#01- LE CHEVALIER À LA HACHE
Scénariste(s) : Nicolas JARRY, France RICHEMOND
Dessinateur(s) : Theo Caneschi dit THEO
Éditions : Delcourt
Collection : X
Série : Trône d'argile
Année : 2006 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre
Genre(s) : Historique, Drame de guerre
Appréciation : 5.5 / 6
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la Fin de la Guerre de Cent Ans... pour les nuls!
Écrit le mercredi 15 mars 2017 par PG Luneau
Tomes lus : #01- le Chevalier à la hache
#02- le Pont de Montereau (2007)
#03- Henry, roi de France et d'Angleterre (2008)
#04- la Mort des rois (2010, 56 p.)
Par chez-nous, l'armagnac est une eau-de-vie et le bourguignon, un ragoût de bœuf particulièrement savoureux. C'est dire combien on sait bien peu de chose de la Guerre de Cent Ans, ni de la guerre civile qui a sévit en France à la fin de celle-ci!! S'y opposaient deux clans. Dans le coin gauche, celui du comte d'Armagnac, qui prit le parti du dauphin Charles (le futur VIIe du nom), quand la folie de son père Charles VI est devenue trop accaparante. Dans le coin droit, celui du duc de Bourgogne, Jean Sans Peur, qui défendait ce roi fou dans l'espoir de parvenir à le manipuler suffisamment pour lui soutirer sa couronne.
Un malheur ne venant jamais seul, il se trouve que l'ambitieux roi Henry V, venu directement d'Angleterre, débarque en terres françaises à ce moment-là. Il prend Rouen et commence une invasion en règle, visant l'annexion du royaume de France à ses possessions, rien de moins!? Seule la réunification des Bourguignons et des Armagnacs pourrait constituer une armée assez consistante pour bouter l'Anglais hors du royaume... Mais jamais le titre de roi de France n'a été aussi facilement accessible à tant de monde en même temps!! Il est donc bien difficile de ne pas magouiller par en-dessous pour se l'approprier une fois pour toute! Comment tout cela se terminera-t-il??
C'est cette fascinante période de l'histoire de France que nous présente la superbe série le Trône d'argile. Nicolas Jarry et France Richemond ont décidé de nous la raconter de la façon la plus claire possible, tandis que le très talentueux Theo Caneschi (qui, dès le tome #2, a décidé de n'utiliser que son prénom comme nom de plume!) s'occupe d'illustrer le tout... de façon magistrale!!
Pour parvenir à leurs fins, les auteurs ont pris le parti de suivre principalement le parcours de Tanneguy du Châtel, ancien prévôt de Paris totalement investi à la cause du jeune Dauphin. En compagnie de cet héroïque et imperturbable leader, on fait la connaissance des grands notables de l'époque et on assiste aux divers événements, plus souvent tristes qu'heureux, qui forgent l'avenir du royaume.
Le premier tome, le Chevalier à la hache, débute en 1418. En plus de nous présenter la folie du roi Charles VI, la rivalité entre les deux clans et les alliances et magouilles de certains membres de l'entourage du roi et de l'important duc de Bourgogne, ce tome se centre surtout sur l'entrée sauvage du clan des Bourguignons dans Paris et sur la fuite du Dauphin.
Le second tome, le Pont de Montereau, s'attarde aux relations alambiquées entre Jean Sans Peur, le duc de Bourgogne, et Henry V, le roi d'Angleterre qui s'empare de Rouen. Le clan du jeune Dauphin tente de raisonner le duc et finit par négocier la tenue d'une rencontre à Montereau... mais celle-ci se soldera sur un fâcheux assassinat qui ne fera qu'envenimer les choses!
Dans le tome #3, on est témoins du grand manque de confiance du Dauphin, que ses proches peinent à convaincre de se prendre en main. Pendant ce temps, Philippe, le nouveau duc de Bourgogne, se détourne autant du Dauphin que de Henry, et celui-ci étend son emprise et se prépare à devenir Henry, roi de France et d'Angleterre.
