#INT - BENJAMIN ET BENJAMINE
Scénariste(s) : René GOSCINNY
Dessinateur(s) : Albert UDERZO
Éditions : Albert René
Collection : X
Série : Benjamin et Benjamine
Année : 1957 Nb. pages : 220
Style(s) narratif(s) : Récits complets et Gags en quelques planches
Genre(s) : Aventure humoristique, Humour fantaisiste, Humour naïf, Hommage, Quotidien, S.F. humoristique
Appréciation : 4.5 / 6
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Du très bon pré-Astérix, à saveur fifties!
Écrit le lundi 27 avril 2020 par PG Luneau
Incluant : les Naufragés de l'air
Pigeon vole
le Grand Boudtchou
Benjamin et Benjamine chez les Cow-boys
Puis les gags de Poussin et Poussif, de la Famille Moutonet et de la Famille Cokalane
Je suis à peu près certain que la grande majorité d'entre vous ne savent pas qui sont Benjamin et Benjamine. Je ne vous en tiens pas rigueur : moi-même, je l'ignorais!! Mais quand j'ai lu le nom de leurs deux papas, je n'ai pas hésité une seule seconde à m'en procurer l'intégrale : il s'agit de nuls autres que Goscinny et Uderzo!!! :^O
Hé oui! Avant d'en venir à Astérix (ou même à Oumpah-pah, qui le précédait), ces deux lascars ont commis quelques autres séries, surtout pour mettre du beurre sur leur pain, faut-il le préciser! Ainsi ont-ils pris au bond la série Benjamin et Benjamine, mettant en scène un duo de tout jeunes adultes (ou de vieux adolescents?) à la relation plus ou moins claire... Sont-ils jumeau/jumelle, frère/sœur, en couple? L'histoire ne le dit pas : tout ce qu'on sait, c'est qu'ils habitent ensemble, qu'ils font chambre à part et que... Benjamine fait le ménage pendant que le paternaliste Benjamin lit le journal et le courrier!! :^S Hé oui, que voulez-vous, cette petite série, presque jamais éditée en album, date d'une autre époque, en grande partie révolue!!
Très fifties, dans son esthétique comme dans ses valeurs, cette série s'en veut une d'aventures humoristiques pour le moins trépidantes, qui paraissaient en feuilletons, dans le journal Benjamin (ben voyons! ;^). Au fil des ans, René et Albert ont commis 4 récits complets (totalisant presque 150 planches!), dont la qualité croissait au fil des semaines.
Dans le premier récit (25 p.), le frère et la sœur (dirons-nous) se font aborder dans la rue par un homme qui leur demande d'aller porter pour lui un paquet de médicaments à un de ses amis, en Carambie. Toujours prêts à aider leur prochain, et heureux de se voir payer un voyage en Amérique du Sud, Benjamin et Benjamin acceptent... Naïfs, va!! Bien sûr que le paquet en question se révélera mensonger!! Son explosion transformera nos amis et l'autre passager de l'avion, le général Lopez, commandant en chef de l'armée carambienne, en Naufragés de l'air. Suivra un lot de problèmes rocambolesques, se terminant par une longue course poursuite des métros de Paris au sommet de la tour Eiffel! Quelle idée, aussi, d'accepter un cadeau (un voyage en avion, bon Dieu!!!) de la part d'un inconnu!! Goscinny en profitera pour nous pasticher un peu cruellement les difficultés géopolitiques des juntes sud-américaines, avec leur sempiternel enchaînement de révolutions, contre-révolutions, contre-contre-révolutions, etc.
Dans Pigeon vole (25 p. également), les deux héros sont surpris de voir passer devant eux un fer à repasser volant!?! Ils le suivent et rencontrent le professeur Pigeon, qui a mis au point un ingénieux système antigravitique qui permet de faire voler n'importe quel objet! Histoire classique, digne de Spirou ou de Tintin : des cambrioleurs à la petite semaine décident de s'emparer de l'inventeur ET de l'invention, voyant là l'opportunité de maximiser leurs combines. Ben et Ben mettront tout en œuvre pour voler au secours (la pognez-vous?! ;^D) de leur nouvel ami.
