#03- LES LIENS DE L'AMITIÉ
Scénariste(s) : Maryse DUBUC, Marc Delafontaine dit DELAF
Dessinateur(s) : Marc Delafontaine dit DELAF
Éditions : Dupuis
Collection : X
Série : Nombrils
Année : 2008 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Gags en une ou deux planches, à suivre
Genre(s) : Humour mordant, Quotidien, Drame familial
Appréciation : 5 / 6
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Quand l'amitié a des ratés
Écrit le vendredi 06 août 2010 par PG Luneau
Dans ce troisième tome de l’excellente série les Nombrils, la tension est haute. Depuis que cette ravissante potiche qu’est Jenny sort avec John John, le beau motard, c’est la guerre entre elle et la machiavélique Vicky, qui se remet très lentement de sa chute du toit de l’école. Les deux filles les plus nombrilistes de la planète se boudent ou s’insultent, en alternance, au grand malheur de la pauvre Karine, naïve échalote qui se retrouve prise entre les deux.
Heureusement pour cette dernière, sa vie sentimentale se porte plutôt bien. Son beau Dan continue de s’intéresser à elle… mais aimerait bien la voir délaisser les deux «grébiches» qui lui servent «d’amies». Pour lui inspirer de meilleures amitiés, il ira même jusqu’à la mettre en contact avec Mélanie, une charmante écolo très impliquée dans tous les projets communautaires de l’école! Avec ses préoccupations humanitaires et son style très sobre, cette belle grano a une personnalité à mille lieues de celles des deux fashion victims que sont Vicky et Jenny! Mais pour celles-ci, qui connaissent la vie, il est clair que cette nouvelle Sainte-Nitouche louche très certainement vers le beau Dan avec des intensions bien moins angéliques qu’elle ne le laisse paraître. Elles mettront donc Karine en garde… Karine, qui a toujours été de celles qui font confiance aux autres, entrera-t-elle dans le petit jeu de la suspicion?
Si le personnage de Murphy se fait très discret, celui de John John devient un moteur narratif très important dans cet album. Non seulement il perd de son prestige avec l’arrivée d’un nouveau coach de basketball, le sublime Dieudonné, mais en plus le mystère de ce qui se cache sous son éternel casque de moto est sur le point d’être élucidé. Cette intrigue est si judicieusement présentée qu’elle m’a donné certains de mes meilleurs moments de lecture de l’année! Que de plaisir j’ai eu à imaginer ce qui pouvait bien motiver une pareille obstination à ne jamais enlever son casque! D’ailleurs, grâce aux indices habilement parsemés tout au long de l’album, j’en étais venu à avoir une idée assez juste de la situation.
Encore une fois, les scénarii de Dubuc sont si solides et si cohérents que l’on se croirait en présence d’un récit à suivre dont chaque planche se terminerait par une chute comique plutôt que face à un recueil de gags. Les personnages, malgré leur graphisme tout simple, sont dotés d’une personnalité des plus réalistes qui donne une profondeur à l’ensemble. Bref, le couple de créateurs québécois parvient à nouveau à nous faire rire, à nous faire languir, à nous faire rager, à nous faire nous attrister… Une superbe réussite!
Plus grandes forces de cette BD :
- l’idiotie de Jenny. La pauvre rouquine, qui ne vit que pour l’esthétisme, est plus cruchonne que la plus finie des cruches! Elle le prouve à maintes occasions! J’ai adoré le troisième gag, au cours duquel des étudiantes discutent entre elle du fait que John John sort avec une fille d’une stupidité hors du commun. Bouleversée, la belle pétasse… s’attaque à son motard pour lui faire dire qui est cette imbécile avec qui il la trompe, trop épaisse pour réaliser que les filles parlaient d’elle!! C’est d’un pathétisme hilarant!
- la manière très nuancée avec laquelle les nouveaux personnages prennent leur place dans «l’univers nombrilique». Ainsi, Mélanie a fait sa première apparition à la fin du tome #2, puis fait de la figuration dans les premières pages du tome #3, sans qu’on réalise qu’elle allait prendre un rôle aussi important. De même, les rouli-planchistes de la page 12 figuraient déjà dans les planches précédentes, en arrière-plan, et on les recroisera souvent. On sent que les créateurs travaillent leurs lignes directrices sur le long terme. On est loin des gags improvisés qui finissent par se contredire au fil des tomes comme c’est le cas dans plusieurs séries comme Cubitus ou Robin Dubois.
