#01- LE MATIN DES CENDRES / 1RE PARTIE
Scénariste(s) : David CHAUVEL
Dessinateur(s) : Jérôme LERECULEY
Éditions : Delcourt
Collection : X
Série : Wollodrïn
Année : 2010 Nb. pages : 56
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1/2)
Genre(s) : Heroic fantasy
Appréciation : 5.5 / 6
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De la pure heroic fantasy, somptueusement épique!
Écrit le mercredi 27 juillet 2011 par PG Luneau
La cellule XXVII des geôles de la cité de Marmaëkard renferme trois hommes, une femme, un gobelin récalcitrant et un nain (quelle pipelette, celui-là!). Certains ont été reconnus coupable de meurtres, d’autres de trahison, mais tous vivent leurs dernières heures… car tous seront mis à mort au petit matin!
Mais voilà qu’un important dirigeant du pays vient leur faire une proposition inespérée : en échange de leur parole de s’impliquer dans la mission qu’il a à leur proposer, il est prêt à leur redonner la liberté sur le champ, en plus de les payer grassement !! Tous acceptent, évidemment… mais sans vraiment avoir le choix car les barreaux de leur cellule volent en éclats sur ces entrefaites : l’évasion est pour maintenant !!
Ce n’est qu’après une fuite effrénée hors de la ville que le petit groupe finit par connaître les détails de la mission : la fille de leur sauveur s’est fait capturer par les Orcs, qui l’ont entraînée dans leur royaume!! Nos «volontaires… désignés d’office» devront tout tenter pour la ramener vivante… s’ils le restent eux-mêmes, bien évidemment!! Mais ça, rien ne le certifie!! En effet, non seulement le territoire des orcs est réputé mortel pour quiconque n’appartenant pas à leur race (et encore!) mais, en plus, une guerre vient d’être déclenchée par divers clans de leur royaume! La mission, qui s’annonçait extrême, en devient presque impossible.
Wow! Quel récit fabuleux! On jurerait un scénario de jeu de rôles!! Du moins, il est tout à fait à l’image des aventures impensables que pondent mes maîtres de jeu, Sylvain et Philippe, que je salue bien bas! Si la première moitié de l’album est plus statique, avec beaucoup de dialogues précisant la mise en contexte et présentant les personnages, toute la deuxième partie est un feu roulant d’action, de combats, d’attaques, de suspenses et de revirements-surprises.
Mais comment ne pas être soufflé par l’ultime beauté graphique des dessins de Jérôme Lereculey, qui n’arrête pas de parfaire la maîtrise de son crayon à dessin depuis qu’il a terminé sa (déjà très belle) série Arthur?!?! Cet homme est un génie du dessin! À l’image de Buchet (qui a fait la Quête des réponses et qui continue de faire l’excellente série Sillage), son dessin est précis, minutieux, gracieux, détaillé… Il sait allier un souffle indéniable et une force virile quand c’est nécessaire, mais peut aussi s’attarder sur de splendides petits détails si la situation le permet. Si ses personnages avaient toujours un petit quelque chose de trop fin, de trop étiré, qui leur donnait des allures d’elfes dans sa populaire série Arthur, il a su, depuis, redresser le tir et nous sert maintenant un joyau de perfection!
Non, vraiment, je suis heureux que Chauvel, chef de projets aux éditions Delcourt, ait entraîné Lereculey dans l’entreprise de la collection 7, il y a trois ou quatre ans, en réalisant avec lui le tome 7 voleurs (je vous ai présenté, déjà, mes critiques des albums 7 guerrières et 7 prisonniers, de la même collection). En effet, c’est en travaillant sur cet album qu’ils ont tout deux pris goût à ce monde peuplé d’orcs, de gobelins, d’elfes et de nains et qu’ils ont forgé le contexte (et même certains personnages!!) du présent Wollodrïn, dont il me tarde maintenant de lire la conclusion, qui sortira dans un mois à peine (fin août 2011)! Souhaitons-nous que la fin soit à la hauteur du reste!
Si vous avez raffolé du Seigneur des anneaux (les films autant que les livres) et si vous êtes intrigués par l’univers du jeu Donjons et Dragons, cette série est pour vous! À partir de 14 ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- certains petits détails dans les dessins. Comme ce chasseur de pigeons de la première planche, qu’on retrouve avec son butin, dans le milieu de la deuxième. C’est discret et subtil, et je suis sûr que plein de lecteurs passent à côté sans même l’apercevoir!
- la richesse du vocabulaire. Qui a dit que la BD était de la lecture facile?? Voyez par vous même : « (…) Après longues palabres et débats contradictoires étendus, la cour ici rassemblée en son jugement paisible vous reconnaît coupable de traîtrise, complot et meurtre en triple mesure et vous condamne à être dégradé, bastonné et démembré en place publique jusqu’à ce que toute vie s’efface de vos corps et esprits et que, par là, justice soit faite aux hommes, au ciel et à la terre.» Nonobstant le caractère un peu excessif du propos, avouez que c’est plus que joliment formulé, non? «… jusqu’à ce que toute vie s’efface de vos corps et esprits… »! C’est d’une poésie presque émouvante! Chauvel a vraiment une belle plume! Autre preuve : cette appellation de l’année durant laquelle se déroule l’aventure : l’année des bourgeons duveteux (p.3). N’est-ce pas charmant?