L'épisode suivant (qui fait 45 planches) plonge nos amis dans un délire complètement fou! Encore une fois, c'est de la main d'un inconnu, croisé sur le trottoir, que Benjamin accepte un présent : un hochet de bébé, cette fois!!? Comment aurait-il pu se douter que le simple fait d'accepter ce présent ferait de lui le nouveau Grand Boudtchou, empereur de la secte de dingos du même nom. Oh! Benjamine et lui se serait sûrement fait à l'idée de vivre une vie de pacha dans un palais immense... si ce n'était de l'éternelle guerre entre les Boudtchou et les Boboh, guerre qui met la vie de Benjamin en danger perpétuel! Encore ici, l'action sera trépidante... et l'humour, très présent, folie sectaire oblige!
Finalement, dans le dernier récit (le plus long, avec ses 51 planches), on se retrouve dans un récit plus classique mais tout aussi amusant, qui mêle les univers de Chick Bill et de Sammy!? Pour avoir rapporté des milliers de dollars américains tombés d'une fenêtre à leur propriétaire, nos deux amis héritent d'un ranch!! Les voilà donc rendu chez les Cow-boys, où leur idée de transformer le ranch en gite pour touristes se trouve contrecarrée par l'arrivée de mafiosi à la recherche de ce que l'ancien propriétaire y avait caché! Pas reposants, ces mafiosi... mais pas tant que la délicieuse Miss Punchball, leur première cliente, ou que leur pseudo-garde du corps, Lambert Jules, tout simplement tordant!
Aussi intéressantes et un peu du même ordre que les aventures de Bob & Bobette, de Quentin Gentil et les As, de Jo, Zette et Jocko ou de Zig et Puce, celles de Benjamin et Benjamine n'ont pas connu un très grand succès... et c'est bien dommage! En effet, je trouve très rafraichissant de découvrir l'immense talent (déjà au sommet de son art!) d'Uderzo dans des décors plus contemporains, habitués que nous sommes de le voir dans un contexte historique (en Gaule ou en Nouvelle-France). Gageons que si Astérix n'avait pas eu le succès qu'il a eu, Goscinny et Uderzo auraient pu continuer à exploiter ce filon et que Benjamin et Benjamine auraient reçu un accueil plus significatif de la part des amateurs du 9e art. Mais comme dirait l'autre : un tandem de bédéistes, aussi doué soit-il, ne peut pas tout faire!! ;^)
Terminons en précisant que cette intégrale consistante est complétée d'un très intéressant dossier de présentation d'une trentaine de page, ainsi que d'autres petites œuvres du célèbre duo d'auteurs, soient tous les gags de Poussin et Poussif, de la famille Moutonet et de la famille Cokalane... ces derniers étant en fait ces mêmes Moutonet, avec un visuel des personnages à peine retravaillé!
Au final, un album que certains jugeront suranné mais que j'ai trouvé fort intéressant, tant sur le plan historique que bédéesque et culturel. À partir de 9 ans.
Mes bémols :
- l'absence fréquente de légendes aux photos et illustrations du dossier. C'est quand même étonnant qu'un dossier historique aussi important, qui vise à mettre en contexte les débuts de la relation entre Goscinny et Uderzo et la genèse de Benjamin et Benjamine, ne soit pas plus explicite quant à son iconographie (par ailleurs fort riche, diversifiée et intéressante!) !:^S
- l'espèce de flou autour des deux héros. Qui sont-ils, l'un par rapport à l'autre? Ce n'est jamais précisé, bien qu'on puisse supposer qu'ils sont frère et sœur... Et quel âge ont-ils? On leur donnerait 16 ou 18 ans... mais ils semblent vivre de manière indépendante, dans une belle demeure, et on n'entend jamais parler ni d'éventuels parents, ni d'un métier ou d'un boulot quelconque! Ils seraient rentiers?? Évidemment, peut-être ces questions ont-elles été répondues auparavant (car oui, Benjamin et Benjamine n'est pas une création de Goscinny et Uderzo: la série existait dans le journal depuis quelque temps, créée par Christian Godard - le papa de Martin Milan et de la Jungle en folie! - il avait dû la laisser pour aller faire son service militaire!)... Mais j'aurais aimé, de temps à autre, des éclaircissements sur le sujet. J'aurais peut-être pu comprendre comment 2 jeunes adultes comme eux peuvent tout laisser derrière eux sur un coup de tête et partir en voyage à 12 heures d'avis!!?
