#01- LE PLATEAU DU CROQUEMITAINE
Scénariste(s) : Olivier Gilleron dit OLIER
Dessinateur(s) : Marc Armspach dit MARKO
Éditions : Bamboo
Collection : X
Série : Godillots
Année : 2011 Nb. pages : 47
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Drame de guerre, Historique, Humour
Appréciation : 4.5 / 6
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Dans la troupe, y a pas d'jambe de bois...
Écrit le dimanche 24 février 2013 par PG Luneau
J’entends déjà vos exclamations d’étonnement!! «Quoi!!! Est-ce possible?!?! L’Explorateur BD se laisse aller à lire un récit sur la Première Guerre mondiale??!!»
En effet, ceux qui me connaissent bien savent certainement que si je suis un passionné d’histoire ancienne, de la préhistoire au début du vingtième siècle (qu’est-ce que c’est bon, Downton Abbey!!! ;^), je décroche tout autant quand les histoires se déroulent après 1914, justement!!! Donc, vous comprendrez que les récits racontant les deux Grandes Guerres ne figurent pas très haut dans mes palmarès, tant en version romans que films ou BD!!!
Oh! Il m’est arrivé à quelques reprises de me buter – et de grandement apprécier!! – certains récits de guerre. Par exemple, je suis allé voir Un long dimanche de fiançailles pour Audrey Toutou, et j’ai été subjugué par la très juste reconstitution des guerres de tranchées… Puis, il y a bien ma très chère Bécassine qui a su m’amadouer… mais c’est plus dû à sa personnalité qu’au contexte lui-même (à ce sujet, une petite anecdote : mes critiques des albums Bécassine pendant la grande Guerre, Bécassine chez les Alliés et Bécassine mobilisée sont parmi celles les plus lues et fréquentées de ce blogue, ce qui me pousse à croire que ces albums sont au cursus scolaire français!!)
Mais voilà qu’une nouvelle série publiée chez Bamboo me faisait de l’œil depuis quelques mois : avouez que cette couverture est alléchante, quand même!! Je me suis donc laissé tenter et j’ai lu le premier tome des Godillots!
Olier et Marko, les créateurs, nous entraînent d’entrée de jeu sur le front, là où l’espoir est rendu d’autant plus difficile que les pertes y sont quotidiennes.
L’inquiétant Plateau du croquemitaine, no-man’s-land placé sous la surveillance d’un mitrailleur allemand particulièrement dévastateur, sépare les tranchées remplies de Poilus français de leur arrière-garde, là où les repas sont préparés! Ainsi donc, pour ravitailler les pauvres soldats cantonnés en première ligne, il faut que certains «volontaires» traversent ce fameux plateau avec la popote roulante, idéalement de nuit, et sans le moindre bruit, afin d’éviter d’alerter le canonnier ennemi!
C’est ainsi que le volubile et cinglant Palette se voit octroyer cette charge, sans vraiment l’avoir demandé. On lui assigne pour l’assister le très imposant mais taciturne Le Bourhis. À eux deux, ils tenteront de réussir là où leurs prédécesseurs se sont fait canarder ad patres. Ce faisant, ils découvriront un no-man’s-land pas si «no-man’s» que ça et verront leur sens moral mis à l’épreuve lorsqu’ils seront confrontés à des situations souvent peu évidentes. Comment parviendront-ils à survivre d’abord, puis à rester intègres à eux-mêmes ensuite? C’est ce que vous saurez en lisant ce premier tome de série.
Raconté comme ça, on pourrait croire que cet album fait dans le sombre et le tragique… Mais c’est sans compter les personnalités colorées des personnages (tant les deux protagonistes que tous ceux qui les entourent), le sympathique graphisme joyeusement semi-caricatural et le sarcasme fort présent en cette période où chacun doit bien se raccrocher à une bouée de sauvetage quelconque pour survivre sainement à toutes ces atrocités. Soyez toutefois rassurés : on est très loin du burlesque de séries comme les Tuniques bleues, à laquelle on pourrait peut-être penser en feuilletant cet album : l’humour ici n’est pas le moteur du récit, mais bien un ajout intelligent et réfléchi qui permet de dorer la pilule, permettant tant aux soldats qu’aux lecteurs de tolérer l’angoisse, le stress, la crainte de crever d’ici peu, de surmonter tant bien que mal les horreurs de la guerre…
Bref, je dirais que les éditions Bamboo ont mis la main sur une série bien prometteuse, amusante tout en restant sérieuse, qui laisse présager encore de bien belles aventures et de bien intéressantes réflexions. Un récit de guerre que l’Explorateur BD que je suis a beaucoup apprécié (eh oui!!)… mais qu’il ne ferait pas lire aux jeunes de moins de douze ans, toutefois!