- le dessin de Lereculey en général, et les paysages en particulier. Comme je me suis déjà répandu sur ce que je pense du travail de cet artiste plus haut, je me contenterai ici de simplement renchérir au sujet de son incroyable talent pour les paysages montagneux!! Rappelant les sublimes images que Peter Jackson avait tournées en Nouvelle-Zélande pour sa trilogie du Seigneur des anneaux, les doubles pages 13-14 et 26-27, ouvertes sur l’infini, ne paraissent finalement qu’ordinaires à comparer aux richesses sylvestres ou rocailleuses des pages 23 et 33. Féériques!
- les fantastiques mise en page de Lereculey. Les vignettes sont disposées de façon très dynamique, les petites se trouvant souvent à en chevaucher une plus grande, qui prend toute la page… ou même la double page, quelques fois. C’est vraiment magnifique. Le texte, quand même bien présent, parvient à bien s’amalgamer à tout cela, à se faire discret malgré tout. Du grand art… malgré le problème des pages 38 et 39 (voir plus bas).
- les couleurs, lumineuses malgré les teintes terreuses. J’ai eu la chance de voir les premières planches en noir et blanc, dans un dépliant publicitaire, et ça m’a permis de constater de l’impact indéniable que rajoutent les teintes de Christophe Araldi et Xavier Basset, les deux coloristes. De plus, j’adore les contrastes très tranchés qu’ils ont implantés aux nombreuses planches qui nous entraînent dans des retours en arrière (p.13, 21-22, 29-30 et 42 à 44), pour nous montrer un peu du vécu de chacun des personnages.
- des personnages assez intéressants, malgré qu’ils restent tous un peu mystérieux. Le nain amène une certaine touche d’humour avec son intarissable verbiage. La fille, assez secrète, se révèle avoir plus de ressources que l’on croyait. Quant aux deux aventuriers, les maîtres Ivarr et Ebrinh, il me fait bien plaisir de les retrouver, puisqu’ils étaient du one-shot 7 voleurs, qui a servi, tout compte fait, de prémices à ce récit-ci! Ceux d’entre vous qui me suivez plus régulièrement savez déjà combien j’adore retrouver un même personnage dans différents contextes ou différentes séries! Ici, j’ai droit à deux come back pour le prix d’un!! Et dernière chose que j’adore, par rapport à cet album : les tranches du passé des membres de cette folle équipée, servies en flash-back! C’est vraiment instructif de les voir sous leur vrai jour!
- la solidité du scénario. On est face à un récit somme toute assez classique dans le genre, mais qui démontre, jusqu’à maintenant du moins, une absence d’incohérence fort louable. C’est déjà un exploit! Bon, c’est vrai : la confiance aveugle que le régent Dila Regoniem semble vouer envers la parole d’honneur de ces criminels peut paraître un peu naïve. Cependant, certains aspects de leur libération, et du fait qu’ils aient tous été mis dans la même cellule peuvent nous laisser supposer que le grand patron en sait pas mal plus sur ces personnages que nous-mêmes, et qu’il les a choisis avec soin! De plus, il peut être concevable que l’honneur, s’il n’est plus tellement «tendance», au XXIe siècle, soit une valeur prépondérante pour certains individus dans un univers d’heroic fantasy comme celui-ci! D’ailleurs, j’ai très hâte d’en savoir plus sur le mystérieux conciliabule entre Rohrr et Ebrinh, qui laisse sous-entendre, sans rien nous révéler, qu’il y aurait quelque agenda caché dans toute cette mission suicide! Brrrr! Du bonbon, cette histoire!!
- les combats, grandioses, épiques! Quand le skwaar sort de nulle part pour attaquer nos compagnons, coincés dans la gorge de la rivière, l’effet est saisissant! J’ai rarement vu une bestiole aussi horriblement réaliste que celle-ci. De plus, le punch de ce qui suit ce premier combat est des plus efficaces (je ne vous en dit pas plus pour vous garder la surprise!)! Et le combat final!! Ouf! Titanesque!! C’est la première fois que je vois des combattants qui osent s’attaquer carrément aux chevaux de leurs adversaires, leur plantant des piques dans le poitrail ou leur tranchant les pattes!! Si ça peut paraître choquant et barbare… c’est qu’il ne peut en être autrement!! Des orcs se doivent d’agir en orcs, et non en homme du monde!! En prime, ce combat sépare nos héros en deux groupes distincts… Comme j’ai hâte de voir ce qu’il adviendra d’eux dans le tome #2!!… Surtout que leur quête semble tellement impossible!
Ce qui m’a le plus agacé :
- le nom de la série, et le titre de l’album en tant que tel. Jusqu’à maintenant, aucune idée de ce à quoi ce Wollodrïn fait référence, ni à quoi peut se rapporter l’expression «le matin des cendres» dont les auteurs ont affublé leur œuvre. La deuxième partie sera-t-elle plus éloquente en la matière?
- la couverture. Pourquoi avoir placé les personnages si loin? Ils auraient gagné en magnificence s’ils avaient été représentés de façon plus serrée, en plan moyen plutôt qu’en plan d’ensemble, et ça nous aurait permis de déjà mieux apprécier la minutie du travail de Lereculey.
- la finesse des traits de Lereculey. Elle est si exceptionnelle qu’il peut se permettre de placer des tonnes de petits détails dans ses décors. Le problème, c’est que même sur une page de grand format, on peine souvent à voir ses superbes détails, à moins d’y aller à la loupe! On pourrait difficilement demander des pages plus grandes!! Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet artiste est d’une générosité graphique sans borne!
- la lisibilité de la double page 38-39. On ne sait pas trop dans quel ordre lire les vignettes. J’ai eu beau essayer de les lire dans un sens comme dans l’autre, je n’ai pas trouvé d’enchaînement qui soit satisfaisant. C’est le seul écueil de mise en page de tout l’album, et heureusement, car il est de taille!
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