#04- CAFÉ «ZOMBO»
Scénariste(s) : Régis LOISELLE
Dessinateur(s) : Régis LOISELLE
Éditions : Glénat
Collection : Disney / Glénat
Série : Mickey et compagnie vus par
Année : 2016 Nb. pages : 76
Style(s) narratif(s) : Récit complet (Inspiration comics)
Genre(s) : Héros animalier, Hommage, Quotidien, Aventure humoristique, Historique
Appréciation : 4.5 / 6
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Quand un grand rend hommage à un grand!
Écrit le lundi 04 décembre 2023 par PG Luneau
Depuis bientôt 100 ans (dans 5 ans, en 2028), Mickey Mouse montre sa binette un peu partout, déclenchant les sourires des petits et des grands. Mais rares étaient ceux qui pouvaient se permettre de le dessiner et de lui créer des aventures! En effet, lui et toute sa bande de joyeux drilles sont farouchement protégés par des lois très strictes, et gare à ceux qui veulent les outrepasser! Seuls les dessinateurs et les scénaristes des Studios Disney pouvaient se prévaloir de ce privilège, des artistes formés pour rendre le dessin à la perfection et pour écrire des histoires gentillettes qui ne causeront pas de précédents ni d'esclandres, franchise oblige. Effectivement, si tout le monde se mettait à inventer un grand-père à Mickey ou une épouse à Dingo, on ne s'y retrouverait plus! Ces personnages étaient donc la chasse-gardée de quelques Américains... Et de quelques Italiens puisque l'Italie abrite un important studio Disney qui fournit tous les récits des magazines Disney (Mickey Parade, le Journal de Mickey, Picsou magazine...), qui marchent toujours très forts en Europe.
Mais voilà que la très française maison d'éditions Glénat a réussi un coup de maître : elle a pu s'entendre avec le gros conglomérat international et obtenir certains droits d'utilisation! C'est pourquoi, depuis 2016, quelques bédéistes franco-belges peuvent maintenant se permettre de rendre hommage à leurs héros d'enfance préférés en leur concoctant des albums de Mickey vu par... , de Picsou vu par... ou de Donald vu par... ! Ça a l'air de rien, mais c'est gros en ti-pépère, ce coup-là! Et cette franchise cartonne fort depuis!
Parmi les premiers à s'être commis, un des plus grands du moment : Régis Loisel, le glorieux dessinateur de la Quête de l'oiseau du temps et de Peter Pan (très loin de celui de Disney, celui-là!). Glénat l'a mandaté pour ouvrir le bal, ce qu'il fit avec un album qui a fait parler de lui comme c'est pas possible à sa sortie. Et c'est ce Café «Zombo» que j'ai eu le plaisir de lire pour vous cette semaine!
C'est quoi?
Loisel a choisi de rendre hommage au Mickey original, celui des débuts. Aussi, il a pondu un album à l'italienne, tout en strips, et il a situé son récit à l'époque de la Grande Dépression.
Mickey et Horace sont sans le sou et désœuvrés : ils aimeraient pouvoir sortir leur petite amie respective (Minnie et Clarabelle) plus souvent, mais c'est la Crise et il n'y a pas d'emploi! On les refuse systématiquement sur tous les chantiers de construction où ils aimeraient être journaliers ou manœuvres. Pourtant Rock Füller, un riche contracteur, tente d'acheter tout leur quartier, question de le raser pour laisser place à un luxueux terrain de golf.
Mais voilà que toutes les femmes et les enfants du coin reçoivent une invitation pour profiter gracieusement d'un séjour en camp de vacances tandis que des paquets de café «Zombo» font leur apparition sur le pas des portes de toutes les maisons du quartier... Étonnamment, les hommes du coin, dont le toujours naïf Dingo, se retrouvent comme en transe et vont, tels des zombies, offrir leur service au chantier du gros M. Füller!
Mickey et Horace sentent le roussi et mènent leur enquête : qu'est-ce que c'est que ce café mystérieux qui semble annihiler la volonté de tous ceux qui en boivent? Qui a bien pu concocter un filtre aussi puissant ?! Ils ne seront pas au bout de leur peine!
C'est comment?
C'est vraiment bien! On comprend que Glénat ait choisi Loisel comme l'un des premiers auteurs de cette collection-hommage, car on sent bien tout l'amour de ce grand bédéiste pour le personnage de Mickey et pour tout ce qui l'entoure. Le maître est allé puiser dans les origines de Mickey, situant son récit lors de la Grande Dépression, usant de strips (comme c'était le cas à l'époque, pour les premiers Mickey) et exploitant les personnages de l'époque, dont plusieurs qui sont maintenant un peu oubliés (comme Horace ou Maître Chicaneau). Mais le tout, il l'a fait non seulement avec brio mais en y insufflant aussi des messages bien contemporains, en y triturant des thèmes qui sont encore bien d'actualité. Bref, encore une fois, Loisel démontre ses grands talents de scénariste.
