COMMENT JE NE SUIS PAS DEVENU MOINE
Scénariste(s) : Jean-Sébastien BÉRUBÉ
Dessinateur(s) : Jean-Sébastien BÉRUBÉ
Éditions : Futuropolis
Collection : X
Série : Comment je ne suis pas devenu moine
Année : 2017 Nb. pages : 240
Style(s) narratif(s) : Récit complet (Roman graphique)
Genre(s) : Autofiction, Récit de voyage, Récit psychologique
Appréciation : 5.5 / 6
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Désillusions in situ
Écrit le samedi 09 septembre 2017 par PG Luneau
Wow! Quel plaisir de lire ce récit de voyage aux accents de quête initiatique! Quand on connaît tous les déboires que Jean-Sébastien Bérubé, son auteur, a vécu, ses dernières années (d'abord avec la conclusion de sa série précédente, Radisson, qui a failli ne jamais voir le jour, puis avec ses graves problèmes de tendinites, qui ont handicapé ce jeune dessinateur pendant de très longs mois!), on ne peut que se réjouir de le retrouver en forme... et plus efficace que jamais avec cet ouvrage intimiste et touchant!
Et quel bonheur de constater tout l'engouement qu'il suscite en Europe! Son roman graphique y fait un tabac, et force est d'avouer que c'est plus que mérité! J'ose espérer que ce succès international applique un petit baume sur ses jours sombres d'antan!! ;^)
Le pire, c'est que ce récit autobiographique, où Jean-Sébastien nous raconte le voyage au Népal et au Tibet qu'il a fait, il y a quelques années, en quête de l'essence même du bouddhisme, n'est pas toujours rose non plus!! L'auteur, avec une franchise évidente (qui l'honore!) s'y expose en toute innocence, illustrant sans pudeur ses doutes, ses faiblesses, ses colères, ses incompréhensions, ses blessures... et sa si touchante naïveté!
C'est que ses attentes étaient très grandes! Écœuré des sermons remplis de bons sentiments sans suite, psalmodiés par les prêtres et les «bons catholiques» de son enfance, c'est vers le bouddhisme que Jean-Sébastien décide de se tourner, dans sa jeune vingtaine. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui lui font quitter son Rimouski natal pour la grande ville, où il fréquente un temple bouddhiste, question d'apprendre les fondements de cette religion beaucoup plus intègre que les autres... (vraiment??!... on peut déjà anticiper la désillusion!!). Il y apprend même à parler le tibétain, question de vivre le plus intensément possible cette expérience d'immersion culturelle!
Mais voilà qu'il constate avec stupéfaction que certains moines sont moins vertueux que ce à quoi il s'attendait!! Quoi?? Prétentions et mesquineries peuvent sortir de la bouche d'un moine??!! En tous cas, ce n'est assurément pas le genre de bouddhisme que Jean-Sébastien veut pratiquer! C'est pourquoi il décide d'aller directement aux sources officielles, encouragé en ce sens par une amie : seuls le Népal et le Tibet peuvent lui montrer les véritables préceptes de Bouddha l'Éveillé, en restant fidèles à ses enseignements!
Tout au long des 240 pages de ce volumineux bouquin, on suit ce jeune adulte de 26 ans dans sa quête de vérité. C'est d'abord à Katmandou qu'il vit ses premiers chocs culturels, alors qu'il trouve à se loger chez des Tibétains en exil. Des chocs dus aux modes de vie typiques aux Népalais et aux Tibétains (le fameux choc des cultures!)... mais aussi en lien avec ce qui l'avait si troublé, à Montréal : des moines vénérés qui fument, lisent Dragon Ball ou boivent du cola, c'est loin de l'idéal qu'il s'en était fait!! De déceptions en émerveillements, Jean-Séb visite un nombre impressionnant de temples, parvenant souvent à se dépêtrer grâce à sa connaissance de la langue... Il explore les sites de pèlerinage traditionnels des villes environnantes et parvient même à se planifier un séjour au Tibet, qu'il arpente en compagnie de quelques jeunes touristes un peu superficiels de partout dans le monde (certains n'ayant même jamais entendu parler du conflit sino-tibétain, c'est vous dire!??!...)
Tout au long du voyage, Jean-Séb croise parfois de sympathiques habitants à l'altruisme désarmant... mais il croise surtout tant de gens qui se moquent de lui ou qui tentent de l'exploiter qu'il en sort encore plus troublé, dégoûté et, par moment, écœuré.
