LA PETITE PATRIE
Scénariste(s) : Normand GRÉGOIRE
Dessinateur(s) : Julie ROCHELEAU
Éditions : la Pastèque
Collection : X
Série : Petite Patrie
Année : 2015 Nb. pages : 88
Style(s) narratif(s) : Récit complet (Roman graphique)
Genre(s) : Quotidien, Historique, Adaptation littéraire, Autofiction
Appréciation : 5 / 6
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Un brin de nostalgie, dans le Montréal de 1939-40
Écrit le samedi 23 septembre 2017 par PG Luneau
Pour moi, la Petite Patrie, c'est d'abord un vieux téléroman que ma mère regardait quand j'étais tout jeune... et que je mélangeais avec la Petite Semaine, qui passait aussi à la télé à peu près à la même époque! On y suivait la famille Germain qui tenait un petit resto de quartier dans ce coin de la ville de Montréal qui s'appelle justement (j'allais l'apprendre bien plus tard!) la Petite Patrie! Je me rappelle que le rôle du père était joué par Jacques Galipeau, celui de la mère, par Gisèle Schmidt et celui du fils, Clément, par Vincent Bilodeau, tout jeune, à l'époque! Je me rappelle aussi qu'on précisait, dans le générique, que cette série était inspirée du roman éponyme, de Claude Jasmin... mais je n'avais pas compris, à l'époque, qu'il s'agissait d'un roman autobiographique, et que le jeune Clément de la série (Vincent Bilodeau) représentait ce même Claude Jasmin (auteur), dans sa jeunesse!! Par la suite, j'ai vu cet auteur à de nombreuses reprises, à la télé, en entrevue... mais je n'ai jamais lu sa Petite Patrie.
J'ai donc été enchanté d'apprendre qu'elle a été adaptée à nouveau, mais en BD, cette fois! C'est Normand Grégoire qui s'est penché sur le texte pour le transformer en scénario, tandis que l'impressionnante Julie Rocheleau s'est penchée, elle, sur sa table à dessin pour joliment transposer tout ça visuellement.
Et quel résultat! Sur près de 90 pages, on vit le quotidien du jeune Claude, 8 ans, en 1939, alors que le Canada vient tout juste d'entrer dans la Seconde Guerre mondiale et que tout le monde craint la conscription. Mais que valent ces préoccupations quand on a 8 ans et qu'on vit dans la Petite Patrie, quartier populaire bien tranquille, géré par les routines religieuses et le quotidien banal de la classe moyenne canadienne-française?? Avec ses copains, Tit-Claude continue ses jeux d'enfants... Seulement, plutôt que d'incarner des cowboys et des Indiens, ils se tirent dessus en tant qu'Allemands ou Alliés!! ;^)
À travers leurs yeux insouciants, on découvre la faune hétéroclite qui peuplait alors ce coin de la ville : le guenillou, le marchand de légumes itinérant, le blanchisseur chinois, M. Cloutier, le croque-mort du coin, cette potineuse de Mme Lehouillier... et la pauvre Rita, la petite voisine tuberculeuse...
Tout en douceur, on nous expose les hauts et les bas de la vie d'un gamin de cet âge, de cette époque : son envie d'avoir des patins à roulettes, son total manque d'enthousiasme pour la prêtrise (vers laquelle sa bigote de famille aimerait tant qu'il se dirige!), les difficiles épreuves d'initiation qu'il fait subir au petit nouveau, pour qu'il puisse entrer dans la gang, et la belle Micheline... pour qui son cœur bat de plus en plus fort!... On suit Claude le temps d'une année, au rythme des saisons et des traditions : l'Halloween, Noël, la Saint-Valentin, Pâques...
Grâce aux fabuleux dessins de Julie (aux touches parfois expressionnistes!), le petit quotidien de la famille Jasmin et de tout ce quartier nous est rendu avec force et vivacité! J'ai pris un grand plaisir à découvrir tant cette époque de notre histoire récente que je connaissais peu que ce coin de la ville que je ne connaissais pas du tout! Chose certaine, ce bel album grand format m'a donné le goût d'aller me balader dans ce quartier... Peut-être y verrais-je certains des bâtiments illustrés par Julie et parcourus par Tit-Claude et sa bande de copains?... ;^)
À partir de 13 ans, pour les nostalgiques qui ont connu cette époque ou pour ceux qui veulent la découvrir.