- le Québec qui commence à transparaître en filigrane. Discrètement, Delaf laisse passer certains éléments de décor typiquement québécois. Par exemple, le panneau de limite de vitesse de la page 18, et les indications de sorties d’autoroute de la page 25, sont facilement identifiables par les Québécois. À ma connaissance, ces panneaux n’ont pas ces couleurs en France ou dans les autres pays d’Europe. Il y a de l’espoir pour la québécitude!
- tout le mystère autour de John John. Comme je l’expliquais plus haut, je me suis pris au jeu de découvrir la clé du mystère entourant son visage perpétuellement caché par le casque de moto dont il ne se départit jamais. J’étais coincé dans un bien agréable dilemme : me dépêcher à lire pour enfin connaître le fin mot de l’histoire, ou plutôt lire à toutes petites doses, pour étirer le plus longtemps possible ce sentiment d’excitation qui nous envahit quand on approche de la résolution d’une énigme. Rappelez-vous comment vous vous sentez quand vous arrivez dans les derniers chapitres d’un Agatha Christie ou d’un roman d’Harry Potter, et vous aurez une belle idée de ce que j’ai ressenti en lisant cet album!
- la dernière illustration, en page 48. Qu’est-ce que j’ai eu peur de ne pas avoir la confirmation officielle de mes hypothèses, quand j’ai eu fini de lire la dernière planche, page 46, et que tout semblait indiquer que l’album était fini!… Mais, comme au cinéma, où j’ai appris qu’on ne doit jamais quitter un film avant la fin du générique si on ne veut rien manquer, cet album nous prouve qu’on doit lire jusqu’au bout!
Ce qui m’a le plus agacé :
- la banalité de la couverture, très ordinaire. Non seulement le jaune est fade, mais en plus, l’anecdote qui y est représenté, et qui se termine au verso, est beaucoup moins original que ce à quoi les deux premiers tomes nous avaient habitués. L’absence de décor y est aussi peut-être pour quelque chose. De plus, je ne sais pas si c’est le fait que les filles soient montrées de bien plus proche que d’habitude, et en plus gros, mais il me semble que cette illustration de Delaf souligne à gros traits tous les défauts de ses dessins : l’oreille de Vicky m’apparaît bizarrement disposée et le col à voilette de Jenny lui fait deux étranges yeux de grenouille autour du cou. Finalement, pour la première fois, j’ai été dérangé par la longueur des bras de Karine. Depuis ce temps, ils m’ont toujours l’air beaucoup trop longs et effilés! C’est peut-être une bonne chose, finalement, que les cases ne soient pas plus grandes!
- deux gags moins évidents… et qui se suivent!! En effet, j’ai dû relire trois ou quatre fois le gag des pages 8 et 9 afin de comprendre les raisons du revirement d’attitude de l’horrible Lizon, à la fin. Personnellement, je ne trouve pas que Karine a vraiment l’air d’afficher des tracts, dans la huitième case de la page 9, d’où mon incompréhension. Puis, la discussion entre Dan et John John, devant les urinoirs, dans le gag qui suit, ne coule pas avec assez de fluidité pour que j’y croie. Personne n’accepterait de se mettre à genou par terre dans une toilette de resto, même pour voir «le visage de l’homme masqué», surtout pas Dan! J’ai trouvé ce gag beaucoup trop exagéré, et son punch, s’il est drôle, n’est pas très clair à saisir, lui non plus.
- un petit manque de réalisme au niveau de la psychologie des personnages masculins. L’attitude de Dan, comme je l’expliquais au boulet précédent, en est un bon exemple. Et John John, ce mystérieux motard viril… Pourquoi ne réagit-il pas quand les filles «se le passe», comme s’il était une poupée ou un gadget. N’a-t-il pas son mot à dire dans l’affaire? Il devrait au moins réagir minimalement, être un peu surpris, réfractaire ou admiratif face à de tels comportements, non? De même, que penser de l’attitude de Dieudonné, à la Féérie des glaces? Un prof ou un intervenant scolaire serait-il aussi démonstratif avec son conjoint de même sexe devant tous les étudiants? Surtout que le bel apollon semble prendre beaucoup de plaisir à titiller la gent féminine. Exposer ainsi son homosexualité sur son lieu de travail ne risque-t-il pas de nuire à son image si virile? Non vraiment, si la psychologie féminine est très poussée dans cette série, celle des gars devrait être un peu plus cohérente!
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