Finalement, dans le tome #4, l'arrivée de renforts écossais redonne un peu de courage au Dauphin, qui prend enfin sur lui et se met à la reconquête de ses terres. Parallèlement, Henry commence l'exercice de ses nouvelles fonctions royales françaises en agissant en despote, ce qui n'a pas l'heur de plaire à ses nouveaux sujets. C'est d'autant plus risqué que Charles VI, le «vrai» roi officiel de France, celui qui est de plus en plus cinglé, n'est pas encore mort. Qu'adviendra-t-il à la Mort des rois??
Évidemment, raconter ce genre d'histoires n'est jamais évident. Les forces en présence sont si nombreuses, les influences sont difficiles à cerner, ou même à concevoir, peut-être encore plus pour quelqu'un de notre époque! Par exemple, qu'est-ce qui déterminait vraiment qui était le roi? Le lignage, bien sûr, mais encore fallait-il que les grands notables du royaume, ducs, comtes et autres noblesses entourant la royauté, souvent tous parents par alliance, acceptent ce lignage... et l'officialise : une rumeur de bâtardise est si vite lancée!! Et si le peuple décidait de ne plus suivre? Jusqu'à quel point la populace avait son mot à dire? Quand le capitaine du bateau perd la boule, qui doit-on suivre pour ne pas perdre le Nord??
Avec la quantité faramineuse de personnages (qui portent tous, bien souvent, le même prénom, question de bien nous compliquer la vie!! ;^), la complexité des alliances, des trahisons, des mariages de convenance et des magouilles, je ne vous cacherai pas que cette série se lit mieux :
1) en rafale (et non pas un album par année!) et
2) à tête reposée! Ce n'est pas le genre de récits dont on lit 5 ou 6 pages, à moitié endormi, avant d'éteindre sa lampe de chevet!! ;^) Mais quand on y plonge la tête bien éveillée, que de richesses et de belles découvertes!?
Une des questions que je me suis posées, suite à ma lecture, c'est la part de fiction que les auteurs se sont permise. Les événements historiques sont, bien évidemment, véridiques parce que documentés : l'entrée des Bourguignon dans Paris (28 mai 1418), l'assassinat du pont de Montereau (10 septembre 1419), le fascinant accident de La Rochelle (11 octobre 1422), les édits, batailles, décès et mariages... Mais certains éléments, comme le rôle déloyal de la belle Odinette, ou la complexité des amours et tromperies de Jeanne de Guiac, sont-ils basés sur des rumeurs de l'époque ou carrément imaginés de toutes pièces par l'équipe de créateurs? Il me faudrait les rencontrer pour le leur demander!
Chose certaine, pour un amateur d'Histoire comme moi, qui s'intéresse aux royautés française et britannique et qui trippe sur tout ce qui touche au monde médiéval, cette série est un pur délice! Je la conseille à tous ceux que la Guerre de Cent Ans intéresse, connaisseurs comme néophytes, dès 14 ans... Je songe, notamment, aux jeunes Français qui doivent étudier cette période : ils y trouveront un excellent support, visuel et fluide, pour se démêler!
À noter que les tomes #5 et 6 existent (la célèbre Jeanne d'Arc s'y impose enfin!) et que d'autres tomes sont à venir...
Plus grandes forces de cette BD :
- la grande perfection graphique. Tout y est sublime: personnages, chevaux, architectures, vêtements... Partout, incluant les couvertures et les pages de garde... Tout n'y est que minutie et générosité dans les détails! Chaque vignette est impeccable! Vous ai-je dis que j'adore littéralement les dessins de ce Theo?? ;^)
- une grande générosité dans le nombre de planches, également! En effet, on nous en donne souvent plus pour notre argent: le tome #1 débute dès la p.2, au verso de la page de titre, ce qui est assez inhabituel! Le tome suivant débute quant à lui dès la p.1 (!?), la page de garde avant faisant office de page de titre!!? Quand on ajoute à cela que le tome #4 fait 56 pages, c'est dire combien les auteurs en ont long à nous conter!! ;^)
- la subtilité des couleurs et de la luminosité. J'aime comment le coloriste, l'excellent Lorenzo Pieri, joue avec les profondeurs en estompant un peu les éléments des plans plus éloignés. Et que dire de la finesse des motifs qu'on perçoit dans la coloration des tissus royaux (tome #1, p.3 à 6)!? C'est d'une délicate beauté tout à fait impressionnante! Bravissimo!!
