore bien des surprises, soit il est un brin barjot!!... Heureusement, dans les deux cas, on ADORE!! ;-)
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