#01- LE DÉSESPOIR D'UNE OMBRE
Scénariste(s) : Thierry ROBIN
Dessinateur(s) : Thierry ROBIN
Éditions : Delcourt
Collection : Conquistador
Série : Koblenz
Année : 1999 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Fantastique, Historique ésotérique, Récit psychologique
Appréciation : 4 / 6
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Docteur ès inexplicable
Écrit le vendredi 29 avril 2011 par PG Luneau
Quand l’inexplicable s’immisce dans votre vie, quand les mystères de votre quotidien deviennent si peu rationnels que vous n’y comprenez plus rien, quand vous avez épuisé toutes les ressources traditionnelles et qu’aucune n’a réussi à éclaircir votre situation, il est temps de faire appel au docteur Koblenz!
Quel étrange bonhomme que ce Koblenz! Un être mystérieux, renfermé, qui cache derrière son visage sévère une puissance magique insoupçonnée! Il semble porteur de lourds secrets, et ne doit pas avoir beaucoup d’amis. Heureusement, la belle Clara, son assistante, le suit partout car, quoi qu’il puisse en penser, il lui arrive d’avoir besoin du support de quelqu’un d’autre… pour entrer en contact avec les morts, par exemple!
Dans cette première «enquête», le docteur Koblenz répond à l’invitation de monsieur Wegener, un très riche magnat de l’industrie lourde. L’époque? Difficile à dire, tant l’univers mis en place par Thierry Robin a des allures de fantastique… mais je dirais la toute fin du XIXe siècle. Le lieu? Une vallée allemande, anciennement florissante, apparemment, mais dorénavant totalement tapissée d’usines, de mines, de forges, de cheminées… et couverte d’un morbide manteau de fumée noire, faisant office de nuages! Le problème? Depuis quelques temps, les usines sont sauvagement «attaquées» par une entité sombre qui saccage tout, faisant exploser fournaises et chaudières, démolissant murs et ateliers. Quelle est cette entité surnaturelle? D’où vient-elle et, surtout, que veut-elle? Ce sont là les questions auxquelles Koblenz et Clara devront répondre, et ils auront bien peu d’éléments pour débuter leur enquête, car la famille Wegener est bien peu bavarde, et semble cacher de lourds secrets…
Dans une ambiance mystérieuse, qui n’est pas sans rappeler celle qu’on retrouve dans Jane Eyre ou dans les Hauts de Hurlevent, des sœurs Brönte, et avec une touche de fantastique malsaine, comme dans le Portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde (dont j’ai critiqué la version BD, il y a peu), Thierry Robin nous sert une petite série bien étonnante. On est dans le fantastique, mais celui d’Edgar Allan Poe, celui des amulettes et des forces surnaturelles inexplicables. Ça fait très différent de la si populaire heroic fantasy qu’on nous sert si souvent ces temps-ci, à toutes les sauces! L’époque dépeinte et les couleurs terreuses et mornes contribuent évidemment à donner cette impression de poussière et de vieillot : les costumes sont empesés et les secrets de famille, tout aussi denses…
Il est curieux de constater qu’une même thématique (les phénomènes inexplicables expliqués par un étrange sage) puisse être abordée de façon diamétralement opposée! Dans la série Sir Pyle S. Culape, c’était sous l’angle de l’humour (parfois mordant) et de la caricature dérisoire. Ici, on est dans l’intense réalisme et l’impressionnisme : toute trace d’humour a été totalement évacuée! Le dessin très anguleux et saccadé de Thierry Robin sert bien cette thématique, en donnant aux personnages et à tout ce qui les entoure un côté cassant, parfois un peu inquiétant.
De même, il est tout aussi curieux qu’un même artiste puisse nous éblouir dans des genres littéraires totalement différents. En effet, malgré le caractère très sombre de cet album-ci, on reconnaît néanmoins les traits du Petit Père Noël, cette charmante série de BD sans texte que dessine monsieur Robin, dans un tout autre registre, pour les bouts de chou qui ne savent pas encore lire, ou ceux de Zappa et Tika, sa série de S.F. humoristique pour les jeunes de neuf ans et plus!
Koblenz est une série qui est passée pas mal inaperçue, il me semble! Les trois autres tomes offrent apparemment trois autres enquêtes dans des contextes totalement différents : le tome #2 dans le monde arabe, le tome #3 dans le Japon des shoguns et le dernier semble nous ramener dans l’Europe industriel… Ces tomes-là sont-ils aussi déstabilisants que celui-ci? Il me faudra les lire pour le savoir, mais j’ai déjà l’impression que j’y prendrai un grand plaisir!
Koblenz, une série au graphisme recherché, que je recommande aux amateurs d’ambiances étranges et de paranormal, à partir de 13 ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- une mise en page inventive. Dès la page 1 (!), avant même la page-titre, Robin nous surprend en nous balançant une explosion d’usine qui fracasse les cadrages réguliers pendant trois pages (ce qui oblige Delcourt à imprimer ses copyrights sur le troisième de couverture!). Puis, tout au long de l’album, l’artiste s’amuse à déformer ses cadres de vignettes, ou à les décorer de fioritures baroques du plus bel effet. Ça fait très graphique, comme dirait mon ami Marsi.
- l’ambiance, étouffante, lourde et empesée!! La pollution de cette cité métallurgique y est évidemment pour beaucoup… mais ce n’est rien à côté de l’étrange froideur qui se dégage du personnage principal, en totale opposition avec la chaleur torride qui s’échappe des incommensurables forges de cet industriel allemand!
- le personnage si étrange de Koblenz, qui se fait payer en années de vie !?! Ses pouvoirs magiques et ses connaissances en occultisme sont impressionnants, et il se dégage de lui comme une aura de mystère insondable. Quel caractère! Je n’aimerais pas le croiser dans une ruelle, par une nuit sans lune!
- l’intéressante coloration. Chaque lieu a sa couleur… Le rouge orangé des fournaises des forges est renversant, surtout qu’il contraste totalement avec la grisaille générale qui transcende de tout l’album! Un superbe travail de la part du coloriste… Thierry Robin!!
- les nombreux passages sans texte. De manière générale, ce récit est très peu verbeux. Monsieur Robin préfère nous montrer les choses et nous les faire ressentir. Ça nous donne droit, entre autres, à deux ou trois plans-séquences silencieux fort intéressants!
Ce qui m’a le plus agacé :
- le rythme du récit. Il aurait été plus pertinent de laisser les ambiances s’installer un peu plus, de leur laisser le temps de faire leur effet sur le lecteur!! Là, on passe très vite d’une scène à l’autre, sans qu’on puisse pleinement savourer le «thrill» du moment. À la fin de chaque séquence, j’étais un peu insatisfait… Un format de 56 ou 64 pages aurait probablement été plus adéquat.
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