- la béate passivité de Benjamine. Je sais: cette BD date de plus de 50 ans, et les mentalités ont bien changé! Reste que la pauvre est toujours au second plan, en admiration devant les exploits de son frère ou en train de l'enjoindre d'être prudent! Elle ne joue quasiment aucun rôle dans l'action... sinon celui de femme de ménage (p.147!!), comme je le disais plus haut. En somme, je n'ai rien contre un personnage au rôle plus passif, qui permet au héros de réfléchir à ses problèmes à voix haute sans avoir l'air de soliloquer... Mais je trouve méchamment mensonger de nommer ce personnage dans le libellé de la série car, loin de vivre des aventures, elle les subit relativement passivement, ou agit comme modératrice auprès de son impétueux frangin...:^(
- deux coquilles. D'abord, il manque un mot dans le premier phylactère de la p.130. Puis, à la p.178, Benjamin réalise que ses amis et lui sont «prisonniers de quatre dangereux bandits!»... Mais ces hommes ne sont pourtant que 3 !? D'où vient ce 4e lascar dont il fait mention? Il me semble qu'il s'agit là de petits bogues mineurs qu'un éditeur devrait corriger avant de réimprimer une œuvre, non?
- quelques exagérations qui poussent un peu loin et minent la crédibilité. Je veux bien croire qu'on est dans des récits d'aventure pour la jeunesse, mais il y a un minimum de bon sens à respecter! Quand Benjamin casse un hublot d'avion à coup de soulier (p.39), moi, je décroche! Même chose quand je vois un commissariat de police avec un toit entièrement constitué d'une immense verrière(p.87) : ne serait-ce que pour la sécurité, je trouve ça très malhabile! Pour ce qui est du ranch, la rapidité avec laquelle il devient prêt à recevoir ses premiers clients est assez déconcertante! Quels héros, ces Ben et Ben!! ;^)
- la qualité de la reprographie de la section finale. Pour ce qui est des gags de Poussin et Poussif, de la Famille Moutonet et de la Famille Cokalane, qui complètent l'album, les éditeurs ont dû, manifestement, partir des pages de journaux dans lesquels ces séries ont été publiées. Il en résulte des couleurs plutôt fanées, où l'on semble voir le grain du papier journal... Plusieurs de ces pages ne sont qu'en noir, blanc et rouge, d'ailleurs, comme c'était le cas à l'époque, dans les journaux... Celles-là sont souvent très sombres, ce qui nuit à la lecture des images. Heureusement qu'on a aussi droit à quelques planches originales qui, elles, sont d'une netteté absolue! ;^)
- la devanture de maison amovible!! Peut-être avez-vous lu ma critique de l'album du Petit Nicolas ? J'y mentionnais à quel point je déteste quand un illustrateur change des détails aussi centraux que la demeure des héros, ou leur environnement immédiat. Eh bien c'est encore le cas ici!!:^P Dans la première planche de la Famille Moutonet (p.203), Uderzo prend la peine de nous montrer papa Moutonet qui rentre dans son charmant petit cottage familial, une maison au design original entourée d'une petite haie... Pas plus tard que trois pages plus loin, on nous montre maintenant qu'une vaste étendue gazonnée, avec de très grands arbres matures, sépare le trottoir de la porte d'entrée!?! Pourquoi ne pas avoir instauré ce terrain et ces arbres dès le départ??
Les plus grandes forces de cette BD :
- le trait, déjà très maîtrisé, d'Uderzo! Dans le style et les couleurs (très lumineuses, déjà), on reconnaît parfaitement ce que sera Astérix... parfois même en mieux que dans les premiers albums!!:^0 D'ailleurs, on retrouve certaines binettes qui seront reprises pour quelques-uns des personnages secondaires d'Astérix! Puis, comme je le stipulais plus haut, j'ai trouvé très agréable de découvrir le style Uderzo dans des décors «contemporains» d'alors... c'est-à-dire rétro-tendance d'aujourd'hui!! ;^)
- les décors des années 50-60. On reconnaît parfois les mêmes éléments de décoration ou d'architecture qui m'avaient tant plu dans les Modeste et Pompon de Franquin! ;^) Je constate que suis très sensible à cette esthétique, qui me rappelle mon enfance, j'imagine...
