#00- LES MAUVAIS RÊVES
Scénariste(s) : Pierre CHRISTIN (alias Linus)
Dessinateur(s) : Jean-Claude MÉZIÈRES
Éditions : Dargaud
Collection : X
Série : Valérian, agent spatio-temporel
Année : 1967 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit complet + un album illustré (Inspir. comics)
Genre(s) : S.F., Fantastique médiéval, Humour
Appréciation : 3.5 / 6
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Valérian ou le berceau de la S.F. française...
Écrit le dimanche 14 janvier 2018 par PG Luneau
Tomes lus : #0- les Mauvais rêves
#1- la Cité des eaux mouvantes (1969, Récit complet, S.F., 4/6)
#2- l'Empire des mille planètes (1970, coll. Indispensable de la BD, Récit complet, S.F., 4,5/6)
#3- le Pays sans étoile (1972, Récit complet, S.f., 4/6)
500!! Eh oui : 500!! C'est ma 500e critique!! Qui aurait pu imaginer que ça irait aussi loin, lorsque j'ai commencé cette Lucarne, il y a 8 ans et demi??!
Habituellement, à chaque critique correspondant à un multiple de 50, je me penche sur une série dite classique, qui faisait les beaux jours de notre jeunesse... Mais aujourd'hui, pour cette 10e critique spéciale, il fallait que je choisisse judicieusement! C'est alors que toute la folie de cet été, entourant la sortie du film Valérian, m'est revenue en tête... et mon choix s'est imposé de lui-même!
J'ai donc décidé de me replonger dans les premiers tomes de LA série-culte de S.F. française, et j'ai nommée : Valérian, agent spatio-temporel. J'ai peut-être lu les dix premiers tomes, étant ado, du temps où j'avais un cours sur la BD, au cégep, et que j'avais fait un travail sur le tome #8, les Héros de l'équinoxe, pour mon enseignant, monsieur Jacques Samson (sans savoir, à l'époque, qu'il était une des rares sommités québécoises en matière de BD!!). J'ai tout de même choisi de me replonger dans ces premiers tomes, car mes souvenirs en sont assez flous : si ça se trouve, j'en ai peut-être sauté un ou deux à l'époque.
J'avais opté pour les tomes #1, 2, 3 et 4... puis j'ai remarqué qu'un tome #0 s'était, depuis, infiltré dans la séquence! Celui-là, je savais que je ne l'avais jamais lu et, puisqu'il raconte la rencontre originale entre Valérian et la belle Laureline, j'ai préféré changer mes plans pour plutôt y aller avec les tomes #0 à 3. Voici ce que ça a donné!
Premier constat, et je sais que je vais m'attirer des plaintes de la part des purs et durs : ces premiers albums ont un peu mal vieilli! Sur le plan des dessins et des couleurs, surtout, on a beaucoup évolué! Et force est de constater que le tome #0, paru initialement dans le magazine Pilote il y a 50 ans (fin 1967, début 1968), était dans un style beaucoup plus caricatural que le reste de la série, tant dans le fond que dans la forme! J'ai été en effet très étonné de constater à quel point la première aventure de Valérian et Laureline nous est contée sur un ton naïf tout à fait léger, comme une parodie de S.F. qui ne se prend pas du tout au sérieux!! Xombul, le méchant (machiavélique comme il se doit, avec un perpétuel regard cruel), veut «conquérir l'univers» en contrôlant les rêves de ses concitoyens du XXVIIIe siècle. Pour ce faire, il saute au Moyen-Âge terrien pour voler une formule alchimique qui transforme les gens en monstres (!??!) et tente de revenir à son époque pour incorporer ces monstres aux rêves de ses futurs esclaves! Gniark gniark gniark! aurait-on envie d'ajouter! Avouez qu'on n'est pas très loin des plans foireux de Gargamel!! En fait, on est plus proche de Johan et Pirlouit ou de Percevan que de S.F. à proprement parler! Manifestement, Mézières et Christin faisaient dans le léger, et ce n'est que plus tard qu'ils ont opté pour un peu plus de réalisme, tant dans le dessin que dans les propos! Néanmoins, malgré sa légèreté, cette aventure a le mérite de nous présenter le héros, habile, tenace et un brin maladroit, ainsi que sa rencontre avec celle qui deviendra, à coup sûr, le réel intérêt de toute la série, la délicieuse et toujours surprenante Laureline!
