#01 - LA COMPLAINTE DU TAUREAU-VACHE
Scénariste(s) : Raoul CAUVIN
Dessinateur(s) : David DE THUIN
Éditions : Dupuis
Collection : X
Série : Coup de foudre
Année : 2008 Nb. pages : 46
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Quotidien, Héros animalier, Humour fantaisiste
Appréciation : 4 / 6
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la Sauce se veut légère, mais le steak est si tabou que je le tais!
Écrit le dimanche 18 décembre 2011 par PG Luneau
Depuis que j’en connais l’existence, c'est-à-dire depuis à peine dix ou onze mois, j’étais vraiment très curieux de lire cet étrangeté d’album, et ce, pour diverses raisons. D’abord, comment un album aux auteurs si connus avait-il pu naître sans que j’en entende parler avant?? (Bon, ici, on serait à même d’en déduire que ce détail est peut-être symptomatique de quelque chose, non?! ;-) )
Puis, j’aime bien les dessins tout ce qu’il y a de plus naïf et enfantin de David De Thuin, que je lis mensuellement depuis une dizaine d’années dans le magazine D-lire, avec sa sympathique série Zélie et compagnie. Je trouvais donc agréable d’avoir la chance de le retrouver dans un tout autre contexte.
Finalement, il y avait Cauvin… Bon, l’humour du bonhomme est ce qu’il est, c'est-à-dire assez instable et de plus en plus fadasse… mais pour qu’il prenne la peine de se lancer dans une nouvelle série, c’est peut-être parce qu’il avait («Enfin!» diront plusieurs!) quelque chose de neuf à dire!? D’autant plus que j’ai lu, dans la biographie le Livre d’or de Raoul Cauvin, de Kris de Saeger, qu’il avait pris la décision, il y a longtemps, de ne plus jamais rédiger de récits complets de 46 planches, à l’exception de ceux pour ses deux seules séries qu’il étire depuis longtemps à cause de leur «lucrativité» respective, soient les Tuniques bleues et Sammy. J’avais donc hâte de voir quel nouveau concept pouvait avoir pousser cet infatigable écrivain à renier sa parole…
De plus, un autre aspect m’intriguait beaucoup : l’idée de base! En feuilletant l’album et en lisant la quatrième de couverture, on en vient vite à comprendre qu’il s’agira d’un taureau qui se fait frapper par la foudre et qui, dès cet instant, se mettra à… parler!!?? Sera-t-il en amour (la série s’appelle Coup de foudre, après tout!)?... Qu’aura-t-il donc de si intéressant à raconter, ce taureau parlant? Bref, ma curiosité était suffisamment titillée pour que je prenne le risque de me procurer les deux tomes de cette petite série… quand je les ai trouvés en bouquinerie (je n’aurais pas pris le risque de les payer plein prix! Pas fou, quand même, le gars!!)!
En fait, je me retrouve dans une bien drôle de situation! Pour vous parler honnêtement de cet album, il me faudrait vous dévoiler son punch central… Mais je ne peux pas, ce serait un trop grand manque de délicatesse de ma part!… Mais alors, comment vous faire comprendre toutes les interrogations qui m’assaillent, à l’égard des révélations de ce taureau, sans nommer le sujet qu’il expose??! À mon corps défendant, je devrai simplement me contenter d’en parler en paraphrasant… et en espérant que vous ne serez pas trop perdus (par contre, je suis sûr que vous serez intrigués… et vous aurez bien raison de l’être!!)!!
Donc, sachez que je trouve très étrange l’idée d’exploiter un tel thème en littérature jeunesse. Oui, bien sûr, si on le prend au premier degré, sans trop se prendre la tête, ce thème est aussi efficace qu’un autre! On peut parler de tout en humour, tant qu’on ne réfléchit pas trop. Les jeunes n’y verront fort probablement qu’une simple situation cocasse, à la limite de l’absurde. D’ailleurs, la série n’a-t-elle pas été publiée dans le magazine Spirou, en 2008 (en feuilletons, du #3676 au #3681)? C’est donc que ça reste «abordable»!
Mais quand on y regarde à deux fois, ce thème (que je ne peux toujours pas vous nommer… même si le titre de l’album nous met un peu au parfum) en est un très grave, à peu près tabou, dont on ne parle presque jamais dans les médias, et encore moins en littérature jeunesse, via les BD ou autres!! Quelle drôle d’idée, de la part de Cauvin, de primo l’aborder, et secundo, sous cet angle, par le biais de l’humour!? Les quelques très rares personnes concernées par ce sujet (genre une sur 30 000, selon le Net) seront-elles flattées de lire un récit qui expose leur mal de vivre… par l’entremise d’un bovidé?!?! On pourrait même en venir à se demander si les auteurs ont pensé à aborder ce problème pour le dédramatiser et aider ceux qui en souffrent à briser leur isolement ou simplement pour en rire, bêtement??
Bref, je ne sais plus trop quoi penser de ce petit album léger, aux couleurs ultravives, comme toujours avec De Thuin, mais au propos si étonnamment grave, dans un récit si étonnamment burlesque. Chose certaine, j’ai pris plaisir à le lire, ce qui est déjà excellent, et je prends maintenant plaisir à ressasser tout ce dilemme dans ma tête. C’est peut-être là le but de ces deux créateurs d’expérience : nous amuser tout en alimentant nos réflexions!
Un album que je recommande somme toute, dès 11 ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- les traits caricaturaux et quasi simplistes de De Thuin, toujours pleins de vie et de couleurs. Il nous prouve qu’on peut rendre un produit de très grande qualité visuelle, même avec un minimum de techniques.
- les couleurs vives. Comme toujours avec De Thuin, tout est très coloré, apportant une fraîcheur et une jeunesse enivrantes à l’ensemble. C’est la même chose avec Zélie et compagnie…
- le gag récurant du «Si vous permettez toujours que je vous appelle ainsi…?». Il est très drôle et nous donne une image fort charmante du gentil taureau, d’une politesse exemplaire. De plus, Cauvin réussit (de justesse, mais quand même) à éviter l’abus! Bravo!
- le thème, d’une audace et d’une originalité si poussées qu’on peut se demander si le fait de l’aborder tient du génie ou de la folie! Désolé de ne pouvoir vous en dire plus!!
Ce qui m’a le plus agacé :
- un certain manque de variété dans le choix des plans. Ainsi, les discussions entre Charles (Permettez que je l’appelle Charles? ;-) ), le fermier, et Désiré (c’est le nom du fameux taureau), ont toujours lieu sur le bord de la même clôture, au même endroit. Ça nous donne droit à l’équivalent d’environ 16 planches avec exactement les mêmes décors, très souvent dans les mêmes angles!!!? Les pages 14 et 15, 20 à 23 puis 25 à 31 en sont le plus bel exemple! Ça en vient même lassant, tant c’est toujours pareil! On se croirait dans un interminable strip de Garfield, au sempiternel décor vide et immuable!
- un récit un tantinet étiré. L’histoire aurait gagné en dynamisme si elle avait été un peu plus resserrée, en raccourcissant un ou deux dialogues, en éliminant une ou deux tergiversations des protagonistes.
- la scène de la revente, à la fin, qui voulait boucler la boucle à l’aide d’une reprise, mot à mot, de la scène d’ouverture… L’idée est amusante, mais Cauvin étire la sauce : un simple petit rappel, plus subtil, aurait eu le même effet, sans nous assommer!
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