COLIS 22
Scénariste(s) : Marc Simard dit MARSI
Dessinateur(s) : Marc Simard dit MARSI
Éditions : la Pastèque
Collection : X
Série : Colis 22
Année : 2014 Nb. pages : 168
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Aventure policière, Thriller, Quotidien, Hommage
Appréciation : 5 / 6
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Thriller du quotidien!!?
Écrit le samedi 07 mars 2015 par PG Luneau
Le voilà enfin, ce Colis 22!!?! Oui, ce nouveau joyau dans l'œuvre naissante mais toujours aussi ciselée de mon ami Marsi! Bon, soyons honnête : ce roman graphique de 168 pages est sorti depuis quelques mois, déjà, et j'attendais d'avoir un temps de qualité pour le lire et le critiquer... mais reste qu'on l'a espéré longtemps!! Le premier album de cet artiste, Miam miam fléau, date déjà de 2009, et sa participation au collectif Partie de pêche, chez Glénat Québec, remonte à 2010! Sans compter que ce Colis 22 a mijoté pendant longtemps dans la tête de son auteur avant qu'il s'y mette!!
Si je suis si heureux d'enfin tenir cette petite perle dans mes mains, c'est que j'ai été de ceux qui ont épaulé Marsi tout au long du processus. J'ai même eu la chance de lire et commenter le synopsis original, il y a cinq ans (c'est d'ailleurs pour cette raison que votre dévoué serviteur se retrouve dans les remerciements, en fin d'album!!? Ce qui me touche beaucoup, bien sûr!)... Laissez-moi vous dire qu'il y en a eu, du travail et des changements, depuis cette version à la finale complètement différente!?
Mais dans l'essence, Marsi est resté fidèle à son idée de base : construire une histoire d'inspiration policière, où un quidam se retrouve coincé dans un imbroglio totalement surréaliste mais positivement dangereux, dans le cadre enchanteur de belle ville de Québec. En somme, on pourrait percevoir dans ce récit une espèce de clin d'œil aux meilleurs films du grand Hitchcock... et, très certainement, un vibrant hommage visuel aux différents quartiers de notre Vieille Capitale, le tout dans ce que j'appellerais un genre de «thriller du quotidien».
En effet, on suivra les déboires de Jocelyn Chicoine alias Pluton, un gars tout ce qu'il y a d'ordinaire, qui travaille comme coursier à vélo pour Système So, une compagnie dont tous les membres s'affublent d'un surnom astronomique!? En fait, le pauvre Pluton voit surtout sa carrière battre de l'aile, depuis quelque temps! Parce qu'elle le juge trop lent et désorganisé, sa patronne lui fait bien sentir qu'il est sur le respirateur, et que la moindre erreur supplémentaire risque de lui être fatale! Pour se racheter et tenter de regagner la confiance de ses supérieurs, Pluton décidera de dépanner sa blonde, Mercure, en la remplaçant pour l'une de ses courses. Grand mal lui en prit!!
En effet, sans le savoir, Pluton met alors le doigt dans un engrenage dont il ne pouvait prévoir les ramifications!! D'abord, une série d'appels à la bombe lui interdit l'accès au destinataire. Puis, c'est l'expéditeur qui semble impossible à rejoindre... Mais quand notre pauvre ami apprendra que le cadavre de cet expéditeur a été retrouvé par la police de Québec, il réalisera, mais un peu tard, qu'il a en sa possession un mystérieux colis qui suscite beaucoup de convoitise!! Voilà comment le quotidien d'un quidam prend des tournures de thriller palpitant!! Pluton et ses proches se verront entraîner dans des péripéties qui leur feront traverser la ville de tous bords, tous côtés, jusqu'à une conclusion insoupçonnée, presque psychotronique (!?!), au cœur du Château Frontenac! Le tout, sous le regard doucereux de Nix, le chien fou qui s'entêtera à suivre Pluton partout où il va, sans raison!
Pour ce récit enlevant, Marsi a opté pour un noir et blanc tramé de diverses teintes de gris... mais il ne s'est pas pour autant départi de son style si particulier, alliant la perfection technique de Chris Van Allsburg (excellent dessinateur de Jumanji, de Zathura et du Boréal-Express) à la simplicité de Philippe Hébert dans Néozoo. Ses dessins, toujours foisonnant de détails, sont encore de cette exactitude qui ont fait dire à plusieurs journalistes, critiquant Miam miam fléau, qu'il dessinait à l'ordinateur, ce qui est théoriquement faux, puisqu'il ne se sert des nouvelles technologies que pour le traçage final! Toujours soucieux de véracité, Marsi a réussi le tour de force de respecter rigoureusement sa grande documentation iconographique, tout en transposant ses vues de Québec avec une ligne claire épurée à la perfection, en digne descendant (et amateur!) d'Hergé qu'il est!!