Pour votre info : le tome #2, intitulé l’Oreille coupée, est sorti chez nos amis européens un peu avant Noël… peut-être même est-il déjà arrivé chez nous??
Plus grandes forces de cette BD :
- sa couverture, toute pâle, vaporeuse et satinée… Sa blancheur, face au caractère assez sombre du contexte, apporte un contraste plus qu’intéressant, contraste renforcé par la désinvolture évidente du gamin qui accompagne les deux soldats à l’affût!
- les personnages principaux… et leur dynamique! Quel plaisir d’entendre Palette toujours en train de commenter, de se plaindre ou de soliloquer à propos de tout et de rien, alors que Le Bourhis reste perpétuellement imperturbable et peu loquace. C’est là un super duo qu’Olier vient de mettre en scène! Je nous souhaite de les côtoyer longtemps!
- l’humour, savamment dosé. Comme je l’expliquais plus haut, ce récit passerait probablement bien moins efficacement sans l’humour qui survient assez régulièrement, principalement par l’entremise des répliques sarcastiques de Palette, de la naïveté toute innocente du jeune Bixente ou des facéties drolatiques de la petite mascotte de service : un tout mignon petit ouistiti!
- une finale surprenante, surtout pour une BD qui se veut jeunesse… Lartigot est un personnage complexe et fascinant tant ses motivations et ses manigances sont tordues. Ça fait plaisir de voir que certains auteurs considèrent leurs jeunes lecteurs suffisamment intelligents pour assimiler de telles péripéties… mais cela confirme aussi ma mise en garde : je crois que les enfants de moins de douze ou treize ans feraient mieux d’attendre quelques années avant de se lancer dans les Godillots!!
Ce qui m’a le plus agacé :
- la grande différence entre la coloration toute douce et subtile de la couverture et les couleurs de l’intérieur, qui sont généralement trop prononcées, trop monochromes et trop sombres à mon goût! Elles sont si peu intéressantes que j’ai longtemps eu l’impression que les dessins de l’album comme tel étaient beaucoup moins bien réussis que celui de la couverture, que leurs traits y étaient plus grossiers, plus bâclés… mais après analyse, c’est vraiment la coloration à outrance de Marko qui me donne cette impression! Saura-t-il ajuster le tir pour le tome #2??
- les patronymes! D’abord, celui du personnage central : Palette! Tu parles d’un nom… surtout pour un soldat chargé du ravitaillement!! Un bon rôti, avec ça?!! Mais ce n’est plus rien une fois qu’on apprend celui du gamin rescapé : Bixente Bisaïchipy. J’ai tant de difficulté à croire à un tel nom… que je suis sûr qu’il existe, car dans ce genre de chose, la réalité dépasse toujours la fiction!! ;^) (Vérification faite, le Net me confirme que ce nom de famille existe bel et bien en France, quoique très peu fréquent!)
- le langage très argotique. Ouf! Qu’est-ce que j’en ai galéré!! Bien sûr, on est au début du XXe siècle et les soldats français provenaient tous de patelins différents. Monsieur Olier veut sans doute marquer le coup et démontrer la diversité d’origines de ses protagonistes en leur donnant chacun un vocabulaire bien de chez-lui, qui campagnard, qui argotique… Mais pour un étranger comme moi, disons que j’ai surtout apprécié la poésie phonétique de plusieurs répliques, mais sans être touché le moins du monde par leur sens véritable… Heureusement, je ne m’en porte pas plus mal, et je n’ai pas l’impression d’avoir manqué quelque chose : c’est bien là le principal, non??
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