MA MAMAN EST EN AMÉRIQUE, ELLE A RENCONTRÉ BUFFALO BILL
Scénariste(s) : Jean REGNAUD
Dessinateur(s) : Émile BRAVO
Éditions : Gallimard
Collection : X
Série : Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill
Année : 2007 Nb. pages : 122
Style(s) narratif(s) : Roman graphique
Genre(s) : Quotidien, Récit psychologique, Humour tendre, Drame familial
Appréciation : 5 / 6
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Je cherche ma maman, zan-zan-zan...
Écrit le samedi 09 mars 2013 par PG Luneau
En cette semaine de relâche, je me suis fait le cadeau de ramener à la maison certains des albums que j’ai achetés pour la bibliothèque de l’école, question de les lire avant qu’ils ne prennent le chemin des rayons. Mes prochaines critiques seront donc ostensiblement orientées jeunesse!
Et à tout seigneur, tout honneur! Je me dois de vous l’avouer, je suis littéralement en amour avec Émile Bravo! Enfin, pas avec lui personnellement, mais plutôt avec ses dessins! J’ai découvert ce bédéiste avec ses Épatantes aventures de Jules (dont je n’ai lu que le premier tome, que j’ai trouvé tellement intelligent que je me suis juré que j’allais me réserver un temps de grâce pour lire les autres… temps de grâce que je ne me suis toujours pas accordé!), puis avec son excellent remake de Spirou, le Journal d’un ingénu. Mais c’est surtout grâce à son fabuleux roman allégorique C’était la guerre mondiale, qui rapporte tous les moments forts du conflit de 39-45 dans le contexte d’une chicane de cour d’école qui prend des proportions démesurées, que mon amour pour ses dessins, et ses livres en général, a explosé! Il s’agit d’un bouquin édifiant et génial, que je recommande à tous! Tenez-vous le pour dit : mon regain d’intérêt pour monsieur Bravo est tel qu’une autre de ses séries, celle parodiant les contes de fée classiques de notre enfance, sera bientôt en vedette dans cette Lucarne. Ce n’est qu’une question de semaines!
Mais pour le moment, je me suis enfin plongé dans le petit one shot dont on a tant parlé sur le Net, et qui a remporté une kyrielle de prix dans plusieurs festivals, et j’ai nommé : Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill, livre qu’il a illustré pour le compte de Jean Regnaud, un scénariste avec qui il avait déjà travaillé (sur la série Aleksis Strogonov, série que je cherche désespérément à compléter, d’ailleurs, avis aux vendeurs intéressés!! ;^)
Déjà, avouez qu’avec un titre aussi long, cette petite plaquette de 122 pages s’enrobe d’un intrigant mystère, non?! On y fait la connaissance du charmant petit Jean, un gamin qui entre en première année (en CP1, en fait, puisqu’il vit en France!), et qui réalise soudain qu’il est le seul de ses camarades de classe à ne pas connaître le métier de sa mère!! Et pour cause : celle-ci est partie depuis si longtemps que c’est à peine s’il se souvient de son visage!… Et encore, c’est surtout grâce au tableau d’elle qui trône au-dessus du manteau de la cheminée, chez ses grands-parents maternels!!
De fil en aiguille, Jean nous présentera son petit univers par le biais des gens qui gravitent autour de lui : son père, hermétique et distant, son petit frère, Paul, et Yvette, la jeune gouvernante qui s’occupe d’eux depuis quelques années. On rencontrera aussi quelques copains de classe mais, surtout, la jeune Michèle, la voisine, celle qui, étrangement, reçoit des cartes postales de la mère de Jean, et qui daigne les lui lire… Encore heureux, car le pauvre Jean, lui, n’en est pas encore là dans ses apprentissages!!
Au fil des courts chapitres, chacun axé sur un personnage en particulier, et coloré d’une couleur bien spécifique, on découvrira différents indices qui nous mettront peu à peu la puce à l’oreille. Qu’en est-il exactement? Pourquoi tant de gens regardent-ils Jean avec un air éploré? Pourquoi le force-t-on à rencontrer le psychologue de l’école? Qu’est-ce qui se passe réellement avec la mère de Jean?