Ce récit des Mauvais rêves ne faisant qu'une trentaine de planches, comme c'était souvent le cas, à l'époque, les éditeurs ont décidé d'y adjoindre un autre texte illustré, les Astéroïdes de Shimballil. De fait, il s'agit d'un très court scénario qui devait servir d'amorce à un premier dessin animé avec nos deux héros... au début des années 80!! Le projet ayant manifestement été sabordé, Dargaud a choisi de compléter ce tome #0 en racontant cette petite histoire sous forme de texte illustré, les illustrations étant tirées de ce semblant de début de dessin animé. Si l'ambiance et le suspense qui y sont instaurés sont intéressants, la rapidité avec laquelle cette anecdote se lit ainsi que sa finale en queue de poisson font en sorte que ce récit n'a d'intérêt que sur le plan anthologique!
Et j'aurais tendance à étendre ce commentaire sur tout le tome #0, malgré le fait qu'il nous présente la genèse de la relation entre les deux principaux protagonistes : pour quiconque ne s'intéressant pas à la série, il s'agit d'un tome sans grand intérêt! Si le récit principal peut plaire aux plus jeunes, son dessin vieillot et ses couleurs criardes risquent de les rebuter... À réserver aux grands fans, donc!
Pour ce qui est des tomes suivants, on tombe dans le plus connu... Mais j'en ai tout de même appris, après quelques recherches dans le Net!
Le tome #1, la Cité des eaux mouvantes, est réellement construit en deux séquences : la pagination des planches, qui passe de la planche #28 à la planche #1, entre les pages 26 et 27, nous le confirme... de même qu'Internet! Chaque moitié faisait 28 planches (mais certaines ont été retirées ou redessinées lors de la première édition en album, en 70), et constitue les deux parties d'un même récit : la première se déroulant dans le New York des années 80, inondé suite à un désastre écologique, alors que Valérian y poursuit Xombul (encore lui?), en fuite ; la seconde racontant comment nos deux héros ont pourchassé leur ennemi jusque dans un laboratoire (un peu trop!) perfectionné, caché dans les Rocheuses! Le dessin y est encore un peu malhabile, mais les scénarii se raffinent un peu.
Dans l'Empire des mille planètes, de loin l'album le plus réussi des quatre, on retrouve notre petit couple d'aventuriers spatio-temporels en mission sur Syrte-la-magnifique, pour y vérifier si une prise de contact avec la Terre est souhaitable. Sans trop le vouloir, ils mettent le doigt dans des engrenages complexes lorsqu'ils sont confrontés aux Connaisseurs, ces puissants conseillers-médecins de l'empereur dont on dit qu'ils prennent de plus en plus de pouvoir au sein du palais impérial. Et c'est sans compter que la révolte gronde, dans les bas quartiers de la capitale... Mais qui sont donc ces mystérieux Connaisseurs au visage perpétuellement casqué?? À noter que, malgré son titre qui ressemble à celui du récent film (Valérian et la Cité des mille planètes), ce tome n'a rien à voir avec le récit du film, qui reprend plutôt, en l'adaptant largement, les idées à la base du tome #6, l'Ambassadeur des ombres. Allez y comprendre quelque chose!?! :^P En fait, c'est beaucoup plus dans la saga Star Wars qu'on retrouve des tonnes de références à cet album... mais j'en parle un peu plus bas!!
Finalement, dans le tome #3, le Pays sans étoile, un énorme astéroïde fonce sur des colonies terriennes, et Valérian et Laureline sont envoyés pour tenter de le faire dévier. Une fois sur place, ils découvrent que non seulement la masse rocheuse est creuse, mais qu'elle est habitée par deux peuples rivaux, perpétuellement en guerre, dans un conflit s'apparentant à la guerre des sexes!!? Comment réconcilier tout le monde et leur faire découvrir que tout un univers existe à l'extérieur de leur vase clos, sans trop les bouleverser... mais tout en évitant la funeste collision prévue??!
Il n'y a pas à dire, à partir du tome #2, les scénarii sont beaucoup plus fouillés, et valent le détour... sans que l'humour ne soit laissé en plan! Au contraire, les touches humoristiques sont toujours bien présentes et constituent même une caractéristique fort positive de la série. Le dessin est un peu plus contrôlé, mais les mises en pages font très sixties/ seventies, avec un petit côté psychédélique que l'improbable colorisation accentue atrocement. Si vous êtes nostalgiques de cette période yéyé, ou que vos yeux peuvent supporter les orgies de couleurs criardes, je vous recommande ces albums. À partir de 12 ans.
