#01- UNE SACRÉE MAMIE
Scénariste(s) : Yôshichi SHIMADA
Dessinateur(s) : Saburô ISHIKAWA
Éditions : Delcourt
Collection : Ginkgo
Série : Une sacré mamie
Année : 2005 Nb. pages : 224
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (Manga)
Genre(s) : Quotidien, Récit psychologique, Drame familial
Appréciation : 4.5 / 6
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Quand être pauvre ET heureux s'avère possible!
Écrit le samedi 16 février 2013 par PG Luneau
Hiroshima, 1958. Treize ans après les atrocités, la vie tente de reprendre son cours. Mais ce n’est pas simple pour une jeune femme seule, surtout si elle doit élever deux enfants! Serrée à la gorge et démunie, la pauvre Hikedo doit se résoudre à un acte déchirant : envoyer son plus jeune à la campagne, chez sa propre mère!! Rien n’avait préparé le jeune Akihiro à ce mode de vie rude et minimaliste, auprès d’une grand-mère qu’il n’avait à peu près encore jamais vue!!
Mais suite à cette introduction intense en émotions fortes, que de doux plaisirs on ressent en assistant à ce lent apprivoisement mutuel, alors que mamie Osano montre à son petit-fils ses routines de vie tout en lui inculquant des valeurs simples mais essentielles!! C’est à une belle dose de bonheur tranquille que messieurs Shimada et Ishikawa nous convient, dans une ambiance calme et sans éclat, comme seule la campagne peut nous offrir!… J’y retrouve le même apaisement rural que lorsque je lis la magnifique série Magasin général, de Loisel et Tripp!
Yôshichi Shimada est un comédien et un humoriste célèbre au Japon. Il a écrit, il y a quelques années, un livre à forte teneur autobiographique, où il raconte, d’une manière un peu romancée, comment, tout jeune, il a dû partir vivre loin de chez-lui, chez sa grand-mère qui vivait à la campagne. Suite au succès de ce livre, Shimada a décidé de l’adapter pour en faire un manga. Les aventures d’Akihiro et tous les personnages qu’il rencontre, s’ils ne sont pas réels, restent fortement inspirés du vécu de cet artiste… même (et surtout!!) la forte personnalité du personnage de la grand-mère!!!
En effet, la plus grande force de cette mignonne petite série, ce qui fait tout son charme, ce sont les touchantes leçons de vie que cette sacrée mamie insuffle à son petit-fils, principalement celles en lien avec sa relation à l’argent… ou plutôt à la difficulté d’en avoir! Car cette grand-mère, elle travaille énormément pour garder le peu qu’elle possède. Elle se fait donc un point d’honneur de ne pas dépenser inutilement, et de récupérer tout ce qui peut l’être!! «Réutiliser, Récupérer, Recycler, Réduire», ce n’est pas un concept si récent, finalement!! Déjà, cette vieille dame aux abords un peu rude avait assimilé cette mentalité, comme la plupart de nos ancêtres, nécessité oblige! Mais jamais, au grand jamais, elle ne laisse le misérabilisme lui troubler le moral. «On est pauvre, c’est comme ça, et on se débrouille très bien avec le peu qu’on a!!» C’est en gros le message qu’elle livre à son jeune descendant… Et j’adore cette philosophie!! J’ai toujours cru qu’on était, en grande partie, l’artisan de son propre bonheur, et cette mamie me prouve que c’est possible! Il n’y a pas d’extra avec le riz?? C’est que le riz est mieux ainsi : ce n’en sera que meilleur pour notre ligne, et on appréciera encore plus le prochain extra qu’on aura! On n’a pas d’argent pour s’acheter de l’équipement sportif?? On n’a qu’à opter pour la course : ça n’en demande pas!! Finalement, tout est une question de point de vue : plutôt que de se rendre malheureux à regarder ce qu’on ne pourra pas avoir, pourquoi ne pas trouver le positif du peu qu’on a??! De plus, la bonne vieille dame est une championne écologiste!! En plus d’inculquer à son petit-fils de belles valeurs de simplicité, de débrouillardise et de gros bon sens, elle lui apprend à récupérer (grâce à son mini-barrage sur la rivière) les fruits et légumes «moins parfaits» que le courant transporte depuis le marché du village qui se trouve en amont (les marchands jetant leurs invendus à la rivière en fin de journée!). Ou encore, elle lui montre comment laisser traîner derrière lui un aimant, au bout d’une corde, de façon à récolter tous les petits bouts de métal qui peuvent traîner par terre, sur les chemins environnants… question de pouvoir les revendre à un ferrailleur! Peut-on être plus récupérateur que ça?? Puis elle choisit toujours les blocs de tofu dont les coins ont été légèrement émiettés… et les obtient à rabais!! Avec elle, pas question de se laisser dicter nos façons de faire par des détails comme l’apparence, les modes ou les qu’en dira-t-on!