Personnellement, je suis vendu, c'est clair!! Mais le plus magnifique de la chose... c'est que vous le serez aussi! Que vous ayez 13 ou 73 ans, vous vous laisserez séduire par ce pauvre bougre qui a le malheur de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment... Vous vous laisserez emporter par les embardés tumultueuses dans lesquelles le plongent ses mésaventures... Vous tomberez sous le charme des dessins à la fois si touffus et si purs de Marsi... Vous voudrez savoir le fin fond de toute cette affaire...Et vous vous surprendrez à souhaiter faire appel à une agence de messagerie aux employés si originaux!! ;^) Bref, vous craquerez, vous aussi, pour Colis 22, et deviendrai aussi fan de cet album que Nix l'est maintenant de Pluton, j'en suis convaincu!
Bonne lecture, donc! ;^)
Plus grandes forces de cette BD :
- la sublime couverture. Satinée à souhait, elle réjouit nos doigts tout autant que nos yeux! Son illustration, qui a été merveilleusement colorée par la bédéiste Cathon, nous présente tout le génie graphique de Marsi, homme de précision, de détails et de minutie. J'aime bien les petites surprises qu'il y intègre, comme le «méchant» qu'on peut apercevoir sur la quatrième de couverture, ou ce qui semble être le propriétaire initial du petit Nix!! ;^)
- l'objet-livre. Marsi tient à être édité chez la Pastèque parce qu'elle répond à son désir de concevoir plus que des livres : de véritables petits bijoux! C'est vrai que le format, la reliure, la couverture à rabats, la qualité du papier et de l'impression, tout cela est de première qualité!! Il a de quoi être bien fier, mon copain! ;^)
- ma dédicace personnalisée!! Je sais bien que vous n'en avez rien à foutre, mais je suis réellement très content de la dédicace que Marsi m'a faite sur la page de titre de cet album! On m'y voit à mon ordi, avec mon chapeau d'explorateur, au côté de ma lucarne, alors que, de celle-ci, on peut apercevoir Pluton qui roule, avec Nix à ses trousses! De plus, preuve supplémentaire de la minutie de l'artiste, si cela était nécessaire : des figurines de Pouette et Coco Météore, personnages de Miam miam fléau, se dressent sur la bordure de la fenêtre!! J'ADORE!! ;^)
- la qualité technique et la richesse des dessins. Bon, je sais, Marsi est mon ami. Je me dois donc d'être extrêmement rigoureux pour ne pas sombrer dans le favoritisme, pour garder une neutralité toute professionnelle... À ceux qui se plaindraient d'un certain parti pris, je n'ai que deux choses à dire : D'abord, la neutralité professionnelle, je n'en ai rien à cirer puisque... ce n'est pas ma profession!! Je critique de la BD en dilettante, dans mes temps libres, pour mon simple plaisir!! Puis, et c'est plus important encore, Marsi ne serait pas mon ami que je serais DE TOUTE FAÇON en amour avec ses dessins, comme je le suis des dessins d'Alexis Nesme (les Enfants du capitaine Grant, de Jules Verne), de Jirô Taniguchi (Un zoo en hiver, ...), de Loïc Jouannigot (la Famille Passiflore) et de bien d'autres, que je ne connais, eux, ni d'Êve, ni d'Adam! Alors, tant pis pour vous, bande de jaloux!! Bref, je voulais souligner ici l'immense talent graphique de Marsi. Sincèrement, chacune des vignettes des 168 pages de cet album pourrait être encadrée et devenir une œuvre d'art en soit!! Chaque ligne est parfaite, chaque courbe est sinueuse à souhait, chaque rondeur rebondit hors de la page, chaque angle nous impose sa profondeur de champ... Les arrière-plans regorgent de détails à n'en plus finir (là, un écureuil, ici, une camionnette de livraison...) et notre regard peut s'amuser à s'y perdre pendant de longues secondes... Oui, je suis amoureux de la perfection technique de ces vignettes si bien garnies, et je l'assume, ami ou pas, na!! ;^P
- les mises en pages, avec absence de caniveaux. Le fait de juxtaposer les cases les unes sur les autres, avec simplement un trait noir pour les séparer, donne un effet des plus originaux. Personnellement, j'aime beaucoup. Toutefois, compte-tenu du caractère relativement chargé des vignettes, je serais curieux de voir l'effet que donnerait la présence des traditionnels caniveaux (ces bordures blanches qui isolent habituellement chacune des cases de ses voisines)!? Est-ce que ça n'allègerait pas l'ensemble, rassurant par le fait même ceux qui apprécient moins les dessins débordants de détails??! Ce serait à tester!