P.S. : Juste un mot sur la polémique Star Wars / Valérian, Plusieurs sites en parlent, sur le Net, et tous ont été ravivés par la sortie du film! On sait maintenant que Georges Lucas avait lu les premiers tomes de Valérian et s'en serait GRANDEMENT inspiré (manière polie de dire qu'il en a plagié de grands bouts!!?) pour plusieurs aspects, notamment visuels. Je vous invite à taper Star Wars vs Valérian dans un moteur de recherche : les correspondances sont troublantes!! Mais jamais Mézières ou Christin n'a reçu un seul crédit, une seule mention, une seule reconnaissance ni même un merci de la grosse machine américaine! C'est un peu décevant!!
À lire aussi : les critiques des tomes #1, 2 et 3 de Yaneck et celle que Jérôme fait de la série entière.
Plus grandes forces de cette BD :
- l'humour, disséminé de-ci de-là dans chaque album. Il découle principalement de la désinvolture de Valérian ou du caractère bien trempé de Laureline, et nous fait comprendre que les auteurs ne veulent pas trop se prendre au sérieux. A-t-on jamais vu un vaisseau spatial zigzaguer parce que son pilote était ivre au volant?!! Eh bien, dans le Pays sans étoile, on le voit!! ;^)
- la grande imagination de Christin... qui signe ses premiers scénarii d'un nom de plume: Linus!! ;^) On le remarque à plein de petites idées originales, aux foules de concepts délirants qu'il instaure dans ses différents mondes. Si le casque d'enseignement mnémonique instantané est un peu classique, il n'en reste pas moins hypercool (et pratique, pour un scénariste!! ;^). Mais plein d'autres idées sortent de l'ordinaire: les bulles-prisons du tome #1, la pluie-glace et les fleurs aériennes du tome #2, la planète-creuse et les bestioles géantes qui servent de roulottes, dans le tome #3! De même, j'ai beaucoup apprécié tous les produits exotiques présentés dans les premières pages de l'Empire...
- les belles allégories du tome #3. D'abord, j'ai été fasciné par ce peuple nomade qui récolte des explosifs afin d'alimenter les deux peuples rivaux de la planète-creuse. Ce commerce plus que douteux avec les deux factions belligérantes est en fait le mode de subsistance de ce peuple d'exclus... mais nous rappelle le rôle incroyablement retors que certaines contrées de notre propre planète jouent dans les guerres qui y sévissent! Puis, il y a l'amusante inversion des stéréotypes que Christin impose à ses deux peuples en guerre, justement: les femmes-guerrières (qui dénigrent les hommes depuis si longtemps que ceux qui vivent en esclaves auprès d'elles sont maintenant convaincus qu'ils valent moins que rien!?!) versus les hommes précieusement raffinés qui abhorrent la guerre et qui préfèrent y envoyer leurs esclaves féminines. Cette réjouissante inversion des valeurs stéréotypées devait être particulièrement avant-gardiste, en 1972!!?:^O
- Laureline. Quelle héroïne, non?! Elle est, et de loin, bien plus intéressante que Valérian. Son impétuosité, sa grande détermination, son petit ton toujours un peu rebelle, frôlant le manque de respect, et ses répliques cinglantes font d'elle une des premières véritables héroïnes de BD franco-belge dignes de ce nom. Elle est véritablement adorable, comme à la p.16 du tome #1, quand on réalise le contraste entre ce qu'elle a fait et ce qu'elle DIT avoir fait!! ;^)
- l'usage de l'image de... Jerry Lewis (?!!), comme dans le film Dr Jerry et Mister Love, pour personnaliser le Dr Schroeder, dans la Cité des eaux mouvantes. L'idée est plaisante, quoiqu'elle n'ajoute rien au récit. En fait, je lui ai préféré le personnage d'Elmir, le chef de la guilde des marchands, dans l'Empire des 1000 planètes. Il est beaucoup plus étoffé et intéressant!
- le dernier quart de l'Empire des 1000 planètes, où l'action prend le dessus comme jamais dans le récit! Combat stellaire, assaut terrestre, le tout illustré à force de pleines pages éclatées. Ouf!!
