#01- LA SUITE APOCALYPTIQUE
Scénariste(s) : Gerard WAY
Dessinateur(s) : Gabriel BA
Éditions : Delcourt
Collection : Dark House Books
Série : Umbrella Academy
Année : 2007 Nb. pages : 186
Style(s) narratif(s) : Récit complet (Comics)
Genre(s) : Thriller fantastique, Steam-punk, Superhéros / Justicier masqué, Drame familial
Appréciation : 5.5 / 6
|
Quand des superhéros lavent leurs capes et leurs collants sales en famille!
Écrit le dimanche 28 août 2011 par PG Luneau
Ce que j’aime le plus des histoires de superhéros, c’est de voir l’impact psychologique des superpouvoirs (et des grandes responsabilités qui en incombent) sur les états d’âme des héros et de leur entourage. Comment gérer les attentes des gens? Comment savoir doser ses forces? Comment se dire : «C’est assez pour aujourd’hui, je dois maintenant aller dormir même si je sais que des vols, des meurtres, des crimes que je pourrais facilement empêcher sont encore commis présentement!» Comment rester soi-même? Et puis, quelle perception du monde on doit avoir, à côtoyer chaque jour que des malfrats et des vilains, encore et encore, sans relâche? Ces questionnements me fascinent!
Par contre, ce qui m’horripile littéralement dans ces séries, ce sont les supervilains, toujours mégalomanes, qui veulent «détruire la planète» sans raison apparente, et que tous les lecteurs semblent prendre au sérieux. Avec Umbrella Academy, Gerard Way et Gabriel Ba ont trouvé le moyen de me gâter!!
D’abord, l’histoire de leur équipe de superhéros est fascinante. À une époque assez floue (le récit pourrait aussi bien se passer en 1960 qu’en 2000!), 43 enfants sont nés spontanément, tous de femmes qui n’étaient même pas enceintes!! Sept de ces surprenants poupons ont été adoptés par Sir Reginald Hargreeves, un multimillionnaire féru tant en sciences et technologies qu’en occultisme et… en escrime! L’enfance et l’adolescence de ces sept jeunes, aux pouvoirs aussi impressionnants que leur genèse est inexplicable, ne seront pas de tout repos! Étant élevés presque comme des cobayes par ce mystérieux savant aux idées folles (il rappelle un peu le capitaine Nemo, de Jules Vernes, de par son caractère taciturne), il n’est pas surprenant que la jalousie, les béguins secrets et les luttes de pouvoirs qui sévissaient entre les membres de cette «famille» d’un type assez particulier aient engendré tant de rivalité. Mais qui attirera le plus l’attention de «papa» Hargreeves?
Est-ce que ce sera #00.01, autrement appelé Luther, garçon à la force herculéenne dès son plus jeune âge? L’impulsif et hargneux Diego, #00.02? La belle Allison, #00.03, qui peut imposer sa volonté aux autres? Le gothique Klaus, #00.04, qui en plus d’avoir l’air d’un cadavre peut communiquer avec les morts? #00.05, qui peut voyager dans le temps? #00.06, alias Ben, qui peut extraire de son abdomen une demi-douzaine de tentacules de pieuvre (!!) ? Ou la douce Vanya, #00.07, qui… ne sait que jouer du violon divinement bien?!?! Sir Hargreeves formera ses six premiers enfants en une équipe de superhéros au service de la paix et de la justice : ce sont eux, l’Umbrella Academy. Ce faisant, il laissera toutefois trop souvent la pauvre Vanya de côté, et elle en viendra à développer une rancœur tenace envers ses six frères et sœur.
Mais le temps passe et la vie s’organise pour gruger cette fantastique équipe: l’un est gravement blessé et devra se faire greffer un corps de gorille (!!?!), un meurt, l’autre se marie… sans compter que #00.05 est parti dans le futur… et qu’il y est resté pendant presque vingt ans sans donner signe de vie!! Bref, les superhéros tombent presque à la retraite par la force des choses… jusqu’au décès de leur «père», événement majeur qui les forcera tous à se réunir et à laver leur vieux linge sale!!