- une tonne de petits idéogrammes fort originaux! Marsi aime bien illustrer les pensées de ses personnages, mais ce faisant, il innove et dépasse les classiques ampoules électriques quand quelqu'un a une idée ou les ridicules billots de bois qui se font scier quand quelqu'un dort! Avec lui, on peut découvrir (entre autres!) une vraie tête de cochon (p.15), une vraie poule mouillée (p.38) ou l'incarnation visuelle parfaite de l'amusante expression «Mon chat est mort!» (p.135)... Et ce, même si, parfois, le sens des idéogrammes en question est plus difficile à interpréter, comme pour ceux des p.8 ou 16!?...
- les superbes panoramas de notre si belle capitale nationale! Marsi adore Québec, ça transcende tout cet album!! À un point tel qu'on doit, indéniablement, considérer la ville comme l'un des personnages importants du récit! Sous le pinceau de l'artiste, toute la ville est magnifiée, et pas que les beaux quartiers, bien au contraire!! Marsi n'hésite pas à laisser respirer son récit en nous permettant d'admirer des planches complètes de paysages que ses personnages traversent silencieusement, en vélo ou à pied. De la toute première planche à la toute dernière, en passant par les p.17, 23, 36, 37, 42, 43, 81, 111, 132, 158, Colis 22 se veut un éloge aux mille et un charmes de cette si belle ville... pour ensuite se transformer en hommage non feint à cette merveille architecturale qu'est le Château Frontenac (qu'on voit presque exclusivement de l'intérieur, étonnamment!!??). Mon coup de cœur? La page 110, qui étale, en 3 vignettes longilignes (qui semblent faire écho aux quatre bandes horizontales de la p.43!), 3 paysages originaux de la ville, tous différents, mais toujours avec les 3 cyclistes, comme pour réunir dans l'éternité ces instants fugaces... Si j'étais éditeur, il me semble que je ferais faire trois splendides signets de ces vignettes!... ;^)
- la présence (qui s'avèrera, ma foi, parfaitement futile, finalement, contrairement à une version antérieure du scénario que j'ai eu la chance de lire!?!) de Nix, le chien. À partir de la p.32, ce petit Jack Russel blanc se mettra à suivre sans relâche le vélo de Pluton, qu'il considérera, à partir de ce moment, comme son maître!! Comment ne pas y reconnaître un autre hommage, à Uderzo, celui-là, alors qu'Idéfix avait fait son entrée dans l'univers d'Astérix de la même façon, en suivant le gros... euh, pardon... «l'enveloppé» Obélix pour tout le reste du Tour de Gaule, sans que son scénariste ne l'ait stipulé!! Aussi mignon l'un que l'autre, ils ne font que rajouter des petites séquences à la guimauve aux récits qu'ils desservent... ce qui n'est pas à dédaigner, bien au contraire!! ;^)
- l'infinie variété des faciès proposés. Je suis épaté par la grande variété de physionomies proposées par l'ami Marsi!! Tant chez ses personnages (principaux, secondaires ou tertiaires) que chez ses (très nombreux!) figurants, il nous présente des fronts, des chevelures, des nez, des mentons, des oreilles, des accessoires et des teints aux combinaisons infinies! Ça donne des scènes de foules (lors de l'appel à la bombe, lors du party chez Jupiter ou dans la chambre de Georges, au Château Frontenac, par exemple) peuplées de visages d'une diversité inouïe!
- la cohérence des concepts mis en place par l'auteur. Malgré l'effort intellectuel qu'elle nécessite, tout au long de notre lecture (j'en parle plus bas), l'idée d'utiliser une thématique astronomique pour nommer les employés du système de coursiers est amusante et novatrice! Elle est, de plus, exploitée à son maximum!! J'ai adoré, par exemple, découvrir que Neptune avait un appartement entièrement décoré selon une thématique maritime, avec un aquarium... et des poissons rouges portant les noms des satellites de Neptune!! De même, j'ai non seulement appris que Pluton avait des satellites, mais que l'un d'entre eux s'appelait Nix!! Et puis, avez-vous réalisé que le héros, assez looser merci, porte le nom de Pluton, cette «ancienne» planète déclassée depuis peu au rang de planétoïde??! Je suis sûr que Marsi, grand amateur d'astronomie et passionné de science, a choisi ce nom délibérément!! (Mais pourquoi diable Viviane et Murielle n'ont-elles pas de noms de code?!? ;^)
