#01- LES ENFANTS DU CAPITAINE GRANT, DE JULES VERNE
Scénariste(s) : Alexis NESME, Jules VERNE
Dessinateur(s) : Alexis NESME
Éditions : Delcourt
Collection : Ex-Libris
Série : Enfants du capitaine Grant, de Jules Verne
Année : 2009 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1/3)
Genre(s) : Héros animalier, Aventure, Historique, Humour naïf, Adaptation littéraire, Classique
Appréciation : 5 / 6
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De la pure aventure et du pur sublime : wow!
Écrit le mardi 18 janvier 2011 par PG Luneau
Dans ma jeunesse, je lisais le magazine Vidéo-Presse tous les mois, d’un couvert à l’autre. J’en retiens bien sûr le plaisir d’avoir appris des tonnes de trucs grâce aux articles informatifs, mais aussi de très bons souvenirs de lecture de BD. La passionnante et très distrayante série Tatosuk n’a pas froid aux yeux, qui se déroulait chez les Inuit, m’avait tenu en haleine pendant une année complète. Je me suis d’ailleurs toujours demandé pourquoi ce palpitant récit québécois, d’Yves Perron, n’a jamais été publié en album : cette héroïne inuk et ses amis méritaient grandement de voir leurs péripéties devenir une série en bonne et due forme… peut-être n’est-il pas trop tard?!
Une autre série qui m’avait jeté par terre, c’est l’adaptation BD de l’Île mystérieuse, de Jules Verne, dessinée par l’Italien Franco Caprioli, un bédéiste assez populaire à l’époque. Son dessin réaliste me plaisait assez moyennement, mais sa version de ce grand classique, auquel j’étais confronté pour la première fois, m’avait fait rêver comme ce n’est pas permis. Il en a été de même, quelques mois plus tard, quand le magazine a débuté la parution d’une autre des aventures du grand Verne par ce même dessinateur : les Enfants du capitaine Grant. J’ai embarqué dans cette histoire avec une passion folle, m’identifiant totalement à ces deux enfants, lancés sur les océans du monde entier à bord d’un superbe trois-mâts, à la recherche de leur père, le capitaine Grant, disparu lors d’un naufrage. Malheureusement, monsieur Caprioli, le fameux dessinateur italien, est mort subitement sans avoir pu compléter son œuvre! Vidéo-Presse nous avait quand même présenté ses dernières planches, incomplètes, à peine crayonnées. Ces images ont marqué mon imaginaire… mais je n’ai jamais trouvé le temps de me replonger dans ce récit, ni dans sa version originale, ni dans une autre version, malgré mon grand intérêt.
Voici qui est maintenant chose faite grâce à Alexis Nesme. Ce bédéiste aux talents d’illustrateur hors norme, s’attaque à son tour à ce passionnant récit. Et quand je dis passionnant, c’est presque un euphémisme! En effet, Jules Verne n’y est pas allé de main morte dans ce roman : les péripéties les plus variées s’y enchaînent à une vitesse si folle qu’on a l’impression que tous les malheurs de la terre tombent sur la tête de cet équipage : tempête, passager clandestin, avalanche, traversée de désert aboutissant à un lac asséché, attaque de loups, inondation, incendie, attaque de caïmans… et même un rapt aérien dont Hergé s’est très certainement inspiré pour son Temple du Soleil! Alexis Nesme a bien respecté ce feu roulant, incessant et trépidant.
Il l’a même subjugué en l’illustrant d’une manière divinement remarquable. J’ai été littéralement soufflé par la magnificence de ses dessins et, surtout, de ses lumières fabuleuses. Sa décision d’opter pour des personnages animaliers pourrait paraître discutable et rappellera peut-être un peu trop, aux connaisseurs, la série de dessins animés le Tour du monde en 80 jours. Pourtant, le graphisme de monsieur Nesme est d’une splendeur qui mettra fin à toute comparaison. D’ailleurs, ce choix scénaristique sert tout à fait le récit, qui est un des plus humoristiques que Jules Verne ait écrits, à cause de la présence loufoque du lunatique professeur Paganel.
C’est donc avec un plaisir immense que j’ai retrouvé cet univers qui m’avait tant charmé, étant enfant, mais dans un emballage mille fois plus rutilant! J’ai passé un merveilleux moment à lire cet album, et je suis sûr que vous l’apprécierez aussi, peu importe votre âge! Vivement la suite!
Plus grandes forces de cette BD :
- la superbe couverture. La maquette et la typographie, en rouge et or, reprennent un peu le style baroque utilisé par les éditions Hetzel, celles qui lançaient les romans de la série les Voyages extraordinaires de Verne, au XIXe siècle. La splendide illustration de la couverture, la page-titre ainsi que la vieille carte du monde parcheminée qui illustre les pages de garde sont également remarquables. Nous sommes vraiment en présence d’un très bel objet, qui témoigne d’un certain romantisme classique.