Sur le plan graphique, c'est tout aussi convaincant! L'équilibre entre le dessin de l'époque (celui du grand Floyd Gottfredson, principalement) et la patte de Loisel, si particulière et toujours reconnaissable, est magique! C'est à la fois d'époque et moderne, respectueux et personnel. Du grand art, quoi!
On est donc en présence d'un album-hommage tout à fait réussi, qu'on peut mettre entre les mains de tous, grands et petits, dès l'âge de 9 ans!
Mes bémols
- quelques longueurs. Étonnamment, deux passages sont inutilement longs: celui des vacances passées à la roulotte de Donald, puis celui de la bataille dans la grange, vers la fin de l'album. Je ne comprends pas qu'un auteur aussi expérimenté que Loisel n'ait pas remarqué l'impact négatif de ces passages sur la fluidité générale du récit. On aurait pu raccourcir chacune de ces scènes d'au moins une planche que le récit ne s'en serait que mieux porté.
- une typographie peu conviviale. Autant les pages et les strips sont larges et bien visibles, autant les lettres tracées par l'auteur sont souvent difficiles à décoder. C'était déjà le cas dans ses illustres œuvres antérieures! À plusieurs reprises, ça m'a obligé à relire un même phylactère plusieurs fois avant d'en décoder les mots.
- une certaine violence. J'avoue avoir été assez surpris par la tournure que prenait certaines des bagarres de ce récit. Oui, il y a plusieurs coups de gourdins, des coups de poings, des enclumes sur la tête et d'autres classiques des batailles dites «pour enfants», mais certains de ces coups m'ont paru particulièrement puissants! Parfois, on ne sait plus si c'est le gourdin qui vole en éclat, ou le crâne de la personne qui reçoit le coup... surtout quand on choisit de colorier le tout en rouge pétant! Une ou deux vignettes m'apparaissent donc un peu trop intenses pour les plus jeunes lecteurs, soyez-en prévenus.
Les plus grandes forces de cette BD
- l'objet-livre. Il est très original, et conceptuellement bien pensé! En effet, son format à l'italienne, au dos toilé, laisse place à deux très grands strips par page, ce qui est un clin d'œil direct aux débuts de Mickey, alors que ses aventures paraissaient en strips dans les journaux. J'ai lu, enfant, un des gros recueils qui cumulaient ces strips des débuts (très certainement ceux de Floyd Gottfredson), et j'avais beaucoup apprécié. Le fait de retrouver ce format (renforcé par le dessin de Loisel, qui s'écarte du Mickey actuel, souvent trop formaté, pour plutôt opter pour un Mickey plus souple, plus délié) m'a rappelé de très bons souvenirs de lecture.
- le choix de personnages ayant moins bien traversés le temps. J'ai toujours aimé le couple composé de la vache Clarabelle et d'Horace, le cheval. Et je n'ai jamais compris pourquoi il a été délaissé! Ce sont pourtant deux personnages qui possèdent un riche potentiel narratif et humoristique! Loisel l'a heureusement bien compris, et il nous les ramène, contribuant, du coup, à nous replonger à leur Âge d'or! La présence de Maître Chicaneau, un autre vieux de la vieille, renforce cette impression.
- le message à portée sociale. Autre décision qui contribue à nous ramener au Mickey des tous débuts, c'est le choix de Loisel de situer son récit lors de la Grande Dépression. Comme c'était trop souvent le cas, à l'époque, de riches contracteurs abusaient de leur pouvoir pour exploiter les pauvres travailleurs sans le sou, les payer un salaire de crève-faim pour ensuite leur vendre les produits essentiels à des coûts exorbitants, question de ravoir leur argent! Mickey s'oppose à cette situation et se soulève contre l'abus de pouvoir. En prime, un plaidoyer contre l'abrutissement des foules par la culture de masse (le fameux café «Zombo»... qui rend zombie!) et, en filigrane, un coup de gueule contre la malbouffe! Pour un album jeunesse, ça fait un contenu loin de l'infantilisation! Sur ce point, ça me rappelle la superbe tout autant qu'excellente série Pitchi poï, malheureusement trop peu connue!
- l'humour. Souvent de base, il est parfois irrésistible (J'ai adoré quand Clarabelle lance son : «Tiens bon, mon sauveur, j'arrive!»), mais parfois plus songé, plus fin - comme quand Minnie et Clarabelle traitent les autres d'esclavagistes... alors qu'elles exploitent Dingo comme jamais! Amusant!
Le petit plus
le jeu de mot avec Max et Ronald, scientifiques mais aussi producteurs de hamburgers auxquels on ne peut résister! J'ai adoré la subtilité avec laquelle l'auteur introduit ce gag. Il nomme ces deux personnages, sans appuyer sur la consonance de leurs noms. Ce sont des scientifiques qui trafiquent les odeurs et les arômes, à la demande du véreux Rock Füller. J'avais subodoré la ressemblance, mais le lien avec la chaîne de restauration rapide ne se fait que plusieurs pages plus loin, quand les hamburgers apparaissent. Personnellement, ça m'a rendu fier d'avoir pressenti l'allusion avant qu'elle ne devienne claire! Vive la subtilité!
À lire aussi : la critique de Yaneck et celle des Blog Brother.
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