- la fluidité du récit. Il faut être solide, scénaristiquement parlant, pour parvenir à me démêler une si grande saga, avec autant de protagonistes et d'imbroglios!! Pourtant, Jarry, Richemond et Theo réussissent à ce qu'on comprenne bien chacune des alliances, chacun des revirements, sans qu'on s'emmêle les pinceaux ou qu'on ne sache plus trop qui fait quoi. Seul le lien de parenté entre le Dauphin et le duc Jean Sans Peur m'a causé problème, compte tenu du fait que le jeune homme appelle parfois l'autre son oncle (p.35 du tome #2, notamment) alors qu'il s'agit de son vieux cousin, si j'en crois les arbres généalogiques que le Net m'a permis de voir...
- les pages de garde arrière qui nous présentent les principaux personnages. À partir du tome #2, on nous offre la possibilité de nous référer à de courts descriptifs pour nous aider à reconnaître qui, de Yolande, Isabeau ou Marguerite, est la fille, l'épouse ou la mère de tel ou tel duc. Il s'agit là d'une très belle initiative, tout à fait salutaire! ;^)
- d'intéressants personnages secondaires... Vous me direz: Avec la foultitude de personnages que comporte la série, il est bien évident que plusieurs risquent de nous accrocher!... et vous aurez bien raison! Yolande d'Anjou m'apparaît particulièrement intéressante: c'est agréable de voir une femme de tête aussi solide à une époque où bien peu sortait du lot (si on se fie, du moins, aux traces que l'Histoire nous en a laissées)! En plus de nous la montrer brillante, perspicace, ingénieuse et pleine de ressources, on nous fait sentir, avec une discrétion rarement vue en BD généraliste, l'ancienne flamme qui l'a, peut-être, unie au sieur Tanneguy du Châtel. Dans la catégorie des vilains qu'on aime détester, il y a, bien sûr, l'ignoble Capeluche, magnifiquement brutal, et le couple de vire-capot que sont les Giac: Pierre, dégoûtant profiteur qui magouille toujours dans les parages du plus offrant, et sa splendide épouse, Jeanne de Naillac, qui, lorsqu'elle ne couche pas avec l'un ou l'autre des riches du royaume à la demande de son mari... le fait par intérêt personnel, avec d'autres, trahissant tout le monde! ;^) Mention spéciale au sympathique petit nain-bouffon du roi qui apparaît à partir du tome #3!! ;^)
- de sublimes doubles planches. Les p.26 et 27 du 2e tome nous offrent un couronnement fabuleux et grandiose... Dans le tome #3, c'est aux p.22 et 23 que Theo nous éblouit avec une scène de banquet gargantuesque... De manière générale, ce dessinateur semble relativement à l'aise à dessiner des intérieurs de cathédrales ou d'églises. À preuve les p.33 du 3e tome, et, encore plus, 52 du 4e: on jurerait que les pilastres de cette dernière vignette sont photographiés tant le réalisme de leur texture et de leurs couleurs est impressionnant! Bravo au dessinateur... et au coloriste!! ;^)
- les courts résumés, au verso de la page de titre, à partir du tome #3. Ils peuvent aider à se remettre dans l'histoire, si notre lecture des tomes précédents date de quelques mois! (J'ai l'impression que j'en aurai bien besoin quand je plongerai dans la suite!! ;^)
- de belles petites trouvailles visuelles. J'ai bien aimé la transition, au centre de la p.40 du tome #2, avec la belle Jeanne qui nous fait passer d'un de ses amants à un autre... en un simple changement de décor! De plus, Theo est habile pour ajouter de beaux inserts à ses vignettes de base, et à planifier ses planches de façon originale. Le cadavre de (CENSURÉ: je vous garde le suspense!!), dans le bas des planches 46 et 47 du tome #2, est judicieusement disposé, et la frise, surplombant la p.4 du 4e tome, est, ma foi, très originale! Bravo encore, Theo! ;^)