Vous l’aurez deviné, Ma mère est en Amérique… est un mini-roman graphique des plus riches, jouant sur le décalage entre la vision très enfantine que le jeune Jean porte sur son petit monde, et certains aspects de sa cruelle situation. Tout en subtilité, et sans jamais verser dans le pathos (loin de là!), Jean Regnaud nous montre un touchant portrait de ce à quoi devait ressembler la vie de deux jeunes garçons sans leur maman, dans les années 70 (car c’est là l’époque où les auteurs ont choisi de situer leur récit). La fraîcheur des dessins de Bravo, faussement naïfs, et la candeur du jeune héros, magnifiquement rendu par la plume de monsieur Regnaud, font de cette petite perle un bijou de tendresse qu’il fait bon mettre entre toutes les mains, dès 8 ans. Certainement que les plus jeunes ne saisiront pas tout, mais qu’importe… D’ailleurs, n’est-ce pas là le propre de chacun de nous?? Ne comprenons-nous pas ce qui nous arrive que dans les limites de nos perceptions, elles-mêmes fortement biaisées par notre affect ou nos croyances?? Et n’est-ce pas là (mais d’une façon bien plus agréable et subtile, heureusement!) le propos de l’ouvrage??
Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill est donc un album bonbon que tous apprécieront… et je défie quiconque de ne pas développer d’empathie à l’égard du jeune héros! Une lecture sympathique et maternelle… sur l’absence de la mère : il fallait le faire, quand même!!? ;^)
Plus grandes forces de cette BD :
- le format. C’est assez inusité, pour ne pas dire incongru, de présenter aux jeunes un format roman graphique d’autant de pages! On est loin de l’album grand format de 48 planches auquel ils sont habitués! Bravo à Gallimard d’oser sortir des normes!
- les dessins de mon dessinateur chouchou. Sous leurs airs enfantins, on peut aisément reconnaître les petits nez ronds et les points noirs des yeux qui ont fait la renommée du grand Hergé! C’est qu’Émile Bravo est un des héritiers de la fameuse ligne claire! Mais contrairement à ceux du créateur de Tintin, ses dessins sont toujours pleins de charme, de fantaisie. J’adore!!
- l’humour. Il est latent, tout au long de l’album. Le ton y est toujours léger, amusant, l’humour tranquille et mignon… Rien à se taper sur les cuisses, mais de quoi sourire béatement tout au long de notre lecture. et ce, malgré certains propos très durs, comme la violence familiale qui sévit chez Michèle, la petite voisine! J’ai particulièrement aimé quand la maîtresse se présente, au début de l’album, et que le héros, qui débute sa première année sans savoir lire, croit qu’elle vient d’écrire son nom au tableau… alors qu’il s’agit en fait de la date!
- les nombreux phylactères ne contenant que des dessins ou des idéogrammes. Ils nous obligent à porter attention aux détails (car ces dessins reviennent souvent, et font référence à certains éléments du récit) afin de décortiquer le message… mais même les non-lecteurs pourront comprendre, s’ils restent bien vigilants.
- la mise en page très aérée. En fait, elle est très originale, tablant sur de nombreuses pleines pages ou sur la juxtaposition de vignettes sans cadre, sur des fonds aux à-plats monochromes, une couleur pastel par chapitre! Les décors, très simples ou absents, et les vignettes souvent très grandes, d’une très grande lisibilité, forment un environnement très stylé qui nous force à nous centrer sur les expressions et la gestuelle des personnages, sur les émotions…
- le découpage en chapitres, intercalés d’interludes d’une planche qui viennent renchérir ou compléter le contenu du chapitre qui vient de se terminer. Cette structure répétitive ponctue notre lecture et lui donne un rythme intéressant.
- la construction intelligente du récit, avec le mystère sur ce qui est advenu de la mère qui s’étiole peu à peu, mais toujours en subtilité, en laissant toujours planer un petit doute…
Ce qui m’a le plus agacé :
- la couverture, qui ne rend pas assez justice, à mon sens, au talent de Bravo. Vous le savez maintenant, j’en ai parlé à maintes reprises (dont ici), je n’aime pas trop les colorations aux effets de pastellisation, aux couleurs vaporeuses…
- quelques référents moins évidents. Les Séss, par exemple (qui me semblent être l’équivalent de nos services sociaux), n’évoqueront malheureusement rien aux jeunes lecteurs d’ici... Ni même aux moins jeunes, d’ailleurs!!... (P.S. : Vérifications faites, il s’agit des Sections d’Éducation Spécialisée, service qui chapeautait, à l’époque, les classes spéciales pour jeunes déficients!)
- certaines allusions plus obscures. Qui sont les Ossard, finalement? J’ai cru, un temps, qu’ils étaient les grands-parents maternels, mais on avait déjà vu ces derniers dans un chapitre antérieur!! Je ne comprends pas trop, finalement, leur lien avec la famille de Jean… Il y a tant de non-dits!
- la longueur. Malgré ses 122 pages, ce livre se lit beaucoup trop rapidement : on en veut encore et encore et encore!! Et encore!!... ;^)
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