Cette amère désillusion n'a toutefois pas empêché le jeune homme d'apprécier toute la beauté des sites qu'il a croisés, et il nous la rend bien. Car en lisant Comment je ne suis pas devenu moine, on feuillette en même temps tout un guide de voyage rempli de paysages fabuleux, d'impressionnants sites exotiques, de gens rafraîchissants (qu'est-ce qu'ils ont l'air cool, les membres du groupe coréen Born to be! ;^) Et le noir et blanc teinté de différents gris, en lavis, n'amoindrit en rien les superbes plans généraux et panoramiques qui pullulent tout au long de l'album. Les traits souples et hachurés de Bérubé ne laissent rien deviner des nombreuses et pénibles refontes que la version originale de ce livre a dû subir, en raison de sa redoutable tendinite, et le visuel est tout aussi plaisant que le propos.
Personnellement, ce qui m'a le plus atteint dans ce bouquin : c'est cette touchante désillusion qui écorche de plus en plus le moral du héros. J'aurais TELLEMENT réagi comme lui! J'ai en effet la même perception idéalisée de ce que devrait être un moine, surtout un moine bouddhiste! De plus, grâce à sa belle sensibilité et à sa générosité sans borne à l'égard d'autrui, Bérubé se présente à nous tel qu'il est, et ça nous le rend éminemment attachant : je défie quiconque de lire ce volume sans développer l'envie de devenir l'ami de Jean-Sébastien et de lui souhaiter tout le bonheur possible!! Moi, en tout cas, c'est ce que je lui souhaite!!
À partir de 16 ans.
À lire aussi : mes critiques de la saga Radisson, du même auteur.
À lire aussi : la critique de l'ami Yaneck.
Plus grandes forces de cette BD :
- le lettrage du titre, calqué sur celui, légendaire, des Tintin. Quel amusant clin d'œil à Tintin au Tibet!! ;^)
- les illustrations de couverture, tant celle de la première que celle de la quatrième. Déjà, elles nous font voyager... Et c'est bien les sympathiques membres de Born to be qu'on aperçoit, en tout petit, en bas, à gauche, sur la 4e?! ;^)
- la préface de Jean-Louis Tripp, qui a un peu agi comme mentor auprès de Jean-Sébastien, au cours de ce gros projet. Son texte nous explique bien le contexte dans lequel ce bel album a vu le jour.
- les (quelques!) vues de Montréal. Ça m'est toujours plaisant de voir des paysages familiers dans des albums de BD, surtout quand ceux-ci ont une résonnance internationale! Non non, je ne suis pas chauvin du tout!! ;^)
- la totale transparence de l'auteur, sa complète mise à nu! C'est fascinant de voir à quel point Jean-Sébastien nous livre tout (ses états d'âme, sa naïveté - partir sans se faire vacciner! Et donner 200$ à un inconnu! -, ses chagrins, son grand désarroi... son petit côté grognon, aussi), sans aucune pudeur. Il nous parle de trucs très personnels, comme de son bégaiement ou des embûches que sa famille lui a causées... Il nous laisse même entrevoir le petit flirt qu'il a avec la jolie Migmar, chez qui il loge! Face à une telle franchise, on a vraiment l'impression d'être en présence d'un ami très proche... et on est d'autant plus touché quand on assiste à son désœuvrement final! C'est géant! Chapeau, J.-S.!
- tout ce qu'on apprend et découvre sur le bouddhisme et la culture des pays traversés par l'auteur. Je l'ai déjà dit: j'ai été aussi choqué que J.-S. quand j'ai entendu un moine se moquer méchamment du physique d'une de ses fidèles, ou quand on découvre à quel point l'orthodoxie à laquelle il s'attendait n'existe à peu près pas! Il est vrai que, même si certains moines-enfants sont consacrés comme étant les réincarnations d'anciens maîtres décédés, ils ont une enfance et une adolescence à vivre, d'où les télés cachées pour écouter le soccer, par exemple!! ;^) J'ai été touché par la misère omniprésente et par cette Occidentale qui a choisi de quitter sa fille de 7 ans pour se consacrer à sa religion!??!:^0 L'étrange remède proposé par le médecin et, surtout, son étrange mode d'administration m'ont totalement dépaysé (et ça a fonctionné!!:^O). Puis j'ai été révolté d'apprendre que les Chinois sont convaincus que le Tibet et la Mongolie leur ont toujours appartenu!!:^O Comme je le disais aussi, Bérubé prend le temps de nous montrer les paysages, d'où l'impression de guide de voyage: plusieurs vignettes ne sont là qu'à titre esthétique, pour montrer la splendeur de ce qu'il a pu voir, pour montrer aussi la futilité du temps qui passe... Et, toujours comme dans un guide, Jean-Séb nous donne certains trucs, comme comment entrer dans un monastère sans payer ou quoi faire en cas de mal de l'altitude! ;^)
- le souci de l'auteur de ne pas tomber dans le manichéisme. Avec beaucoup de doigté, Jean-Sébastien parvient à nous présenter plus d'un côté des médailles qu'il nous propose. Après toutes les déceptions qu'il y a vécues, il aurait pu nous dresser un portrait très noir de son périple... Mais, avec une belle intégrité, il parvient à l'équilibrer en nous montrant le noir (qu'il ne soupçonnait aucunement, et qu'il aurait peut-être préféré ne pas voir) mais aussi le blanc (qu'il a pu apprécier, malgré tout), et ce, sur tous les aspects: les paysages, la myriade de gens rencontrés... et même sur la politique sino-tibétaine, quand il nous liste certains avantages de l'invasion du Tibet par le gouvernement chinois!!