Sur le plan graphique, Saburô Ishikawa se débrouille très bien. Ses mises en page sont efficaces et ses traits, bien maîtrisés. Il semble toutefois accorder une attention toute particulière aux bâtiments et aux éléments architecturaux. Chaque fois que nous revoyons la demeure d’Osano, c’est un véritable chef d’œuvre de minutie et de détails : le toit de paille semble réel tant les textures y sont fignolées!! Quant aux personnages, ils sont beaucoup plus caricaturaux et dépouillés! D’ailleurs, quand je regarde le jeune Akihiro, je n’arrête pas de revoir mentalement Yolande et ses ignobles triplets de frères, du dessin animé Mini-Fée de mon enfance, tant il leur ressemble!! ;^)
Bref, ce manga des plus agréables et attendrissants saura, d’après moi, charmer à peu près tout le monde dans la famille, à différents niveaux. Je vous le recommande fortement, dès neuf ans.
À lire aussi : la critique que Yaneck a faite du tome #2 et celle que Jérôme a faite… du tome #3! (mais pourquoi diable n’ont-ils pas débuté par le commencement??! ;^).
Plus grandes forces de cette BD :
- certaines émotions fortes. Avec le déchirant choix de la mère d’Akihiro, dès les premières pages et, surtout, la façon dont la séparation s’effectue, on est pas mal à fond dans le pathos… mais pourquoi pas?! Une fois de temps en temps, ça peut faire du bien de se rincer les canaux lacrymaux!! :^) Le chapitre sur la visite de la mère est aussi riche en émotions… Mais ça ne fait bien que deux chapitres crève-cœur sur huit!! ;^)
- les superbes décors, de qualité «photographique», beaucoup plus fignolés que les personnages. J’adore ces illustrations d’un raffinement et d’une perfection extrêmes! Elles me rappellent le grand talent de Jirô Taniguchi, le célèbre mangaka, auteur d’Un zoo en hiver, notamment… Mais comment ne pas être subjugué par le nombre incroyable d’heures de travail qui se cachent derrière ces petits chefs-d’œuvre!!
- la personnalité de la grand-mère et sa philosophie. Il y a tant de ses réflexions qui me parlent! J’adore son concept de pauvreté heureuse et de pauvreté triste, son ingéniosité à profiter de ce qui se présente (comme son épicerie à même la rivière!), son positivisme à toute épreuve… Vraiment, un personnage très inspirant : on comprend aisément pourquoi l’auteur tenait tant à nous la faire connaître!
Ce qui m’a le plus agacé :
- une peccadille : la typographie du nom des auteurs, sur la couverture! Elle est totalement illisible!! Perso, je lisais Lhimada et Laburo Jshikawa au lieu de Shimada et Saburô Ishikawa!! C’est d’autant plus gênant que c’est le nom des auteurs : disons que ça n’aide pas à trouver des références sur eux!
- la dichotomie entre le graphisme des personnages et celui des décors. On le constate un peu sur la couverture, déjà, mais j’avoue que la couleur atténue ce contraste. À l’intérieur, la simplicité des dessins des personnages (tant les traits rondouillets, qui frisent presque la caricature, parfois, que les proportions, les vêtements ou les postures) détonne franchement beaucoup trop souvent d’avec la perfection picturale des bâtiments qui les entourent.
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