- le dossier historique de présentation. Dans cette trentaine de pages, richement illustrées, on nous explique les débuts du duo Goscinny-Uderzo. On nous y mentionne que Goscinny a été un des premiers à militer pour une reconnaissance des métiers d'illustrateurs et de scénaristes. Il a été à l'origine d'un embryon de syndic, ce qui l'a mis sur la touche aux yeux des employeurs... et l'a poussé à partir son propre journal (Pilote, pour ne pas le nommer)! À l'aide de maints textes et photos, on nous donne un bon petit aperçu de ce que devait être le monde de la BD, en France, dans les années 50-60...
- l'humour, déjà très présent, tant dans les textes que dans les dessins. Ça reste assez naïf, mais très efficace. D'abord, dans les noms. Dès la p.12, on fait la connaissance de la superbe Brogotte Bardy! ;^D Puis, on croise Pepe Saperlipopeto, terroriste professionnel de Carambie... Certains jeux de mots sont bien amusants (les moutons sous le lit de la p.71, la raison perdue de la p.94...). Parfois, ce sont les exagérations qui servent d'élément comique(les éléphants, p.105), d'autres fois, ce sont les contrastes (la voiture, dans le bas de la p.79, la documentation des deux savants - p.112 -, ou l'Amérindien qui «court» couper le courant, p.161! ;^). Finalement, même le burlesque (tout l'épisode des yeux bandés, à la fin du Grand Boudtchou) ou la récurrence (le commissaire qui n'arrive pas à dire le mot Boudtchou! ;^) sont mis à profit pour nous stimuler les zygomatiques. Il est fort, le Goscinny, et fort habilement épaulé par Uderzo!
- l'efficacité des scénarii et de certaines idées. Avouez que l'invention de M. Pigeon, qui permet de faire voler les objets, fait rêver!!:^o Et tout l'épisode de l'évasion de la cellule de prison des Boboh est très ingénieux (à défaut d'être très réaliste!! ;^). Mais le meilleur scénario reste le dernier, celui chez les Cow-boys: l'incipit en est génialement accrocheur, et toute l'aventure culmine vers une finale remplie de suspense! Le tout (comme dans Astérix, d'ailleurs) sans qu'aucune goutte de sang ne soit versée, même suite à une violente explosion, par exemple!
- quelques caméos discrets! Uderzo s'est, de tout temps, amusé (et c'est confirmé dans le dossier du début de l'album) à caricaturer tant ses amis que des personnalités publiques. Ainsi, dans ces aventures-ci, on peut reconnaître son pote Charlier (p.144-145) et Goscinny lui-même (p.46)!
- deux personnages secondaires mémorables! On les retrouve tous deux chez les Cow-boys. Il s'agit de cette pittoresque Miss Punchball (une amusante petite vieille qui en a encore dedans!) et du si placide Lambert Jules (celui que Benjamin a tenu à engager comme garde du corps!!). À eux deux, ils contribuent énormément au fait que ce dernier épisode soit mon préféré!
- la section finale, avec les petites séries de gags «alimentaires». Avec ses 3 gags de 3 pages chacun, Poussin et Poussif nous présente un bébé turbulent, Poussin, que ses parents laissent à la surveillance d'un gros chien dépassé, Poussif. Ces gags, quasi sans dialogues et dessinés à hauteur d'enfant (on ne voit jamais que les jambes des parents!) sont sympathiques... mais je ne sais si Goscinny aurait pu continuer longtemps sans tomber dans la redondance! Pour sa part, la Famille Moutonet, avec ses 5 pauvres petites planches (dont une de présentation des personnages!), ne servira en quelque sorte que de brouillon à la Famille Cokalane qui, elle, est une commande publicitaire de la lotion capillaire Pétrole Hanh. Ainsi, dans chacun de ces 12 gags pondus par notre duo chouchou, on peut jouer à une sorte de «Où est Charlie?» en partant à la recherche de la bouteille de lotion! Plaisant! ;^)
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