- quelques belles trouvailles visuelles. La couverture du 3e tome me semble particulièrement bien composée, avec le pont rocheux et les bestioles-roulottes qui l'enjambent. J'aime bien, aussi, le contre-jour qui sert à illustrer les sauts temporels des vaisseaux, avec le tramé pointillé en dégradé concentrique. C'est simple mais d'une belle efficacité. Ça permet, d'ailleurs, une intéressante dématérialisation, à la fin du tome #1, quand Xombul rate son coup!! ;^)
Ce qui m'a le plus agacé :
- l'intéressant schéma avec les différentes lignes temporelles possibles, permettant de régler notre ordre de lecture des tomes. Il y avait longtemps que je voulais analyser cet outil, fourni depuis quelques années seulement... mais j'ai été TELLEMENT déçu!! Il est en grande partie incompréhensible, sans légende pour expliquer les couleurs des traits!? On peut à peine y reconnaître une identification de certains cycles! Au bout du compte, je ne suis pas plus avancé!!:^(
- le côté très caricatural des personnages, surtout dans les premiers tomes. C'est fascinant de constater à quel point le dessin a évolué, et très rapidement (heureusement, ai-je envie d'ajouter!!:^P) Dans le tome #0, on a parfois l'impression d'être en train de lire du Seron ou du Walt!! On pourrait presque parler d'un changement radical d'esthétique, comme si les auteurs ont finalement opté pour un plus grand réalisme après deux ou trois tomes.
- la coloration. C'est probablement la plus grande lacune de ces premiers tomes: des couleurs tantôt criardes, tantôt fadasses, frôlant parfois le psychédélique... quand ce n'est pas pour plonger à fond dans le psychotronique à d'autres moments!:^P Tout ça fait très années 60-70 et a TRÈS mal vieilli. Je me demande vraiment à quel point une recoloration moderne relancerait la série? Parlant couleurs, le site Placard à BD m'a fait remarquer une erreur de coloration dans le tome #3 (p.18, 5e vignette): la coloriste a jauni le bras de Laureline comme s'il était le prolongement de celui de Valérian! Oups! ;^)
- la calligraphie de ces premiers tomes. Elle est parfois si fine que certaines lettres en deviennent illisibles (voir p.14 du tome #0)! Un retraçage aurait parfois été salutaire... et aurait permis de corriger quelques coquilles, comme le mot CHOSE manquant (tome #1, p.23, 2e case), l'horrible césure DEVRAI-ENT (tome #3, p.3, 6e case) ou la faute d'orthographe ATTERSAGE (tome #3, p.6, 6e case)...
- la présence de magie (dans le tome #0). J'en reparlais récemment (dans ma critique de Nightwing) : je déteste généralement quand le fantastique interfère avec la S.F.... Mais ici, c'est VRAIMENT n'importe quoi!! Résumons: Valérian (de 2720) poursuit un criminel (de 2720) et tous deux se retrouvent dans notre Moyen-Âge terrestre... où on retrouve une forêt magique avec des feuilles gobe-passants et un enchanteur qui transforme les humains en horribles quadrupèdes difformes et ailés!!?? C'était ça, NOTRE Moyen-Âge?!? N'importe quoi, je vous dis! En plus, le fait qu'un scientifique du XXVIIIe siècle doive venir voler un alchimiste de l'an 1000 mine ÉNORMÉMENT la crédibilité de la technologie futuriste!!:^(
- le côté très verbeux de certaines planches... Les pages 22 du tome #1 et 32-33 du tome #2 en sont de beaux exemples. Paradoxal, non, de la part d'un gars qui fait des critiques interminables!! ;^D
- certains passages peu convaincants ou qui s'enchaînent moins bien. C'est particulièrement flagrant dans le tome #1: l'enchaînement des p.17-18 ou 25-26 est vraiment bancal... mais ça s'explique par les planches coupées lors du passage de la version magazine (dans Pilote) à la version album. Dans le tome #3, la simultanéité trop symétrique de ce que vit Valérian (chez le peuple des femmes) et Laureline (chez les hommes) manque de crédibilité... de même que la finale un peu trop fleur bleue de ce même tome. Dommage!
- le manque de fluidité dans la lecture de certaines planches. Les p.33-34 du premier tome, par exemple, ou les p.15 ou 24 du tome #2. En fait, j'en étais venu à croire que, quand 2 cases empilées côtoyaient une grande case plus haute, Mélières voulait nous faire lire la 1re case de gauche, suivie de la grosse de droite et, finalement, la 2e case de gauche, ce qui va à l'encontre de la norme (qui est de lire les 2 cases empilées de gauche AVANT celle de droite). Pourtant, plus loin dans le tome #2 (p.28-29), il utilise le code standard. On valse donc entre les deux modes, ce qui devient embêtant...
- la naïveté de certains passages. Par exemple, toute la partie du tome #1 qui se déroule sur Terre en 1986. Je sais qu'elle a été écrite 20 ans plus tôt, mais je trouve que les technologies mises en place dans les laboratoires des Rocheuses sont exagérément sophistiquées. Les gens de 1966 croyaient vraiment que la science aurait évolué autant en 20 ans?? :^0 Puis, a contrario, les robots qu'on y montre semblent tout droit sortis d'un film de série B des années 50!! C'est le monde à l'envers!! :^S
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