#05- LE CHEVAL QUI MURMURAIT À L'OREILLE DE SHERLOCK HOLMES
Scénariste(s) : Pierre VEYS
Dessinateur(s) : Nicolas BARRAL
Éditions : Delcourt
Collection : X
Série : Baker Street
Année : 2008 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit complet et mini-récits en quelques planches
Genre(s) : Aventure policière, Humour parodique
Appréciation : 5 / 6
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Quand Holmes et Watson prennent des airs de Laurel et Hardy
Écrit le samedi 15 janvier 2011 par PG Luneau
Un album de la série Baker Street, c’est indéniablement une bulle de pur délice! Veys et Barrral ont le chic pour utiliser tous les poncifs entourant l’univers du célébrissime Sherlock Holmes et pour les exploiter à leur sauce loufoque, mais une sauce savamment dosée, qui sait rester respectueusement fidèle à l’intelligence du personnage… tout en le rendant parfaitement insupportable!! En fait, dans cette série, chaque personnage semble taré! Mrs. Hudson, la cuisinière du 221 bis Baker Street, est une alcoolique finie dont la spécialité est la méduse aux câpres (ah! le charme de la fine cuisine britannique!!). L’inspecteur Lestrade, pour sa part, est un crétin fini, juvénile et benêt, qui doit faire la honte de Scotland Yard! Mais les plus jouissifs restent évidemment Holmes et Watson, qui forment ici un duo délirant!
En fait, Sherlock reste le génie de la déduction qu’il a toujours été… mais il est de surcroît gâté, puéril, jaloux, caractériel et imbuvable de prétention! Watson, en tant que son médecin, tente de le préserver des réactions du monde extérieur et de contrôler son irascibilité. Il a aussi la délicatesse d’atténuer, dans les mémoires qu’il écrit, ces quelques particularités peu glorieuses de son «maître à penser». Le bon docteur semble donc être le marionnettiste qui manipule l’autre… mais il est lui-même profondément jaloux de l’instinct et du sens logique de son «ami» et patient. Leurs innombrables confrontations donnent lieu à des bijoux de dialogues!!
Dans cet excellent tome, notre duo choc, accompagné de l’impayable Lestrade, cherche à élucider de mystérieuses disparitions de documents dans les diverses casernes militaires du pays. Le formidable esprit analytique de Holmes les mènera à rechercher le voleur dans un cirque, où un cheval savant l’aidera à faire parler le suspect contre son gré. Ce récit de 36 pages est complété par une série de courts récits de deux ou trois pages.
De tous les dérivés de l’œuvre de Sir Conan Doyle, et ils sont très nombreux, Baker Street en est un des plus agréables qu’il m’ait été donné de lire. Malgré leur personnage emblématique commun et leur nom presque identique, il ne faut toutefois pas confondre cette série-ci avec une autre excellente série qui a débuté il y a près de deux ans maintenant, les Quatre de Baker Street. Celle-là est toute aussi enlevante, mais dans un registre plus sérieux. Deux bonnes séries, donc, pour des heures de lecture palpitante dans l’Angleterre victorien : que pourrait-on demander de mieux?
Plus grandes forces de cette BD :
- le titre clin d’œil. Vous y aviez sans doute, vous aussi, reconnu le titre du roman et du film l’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux.
- les couleurs, terreuses mais très appuyées. Les vert foncé, les bruns, les rouilles et les orangés ont rarement été aussi lumineux. Bravo à Barral et à Scarlett Smulkowski pour ce beau travail de coloration, qu’on est à même d’admirer dès la page couverture.
- l’amusante page de garde. Avec cette seule image, où les ombres ne correspondent pas à ce que font les personnages, Barral nous fait comprendre tout le burlesque de la relation entre les deux protagonistes principaux.
- l’importance accordée aux superbes plans d’ensemble et généraux. Mise à part la perspective ratée pour le bâtiment du bas de la page 12, les nombreux paysages urbains montrés dans ce tome sont, ma foi, très beaux.
- quelques jeux de mots jouissifs, souvent faciles à rater tant ils sont subtils. Je suis très fier d’avoir pu profiter du désopilant : «Un pauvre animal sans défense!!» que Watson lance en parlant de son éléphant! En fait, de par ses répliques cinglantes ou ses revirements de situations ingénieusement amenés, cette série est une des très rares qui parviennent, et fréquemment en plus, à me faire rire à voix haute. Un tour de force!
- l’excessive expressivité des visages. Barral a vraiment le chic pour les tronches délirantes. Le Watson du centre de la page 9 et le Holmes du haut de cette même page en sont de bons exemples.
- le très beau graphisme, tout en ligne claire classique. Barral a le don de dessiner son monde avec des lignes très précises, somme toute assez réalistes, tout en y glissant d’hilarantes touches caricaturales qui s’y fondent avec un naturel désarmant.
- la grandeur des vignettes. Belle décision, de la part de Barral, de ne mettre généralement que trois rangées de cases par page. Ça lui permet de dessiner dans des vignettes de grandeur fort respectable, à la hauteur de son talent.
- la relation Sherlock-Watson. Ces deux grands bébés qui se jalousent mutuellement sont vraiment tordants, et quand cet imbécile de Lestrade se joint à eux, comme la troisième roue du vélo, ça devient du délire!
- les cinq mini-récits en fin de tome. En deux ou trois planches, Veys nous dresse des petits portraits qui nous illustrent parfaitement à quel point la relation entre le génial détective et son petit assistant est tordue. Les gags intitulés «le Jour de Watson» et «Rendez-vous à Chelsea Bridge» sont les plus révélateurs en ce sens.
Ce qui m’a le plus agacé :
- la totale ressemblance physique entre Lestrade et Holmes. Même si elle a déjà été exploitée, dans les tomes précédents, pour mystifier certains criminels (Holmes se «déguisant» en Lestrade et se faisant passer pour lui), cet air de jumeaux m’a toujours mystifié. J’ai très souvent été distrait dans ma lecture, à force de toujours avoir à vérifier si celui qui parle porte (Lestrade) ou non (Holmes) cette toute fine moustache qui les différencie. En y repensant, je suppose qu’il s’agit là d’un clin d’œil aux fameux Dupondt.
- l’écriture en lettres attachées des encadrés narratifs de Watson. Cette calligraphie est un peu difficile à lire, les créateurs auraient dû en employer une plus claire.
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