- l'apparition, graduelle, de la jeune Jeanne d'Arc, déjà pucelle mais future sauveuse du royaume!! Ce personnage plus que mythique de l'Histoire de France n'est encore qu'une gamine, mais il est sympathique de la voir, de-ci, de-là, cherchant, comme ses frères, à jouer à se battre à l'épée ou à chevaucher un destrier! On nous dit que sa famille de paysans serait d'origine noble, mais qu'un de ses ancêtres a dû mettre sa main à la terre, perdant ainsi son titre!?? Est-ce là un des éléments de fiction apportés par les auteurs pour donner de la couleur au personnage, ou si c'est basé sur des hypothèses, récentes ou anciennes??:^) Chose certaine, on comprend assez bien que cette gamine sera amenée, très bientôt, à jouer un rôle plus important dans la série... surtout que le tome #5 s'intitule, justement, la Pucelle!!? ;^)
Ce qui m'a le plus agacé :
- quelques petits bogues de perspective, dans le premier tome. Il fallait bien que je pointe un petit bémol graphique, pour éviter que vous ne m'accusiez de partialité à l'égard du travail de Theo!! ;^) Dans la scène de foule du bas de la p.18, lors de l'entrée des Bourguignons dans Paris, il me semble que les personnages du centre de la vignette sont déjà un peu trop petits par rapport au reste. Peut-être me trompe-je (je ne suis pas un spécialiste), mais le genre de moinillon barbu, notamment, et les deux ou trois hommes qui l'entourent ne me semblent pas respecter les proportions qui devraient être dictées par le point de fuite de l'image. Me goure-je?? ;^) Pour ce qui est de la première vignette de la p.45, je n'ai aucun doute : la file de soldats à cheval est, définitivement, mal proportionnée. Mais il fallait bien qu'il ait UN défaut, ce Theo! ;^)
- la graphie changeante du chevalier Barbazan. À 3 ou 4 reprises, à la fin du premier tome, on appelle ce grand seigneur Barbezan. On l'avait pourtant nommé correctement lors de sa première apparition, à la p.32!! Heureusement, ça se replace dans les tomes suivants.
- l'absence de carte géographique. C'est, bien sûr, le Québécois peu connaisseur en géographie française qui parle ici... mais j'imagine ne pas être le seul lecteur de cette série à me demander si Troyes est plus au nord ou à l'est de Tour, si Domrémy se trouve plus près de Rouen que de Paris, ou si tel duché est plus vaste que tel autre. Une simple carte de l'époque, avec les principaux lieux mentionnés dans le tome, aurait été fort aidante.
- le léger affadissement des couleurs, à partir du tome #3. En effet, j'ai l'impression que les couleurs des #3 et 4 ont toutes été estompées ou pâlies d'un ou deux tons!? Ça donne un omniprésent effet de brume, d'opacité, qui est un peu dérangeant... J'ai même cru que mes lunettes étaient sales!! ;^) Pourtant, non! C'est d'autant plus dommage que les couleurs et les lumières des deux premiers tomes étaient parfaites!
- l'incroyable similitude dans les noms de tout le monde!! Bien évidemment, les auteurs n'y sont pour rien... et n'y peuvent rien!! Pas moins de 2 Charles, 2 Pierre, 4 Jean et 2 Jeanne parsèment la liste des personnages importants!... Et comment peut-on parvenir à démêler Jean Stuart de John Stewart (de Darnley) ou de John Stuart (de Buchan)?? Bien que tout soit fait pour nous aider, la tâche n'est tout de même pas évidente. Soyez à l'affût et prenez des notes!! ;^)
- le manque de clarté dans certaines scènes de combat. Eh oui! Un autre mini-défaut dans le travail de Theo!! À quelques reprises, j'ai trouvé un peu difficile de comprendre certains combats, tant à petite échelle (comme l'assassinat du pont de Montereau: j'ai eu toutes les difficultés du monde à comprendre qui assaillait qui - p.46, tome #2!??) qu'à plus grande (comme la bataille en règle de la p.40 du tome #3). Attention à la fluidité!!:^(
- le texte officiel du contrat de mariage de 1420 entre Henry V et la princesse Catherine. Ce texte est d'autant moins évident à comprendre qu'il est formulé non seulement en vieux français mais, en plus, en jargon juridique toujours aussi peu avenant pour le commun des mortels! Ce passage, qui fait plus d'une page et demie, est un peu difficile à décortiquer: était-il indispensable de le retranscrire «dans le texte»?? ;^S
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