- les dessins extraordinairement léchés. En fait, nous sommes en présence d’un véritable chef d’œuvre graphique!!! Monsieur Nesme dessine vraiment de façon exceptionnelle. Ses bâtiments, ses trains et ses navires sont sublimes, et le pelage de ses personnages animaliers semble si soyeux qu’on voudrait s’y vautrer!!! Personne ne pourra s’empêcher de vouloir y toucher, pour vérifier qu’il s’agit bien d’un simple dessin.
- les travellings panoramiques. À quelques reprises, le bédéiste s’amuse à user de ce stratagème graphique par lequel les décors d’une série de vignettes s’enchaînent en continuité, alors que les personnages apparaissent dans chacune des vignettes On a ainsi l’impression que les gens avancent dans un long décor continu.
- une mise en page diversifiée. Les cases sont de dimensions très variées, et souvent agencées de façons très originales. De plus, plusieurs d’entre elles bénéficient de la présence d’un cadre à fioritures dorées, qui donne une touche de classicisme fort intéressant à l’ensemble.
- les superbes paysages de campagnes et de pampas, baignés de soleil. Ils ne sont pas sans rappeler l’iconographie féérique qui illustre souvent les romans du Seigneur des anneaux. La palette de couleurs de monsieur Nesme est tout aussi diaphane, d’une luminosité sans égale!
- l’indéniable qualité du récit. Jules Verne a définitivement le don de nous plonger dans des aventures fulgurantes, en créant d’intrigants secrets dont on veut connaître le fin fond! Et monsieur Nesme a su garder cette efficacité narrative. Dès la page 5, j’étais accro!
- la perfection atteinte dans le regard des loups, au centre de la page 32. L’illusion est si parfaitement réussie qu’on jurerait que leurs yeux, réfléchissant la lumière, sont bombés au point de ressortir de la page! Je ne peux m’empêcher de faire la comparaison avec les yeux si peu réalistes du chien, dans le tome #1 du Chineur, élément que je déplorais, il y a quelques jours à peine, en critiquant cet album!
- la collection Ex-Libris. Les éditions Delcourt ont lancé cette collection à vocation particulière il y a déjà quelques années. Elle vise à adapter en BD les plus grands classiques de la littérature mondiale. En soit, ce n’est pas très original : la plupart des éditeurs en font autant. Seulement, chez Delcourt, on a un souci de qualité graphique, ce qui n’est pas toujours le cas chez leurs concurrents! On y retrouve des classiques, comme Oliver Twist ou Tom Sawyer, mais aussi des titres moins courants, comme Boule de Suif ou le Candide de Voltaire. C’est là un beau travail d’éditions.
- la petite notice biographique sur Jules Verne, en quatrième de couverture. Comme pour chaque tome de la collection Ex-Libris, cette note occupe la moitié du verso de l’album, dans un cadre très classique qui donne un caractère solennel au tout.
Ce qui m’a le plus agacé :
- le format des pages, un peu trop petit pour la somptuosité des dessins. En effet, ces mini-chefs d’œuvres, dignes du Livre des Très Riches Heures du Comte de Berry, mériteraient des vignettes beaucoup plus grandes.
- le grand nombre d’encadrés narratifs très verbeux. Monsieur Nesme a opté pour conserver le mode narratif qu’on retrouve souvent dans les récits de Jules Verne, et qui était d’usage à l’époque. Ça fait en sorte que ses sublimes dessins sont trop souvent flanqués de gros pavés de textes, ce qui fait assez rébarbatif.
- les dessins du bateau. Encore une fois (voir ma récente critique de l’album les Pions de Mr K., de la série Double M), le dessinateur a oublié qu’un navire, qui plus est un trois-mâts du XIXe siècle, ne fait pas du surf sur sa quille : celle-ci devrait être profondément enfouie sous l’eau, et la ligne de flottaison devrait être pas mal plus haute! J’ai lu dans une entrevue donnée par Nesme qu’il avait délibérément triché sur les proportions pour ce navire. Je veux bien, mais à mon sens, il a ici abusé dans la tricherie!
- les cous trop longs de certains personnages. Les félins, notamment, ont souvent la tête surélevées, pour je ne sais trop quelle raison. C’est vraiment le seul changement que j’aurais imposé à monsieur Nesme si j’avais été son éditeur.
- le choix de prendre une grenouille pour personnifier le professeur Paganel. J’ai compris, en réfléchissant à la question, que Nesme voulait accentuer la distinction identitaire de ce professeur français face aux autres personnages, tous anglais, irlandais ou écossais. Toutefois, la présence d’un batracien est assez incongrue au milieu de tous ces mammifères et de ces quelques oiseaux. Ça oblige le dessinateur, ne serait-ce que pour respecter une certaine unité dans les proportions, à gonfler exagérément la tête de la grenouille. Ainsi, si le personnage a à peu près la même grandeur que les autres, il a l’air de souffrir de gigantisme parce qu’on n’a jamais vu une grenouille aussi grosse qu’un tigre ou un ours (ni même qu’un bœuf, malgré qu’on y soit passé près!). J’aurais essayé de trouver une autre façon, moins clichée, de marquer la différence entre le «French Frog» et les autres passagers.
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