P.S. : C'est tellement un bel album que c'est celui que j'ai donné à Suzanne Marcotte, la gagnante de mon concours annuel de l'an passé... ET à Julie Fontaine-Ferron, ma gagnante de cette année!! ;^)
Plus grandes forces de cette BD :
- la couverture, invitante, qui donne un excellent aperçu tant du graphisme très particulier de Julie Rocheleau que de la sublime palette de couleurs, à dominance d'orangé, de saumon, de gris... avec quelques touches de bleu gris pâle! Ces couleurs rappellent naturellement la sépia vieillie des photos d'époque! C'est du superbe boulot, vraiment! ;^)
- la dédicace que Julie a eu la gentillesse de me faire, au festival de la BD de Québec, en avril 2016 et que je vous ai déjà montrée, juste ici. Même elle est dans les coloris d'orange, de noir et de bleu pâle: tout est concept!! ;^)
- de très intéressants effets de mises en pages. La transposition de la page de titre avec la première double planche est, par exemple, très impressionnante: on s'immerge dans l'histoire (et dans l'Histoire! ;^) en un clin d'œil grâce à ce chouette parallèle entre les jeux d'enfants et la guerre qui fait rage, en Europe! ;^) Même chose pour les pages muettes 26 et 65, qui se répondent en nous montrant subtilement, en arrière-plan, le malheur qui frappe une famille par l'entremise de la guerre.
- la représentation de l'époque. Je l'ai dit plus haut, je ne connaissais à peu près pas cette période de notre Histoire. J'ai donc beaucoup aimé la reconstitution historique que les deux auteurs en ont faite! Tant sur le plan visuel (avec les détails comme les vieilles affiches publicitaires de boissons gazeuses ou de bières, les affiches électorales de l'époque...) que culturel (les films à l'affiche, les joueurs de hockey du temps...) ou sociétal. Grâce à tous ces détails, on en apprend beaucoup sur cette époque où les jeunes enfants jouaient encore à célébrer des messes en se prenant pour des curés... alors que les vrais prêtres devaient marier des centaines de couples en même temps pour satisfaire à la fameuse «course au mariage», causée par la mobilisation annoncée en juillet 1940! ;^)
- retrouver les expressions de l'époque, et en découvrir de nouvelles! Si je connaissais les expressions (que j'adore!!) Saudit! et Ne-non!, je n'étais pas familier avec ce qu'était un cacaille.
- l'expressionnisme que Julie exploite à de nombreuses reprises, principalement pour illustrer certains cauchemars ou fantasmes du héros, comme sa crainte du buandier chinois, par exemple... C'est très efficace! ;^)
- la finale, puis l'épilogue. La fin du récit est particulièrement frappante! Autant le rythme est plutôt lent, tout au long des 75 premières pages, autant ça se met à débouler dans la vie du jeune Claude dans les 10 pages du chapitre #4! Le pauvre subira deux grosses épreuves, coup sur coup (je vous laisse le plaisir de les découvrir), et on se demande bien comment un si jeune garçon en sera affecté... Et c'est ce que le chapitre #5 nous raconte, en 5 planches toute courtes, toute simples, toute fortes... la vie continue... Étonnamment fort!...
Ce qui m'a le plus agacé :
- la difficulté à identifier les personnages secondaires. La bande de bambins qui entoure Tit-Claude semble parfois un peu impersonnelle, en ce sens que les visages et les noms semblent être interchangeables. On ne prend jamais la peine de nous les présenter précisément, et les diverses expressions de leur visage font en sorte qu'on n'arrive même pas toujours à les reconnaître d'une vignette à l'autre! En soit, ça ne nous empêche pas de suivre le récit, car leur rôle est un peu secondaire, mais... en fait, je crois que j'aurais aussi aimé qu'ils prennent une part plus grande dans l'histoire (au même titre que j'aurais aimé qu'on nous présente Tit-Claude en classe, pour avoir une idée plus précise de comment travaillaient mes prédécesseurs! ;^) Mais le monde scolaire n'a pas eu l'heur d'impressionner Claude Jasmin, manifestement! ;^)
- un imbroglio monstre lors du match de hockey des pages 47 et 48. Loin de moi l'idée de m'obstiner avec Moineau, mais il n'y a rien qui fonctionne dans le calcul des points de ce match! Au bas de la p.47, Moineau engueule son gardien de but parce qu'il a laissé passer la rondelle. L'équipe adverse de celle de Moineau (le petit rondouillet à lunettes rondes) vient donc de faire un point. À la page suivante, Moineau affirme que le but de Tit-Claude N'EST PAS bon, parce qu'il a touché le poteau. On suppose donc que Tit-Claude est dans l'équipe adverse, et qu'il vient de (presque?) compter CONTRE l'équipe de Moineau... Donc, l'équipe de Tit-Claude à au moins un point (celui du pas de la p.47) et potentiellement 2, si celui de Tit-Claude est valable... Mais voilà que Moineau hurle que: «C'est deux à zéro!», et le joueur adverse de rectifier: «Ne-non, c'est toujours un à zéro!»... Mais rien ne va plus!! Ce joueur de l'équipe de Tit-Claude, contre Moineau, voudrait avoir MOINS de points que supposé??!! Bon, je dois l'avouer, je m'y connais peu en hockey... Mais, manifestement, ces jeunes ont un GRAVE problème avec le décompte de leurs points! Je veux bien croire que ces gamins étaient toujours à la recherche d'un prétexte pour partir une bonne chicane, mais là, ils dépassent les limites... à moins que ce soit les auteurs qui aient commis une petite bévue?! ;^)
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