- la grande variété des rencontres effectuées... et la grande quantité de gens plus que bizarres qu'il a croisés!!?? Du prof entêté qui veut l'engager de force à un nu-vite hystérique, en passant par ce gars qui l'assaille joyeusement de prises de karaté avant de lui faire une accolade en riant stupidement, l'étrangeté est sans fin!!;^) La quantité de jeunes mendiants et de chauffeurs de taxi ou d'autobus est faramineuse, et il est très difficile de départager ceux qui veulent abuser (ou carrément flouer ou escroquer!!) les touristes de ceux qui veulent les aider honnêtement. C'est là que le fait que Jean-Sébastien ait pu se débrouiller dans la langue du pays a dû être fort pratique, tout comme le fait d'avoir déjà pu voir le Dalaï-lama, lors d'une conférence, à Ottawa, ce qui lui conférait presque un statut de prince auprès de certains fidèles!! Mais pour ce qui est de mon coup de cœur, vous le savez, c'est les Born to be!! Quel dommage que je n'arrive pas à rien trouver sur eux sur le Net!:^S
- les profondes réflexions qui parsèment tout le roman graphique, mais plus encore en fin d'album. J'ai bien aimé l'espèce de petite synthèse que Jean- Séb nous offre, par la bouche de son ami Lu, aux p.217 et 218. Elle permet à l'auteur de faire le point et de répondre à LA question qu'il se pose depuis un bon moment: Es-tu vraiment prêt à tout délaisser pour devenir moine? J.-S. y répondra peut-être par la négative (et le titre n'est pas équivoque sur ce point!! ;^), mais je lui souhaite d'être serein avec sa décision et de lire et relire sans fin le texte de la superbe vignette du bas de la p.156, qui lui adresse un important message! ;^)
Ce qui m'a le plus agacé :
- une petite maladresse au niveau du texte. Dès la p.6, un personnage entre en scène en disant: «Que se passe-t-il?». Mais qui dit ça, de nos jours?! J'ai trouvé que ça sonnait très faux, trop littéraire, et j'ai surtout eu très peur que Jean-Sébastien soit tombé dans le piège du chic parlé français. Heureusement, le reste des dialogues est tout à fait naturel, beaucoup plus oral. Pfiouf!;^)
- le gros arbre, tout en contrejour, de la p.75. En fait, je le trouve étrangement constitué, d'autant d'éléments intéressants que d'autres qui ne le sont pas du tout! J'adore l'idée du contrejour, les proportions, la silhouette du Bouddha qui se trouve logé à sa base et la disposition des encadrés. L'effet de feuillage par petites touches éparses d'encre est aussi bien intéressant... mais je n'aime pas les grosses branches maîtresses, principalement celles en plein centre, puis les deux du haut, sous chacun des encadrés narratifs! Leur courbure ne fait pas naturelle, et je ne vois pas comment elles peuvent se rattacher réalistement au tronc. De même, la grosse branche qui surplombe le personnage est trop longue. Elle est très belle... mais ne cadre pas avec le reste de l'arbre!:^( (Mais on s'entend: je pinaille, comme dirait mon ami Yaneck! Et si je pinaille, c'est qu'il n'est pas facile de trouver des trucs moins positifs dans tout cet excellent bouquin!! ;^)
- un petit passage moins clair. À la p.135, j'ai d'abord cru que Jean-Sébastien était stupéfait de réaliser qu'il avait perdu ses drapeaux à prières. Ce n'est qu'en relisant une fois ou deux la planche que j'ai opté pour l'hypothèse du malaise. Le problème, c'est que le personnage ne dit rien, même qu'il cache la vérité à ses compagnons (... par honte? par orgueil?), ce qui rend la compréhension encore plus incertaine...
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