- l'efficacité du suspense entretenu! D'abord, toute l'idée générale est intrigante et accrocheuse : le paquet, la manière par laquelle Pluton se retrouve coincé avec, son contenu (!!?)... tout cela est réaliste et stimulant. Puis, toute la construction du récit crée un suspense de plus en plus enlevant : l'événement mystérieux et inquiétant survenant à Murielle, à la p.81, juste avant la première «pause-chapitre»... L'autre «pause» de la p.109, juste avant la finale, de plus en plus angoissante, avec ses silences, ses bruits de portes qui claquent, ses temps d'arrêt, ses mille et un détours dans les dédales du Château, toutes ses personnes croisées, qui ont tous l'air plus louche les unes que les autres... C'est définitivement très hitchcockien, et c'est d'ailleurs un très beau clin d'œil que d'avoir mis le portrait de cet important réalisateur, à la p.109!! Connaissant Marsi, je suis d'ailleurs à peu près certain qu'il s'agit d'un portrait réel, qui doit se trouver au Château Frontenac depuis qu'Hitchcock y a tourné son célèbre film I confess! Je demanderai à l'artiste de me confirmer tout ça! En tout cas, bravo et merci à Marsi d'avoir osé explorer un genre littéraire très peu exploité par notre 9e art québécois!! ;^)
Ce qui m'a le plus agacé :
- le noir et blanc de l'album. En fait, la coloration de l'album, toute en teintes de divers gris, me semble très satisfaisante... Toutefois, le fait d'avoir un exemple, via la couverture, de ce à quoi pourrait ressembler l'ensemble de l'œuvre si elle était colorisée dans son entier, me laisse à penser que ça aurait été bigrement beau, probablement encore plus (si c'est Dieu possible), qu'en noir, gris et blanc!! ;^)
- les nombreux éléments qui enrichissent l'univers présenté, mais qui alourdissent un peu la compréhension du lecteur. D'abord, le grand nombre de personnages, tant chez les bons que chez les méchants. Puis, cette idée de la thématique stellaire, qui rebaptise chacun des membres du service de messagerie (ainsi que leurs animaux de compagnie, chien ou poissons!!?) d'un surnom issu de notre système solaire. C'est hyper chouette, ça donne une couleur sympathique à cette compagnie... mais ça rend certains dialogues un peu obscurs, le temps de s'y démêler (ex. toute la p.18). À cela on rajoute les élucubrations philosophico-mystiques de Sergio d'Io, ce pseudo-vieux sage aux théories fumeuses et pas trop compréhensibles du commun des mortels que je suis... Le fait que ces discussions surviennent tôt dans le récit risque malheureusement d'en effrayer quelques-uns!... Et que dire des déroutantes obsessions mystico-bizarres et on ne peut plus ésotériques du vieux Georges, en fin d'album!!?... Bref, chacun de ces éléments est une force en soi, ajoutant un cachet formidable à l'univers composé par l'artiste!! En contrepartie, leur cumul rendra peut-être la lecture un peu trop exigeante pour certains. Si vous voulez en apprécier toutes les subtilités, je vous conseille de décortiquer tout ça quand vous êtes bien éveillés! ;^)
- une faute récurrente. À deux reprises, on peut lire de faux «qui t'as», comme si c'était un logiciel qui avait corrigé mécaniquement le texte!!? «Qui t'as dit ça?» peut-on lire à la p.27, et «Qu'est-ce qui t'as pris?» à la p.50. Ces verbes ne sont pourtant ni l'un ni l'autre à la deuxième personne!!?? :^(
- deux petites coquilles. Une à la p.55 : «J'suis par sur que...», et l'autre à la page suivante : «On entend absolument rien?», où le n' était nécessaire.
- les corps des personnages, toujours très élancés. Manifestement, Marsi ne s'est pas trop soucié d'équilibrer réalistement la physionomie de ses personnages : ils sont tous très élancés, très longilignes. C'est un choix intéressant, qui en vaut d'autres. Toutefois, j'ai l'impression qu'il a tendance à donner plus d'importance au corps au détriment des jambes! Malgré leur taille de type grande échalote, tous sont affublés de courtes jambes, mais d'un tronc démesurément long. Là encore, c'est un choix artistique qui cadre bien avec la ligne très pure de Marsi... mais à certains moments, c'est si prononcé que ça m'a distrait de ma lecture, de mon émotion!! C'est particulièrement flagrant aux p.90 et 91, quand Pluton et Vivi discutent, en marge du party, ou, pire encore, quand Sergio d'Io court dans les corridors du Château Frontenac (p.130) : j'ai eu l'impression qu'il était en train de perdre ses pantalons tellement ceux-ci sont bas!! ;^)
- la jolie illustration de la «pause-chapitre» de la p.84. Ils sont vraiment mignons, ces deux chats... Mais que représente ce grand rectangle autour duquel ils s'amusent? Et qu'est-ce que ce rectangle vient faire dans l'histoire? Doit-on y voir un sens caché? Un second degré? L'illustration de l'autre «pause-chapitre», avec le portrait d'Hitchcock, a un sens assez évident, ce qui me donne à croire que ces chats devraient aussi paraphraser visuellement quelque chose... mais comme cette chose m'échappe complètement, j'angoisse!! ;^S
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