#001- LE RENDEZ-VOUS DE TRINIDAD
Scénariste(s) : Jean OLLIVIER
Dessinateur(s) : Raphaël Carlo MARCELLO
Éditions : Soleil
Collection : Tout Dr Justice
Série : Doc Justice
Année : 1994 Nb. pages : 118
Style(s) narratif(s) : Courts récits complets
Genre(s) : Aventure
Appréciation : 4 / 6
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le Bon docteur de mon enfance
Écrit le jeudi 19 août 2010 par PG Luneau
«Je m’appelle Justice. Docteur Benjamin Justice. Médecin attaché à l’Organisation Internationale de la Santé. Un médecin volant, en quelque sorte. Abonné aux ligues aériennes internationales.»
Ces lignes vous disent quelque chose? Si oui, c’est que vous avez dû, comme moi, lire des Pif Gadget quand vous étiez plus jeunes! Combien de fois ai-je lu ce paragraphe, qui introduisait systématiquement tous les récits du Doc Justice dans ce magazine de mon enfance? Sûrement près d’une centaine!
Les aventures de ce médecin globe-trotter, éminent karateka et défenseur de toutes les injustices sociales, m’ont toujours fasciné. Pourtant, le dessin était de style réaliste et ces récits ont longtemps été rendus en noir et blanc, deux facteurs qui m’apparaissaient plutôt rébarbatifs, quand j’avais neuf ou dix ans! Peut-être est-ce la pureté d’âme de ce parfait héros, non seulement sans défaut mais, en plus, rempli de toutes les qualités, qui en faisait un modèle idéal pour l’enfant un brin naïf que j’étais.
Beau brunet, musclé et invincible, il avait tout pour mériter l’admiration de tous, au même titre que Rahan, qui sévissait dans les pages de ce même magazine, à l’époque. Je les préférais à Fanfan La Tulipe ou à Loup Noir, dont les dessins étaient moins soignés. Car c’est là une des qualités du trait du grand Marcello : il est d’une pureté assez remarquable, ce que le noir et blanc rendait à merveille. Bien sûr, l’enfant que j’étais a été très content quand la série s’est enfin colorée, quelque part dans les belles années 70 (avec des couleurs sûrement trop criardes, époque oblige!!). Quel malheur que la présente édition ait complètement bousillé son impression, en délavant complètement les couleurs et en abusant du jaune à outrance!!
Pour ce qui est des scénarii, je constate avec le recul que Jean Ollivier en profitait pour nous faire découvrir plein de coins de la planète, plein de peuples en détresse. Les déserts africains, les bushes australiens, les cordillères reculées des Andes, les jungles sud-asiatiques… aucun recoin n’était trop isolé pour le bon docteur, aucune tribu trop démunie pour se mériter son soutien.
Les brigands et les crapules de tout acabit n’avaient qu’à bien se tenir : Justice savait déjouer leurs manigances et les capturer suite à de spectaculaires combats superbement chorégraphiés… et documentés! Chaque machette, chaque coup de pied était baptisé de l’exact terme japonais qui le décrivait. Et qui ne se souvient pas de ses fascinants «cris qui paralysent»? Fait à souligner, malgré le grand nombre de combats auxquels il participait, Doc Justice restait toujours fidèle au code d’honneur des arts martiaux et à la digne mémoire de Hiamuri, son maître émérite : il utilisait seulement la force nécessaire, et dans l’unique but de se défendre ou de défendre une juste cause.
En lisant en rafale les sept récits (dont deux doubles d’une vingtaine de pages) qui constituent ce recueil, force est de constater qu’ils sont finalement pas mal tous conçus selon le même modèle : des démunis exploités, des exploiteurs sans scrupule, Doc Justice intervient, pif paf boum, c’est réglé, bonsoir. Le fait de les lire dans le Pif Gadget, où ils devaient paraître aux quatre ou cinq semaines, diluait le tout. En ce sens, une compilation n’est peut-être pas une formule trop gagnante. Toutefois, elle permet de faire ressortir ce que j’avais déjà découvert à l’époque : mes épisodes préférés demeurent ceux qui touchent les souvenirs d’enfance du héros, et ses apprentissages avec maître Hiamuri. Ainsi, le plus long des sept épisodes (étrangement intitulé Docteur Justice !) a donc été mon coup de cœur du recueil car on y voit le beau Benjamin passer ses épreuves pour accéder au septième dan, en escaladant le mont Fuji-Yama.
Au bout du compte, malgré toutes les imperfections matérielles de cet ouvrage et l’aspect très naïf et somme toute assez primaire des propos, les souvenirs d’enfance ont pris le dessus : j’ai beaucoup aimé retrouver ce bon vieux Doc Justice!
Plus grandes forces de cette BD :
- la préface de présentation, qui rappelle les débuts du personnage. Elle nous expose comment le scénariste a créé son héros, en 1970, et comment s’est passée la rencontre avec Marcello, qui a alors reçu le mandat de dessiner Justice avec une gueule à la Alain Delon!
- les pleines pages de titres, une pour chacune des histoires, telles qu’elles paraissaient dans les Pif Gadget. Surmontant les mots DOC JUSTICE, écrits en grosses majuscules avec un effet de perspective appuyé, la grande illustration nous plongeait immédiatement dans l’action.
- le héros. C’en est un vrai, épris de justice (tiens donc!) et d’égalité, avec des valeurs formidables et un sens moral inaltérable. En plus de toutes ses qualités, il a une belle gueule et il est médecin!!! Ce dernier point ajoute d’ailleurs un gros plus à la série : ses motivations sont très différentes de celles des journalistes-reporters et des détectives ou flics en tout genre qui ont toujours pullulé dans le vaste monde des BD.
- les leçons de judo intégrées au récit. On apprend des techniques ainsi que la philosophie de ce sport. Les différentes prises étaient présentées avec un tel raffinement qu’on aurait dit un ballet! Je me rappelle avoir souvent eu envie de me pratiquer, dans mon salon, et de répéter ces mouvements qui avaient l’air si simple à exécuter!
- la mode vestimentaire. Quelle joie de retrouver les cravates ultralarges et les pantalons à pattes d’éléphant!! Vive les années 70!
- le personnage de Bobosse, un des rares personnages récurrents de cette série. Je l’avais complètement oublié, j’ai donc été très heureux de le redécouvrir. De son vrai nom Morvan-Tugdual Le Bossonec (pfiou!), il est reporter pour le magazine de l’O.I.S. et doit suivre Justice dans ses missions. Ayant longtemps été dans la marine, c’est là que ce fier breton a développé ses talents de boxeur et son grand intérêt pour le baroud. Avec ses cheveux en bataille, ses airs de docker irlandais et sa manie de foncer sans réfléchir, il amène un côté plus viril : Benjamin a vraiment l’air de faire dans la dentelle, à ses côtés! Ainsi, il agit comme un parfait faire-valoir et ses bouffonneries entraînent des touches d’humour qui allègent souvent l’ambiance. C’est très sympathique d’assister à sa première rencontre avec le Doc.
- le personnage du grand maître Hiamuri. J’ai toujours adoré quand son vieux visage de sage apparaissait en filigrane aux côtés de celui du docteur, ce qui arrivait presque à chaque récit… à chaque fois que Benjamin a une pensée pour ce grand homme et ses enseignements, en somme! Il était comme une présence rassurante, comme un gage de réussite.
- le dernier récit, où Ben ne gagne pas! Oui, notre bon héros fait sa part et parvient à chasser les profiteurs, mais les habitants du petit village andin qu’il était venu aider décident de migrer dans les montagnes plutôt que de faire confiance à la médecine blanche. Une finale rafraîchissante parce que différente, qui laisse Dr Justice pantois… et nous avec!
- le plaisir de retrouver mes souvenirs d’enfance. Bien que je préférais les séries humoristiques et caricaturales, à l’époque, je lisais toujours les Doc Justice (et les Rahan!) avec beaucoup d’intérêt. J’ai un peu ressenti les mêmes émotions… plus de trente ans plus tard!
Ce qui m’a le plus agacé :
- une intégrale qui ne débute pas par le début. Ça manque complètement de sérieux! Le terme «intégrale», à mon sens, implique qu’on part du tout premier récit et qu’on présente tous les autres, dans l’ordre chronologique où ils ont été produits, ou dans un ordre facilitant leur compréhension. Ici, l’ordre semble pas mal aléatoire. Qu’on parle de «recueil des meilleures aventures de…» ou de quelque chose du genre, mais pas d’intégrale!
- la coloration complètement bâclée et l’impression «cheapette», sur papier glacé. Les couleurs sont fades, avec une surcharge de jaune, et certaines pages sont complètement délavées. De plus, les couleurs des vêtements changent! Ainsi, à la page 60, la chemise d’un des attaquants passe du rose, au beige, puis au blanc… en trois cases! C’est probablement un des pires travaux d’impression qu’il m’ait été donné de voir. D’où, probablement, le fait que je l’aie trouvé en bouquinerie, sur une TRÈS impressionnante pile d’albums identiques… tous à rabais!
- certaines ellipses, pas toujours très évidentes à interpréter. Comme les récits étaient relativement courts (une douzaine de pages), Ollivier devait parfois tourner les coins rond. Ça reste bien fait et compréhensible, mais on perd la satisfaction de voir les choses se produire devant nos yeux. Ça obligeait aussi certaines résolutions un peu expéditives.
- des fautes de frappe ou d’orthographe. À la page 22, le journal de l’Organisation Internationale de la Santé, pour lequel Bobosse travaille, s’appelle l’Aslépios… pour devenir définitivement l’Asklépios, à partir de la page 59. Puis, un subjonctif oublié, à la page 74 : «Il a fallu que j’ai cette fichue panne.»
- quelques récitatifs illisibles. Comme ils sont écrits sur des à-plats trop foncés, on peut difficilement voir ce qui y est écrit (p.28, 35, 46, mais surtout 54 et 60). Encore une erreur due à l’impression!
- la redondance de certains scénarii. Même s’ils nous font découvrir plusieurs peuples et plusieurs parties du monde, les histoires se ressemblent toutes un peu. Je veux bien croire que l’Homme est aussi magouilleur partout dans le monde, mais quand même! Heureusement, le troisième récit, où Justice passe ses épreuves pour devenir septième dan, est construit sur un tout autre canevas.
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