Comme vous pouvez le constater, point de vue richesse psychologique des personnages, je suis servi!! Et quand de méchants «méchants» décident de profiter de ce momentum pour détruire le monde, comme ça, pour le plaisir, avec une ironie et une désinvolture hilarantes qui ne laissent aucun doute sur le plaisir des auteurs à ne pas se prendre au sérieux, je suis aux anges!!!
En fait, Umbrella Academy, issue de l’imagination débordante de Gerard Way, chanteur du groupe rock alternatif My Chemical Romance, est un étrange croisement de sublimes beautés (la pureté de la violoniste, les retranscriptions toute poétiques des partitions musicales…), d’ultra-trash (les têtes de ceux qu’on s’y attend le moins explosent quand même assez souvent!!!), de fantastique (les voyages dans le temps de #00.05, les pouvoirs psy d’Allison…) et de S.F. (les fonctions de Space-boy… et l’identité secrète de Hargreeves!!). Je ne suis nullement surpris que cet album ait remporté l’Eisner Award et le Harvey Award de la meilleure nouvelle série, en 2008, lorsqu’il est sorti aux États-Unis. Fort d’un scénario original, cohérent, riche et non dénué de pointe d’humour, il est merveilleusement servi par le dessin faussement nerveux de Gabriel Ba, que j’ai découvert ici… et adoré! Bref, je suis ravi de ma découverte, et je me félicite d’avoir pris le beau risque d’acheter cet album un peu au hasard, en ne me fiant qu’au résumé de la quatrième de couverture! Delcourt a déjà traduit le tome #2, en 2009, mais même les Américains sont en attente du tome #3, que monsieur Way avait promis pour 2010. Vivement d’autres tomes!!
Plus grandes forces de cette BD :
- l’étrangeté de l’univers instauré. En trois planches, on est déjà circonspects, déstabilisés… D’ailleurs, on l’est dès la première vignette, qui nous montre un match de lutte entre un homme et… un poulpe géant (!!?) qu’on dit en provenance de Rigel X-9 (re !!?). Puis, l’accouchement spontané des 43 femmes et la présentation de Sir Hargreeves (Prix Nobel, médaillé olympique, inventeur de céréales et… extraterrestre!!) achèvent de nous déculotter. Quand se déroule ce récit? D’où viennent toutes ces extravagances, comme ces putes qui font le trottoir en concurrence avec des guenons de joie, aux pages 86 et 87? Nous sommes pourtant bien sur la Terre, comme le prouve la présence de la tour Eiffel!? En somme, le climat est bien établi : ce sera étrange…
- l’humour, souvent sarcastique. Par exemple, on nous apprend que le moteur du vaisseau de sir Hargreeves serait alimenté par les restes du roi Amen-Kharej IV! Tout au long de l’album, des détails inutiles de ce genre (exemple, les statistiques du bas de la page 28) ou des remarques cocasses nous laissent entrevoir le grand sarcasme de monsieur Way. J’adore!! De plus, certaines références culturelles sympathiques se glissent ça et là, comme ce clin d’œil à King Kong, à la page 117.
- les titres de chapitre. Ils sont toujours présentés de manière grandiloquente, avec un petit descriptif de la liste des principaux personnages qu’on y retrouvera. Ils sont aussi tous suivis de la mention «Chapitre # untel d’un récit en six parties intitulé : la Suite apocalyptique». Toute cette emphase (en fait, ces titres en viennent presque à faire des paragraphes à eux seuls!!) rappelle les titres de chapitre des romans du XIXe siècle, comme dans les romans de Jules Vernes, notamment!
- le dessin atypique, assez saccadé et anguleux. J’aime qu’il ne cherche pas à calquer les standards, mais qu’il le fasse tout en recherchant un certain esthétisme, un style qui reste abordable!
- les personnages! Tous sont fascinants, tant les héros (qui ont des tentacules ou la tête greffée sur un corps de gorille!!) que les ennemis (le robot-zombie de Gustave Eiffel, par exemple) ou les seconds rôles (comme la conjointe de Sir Hargreeves, qui a fait office de mère auprès des jeunes, ou le Dr Pogo, ce chimpanzé parlant qui était leur précepteur). Je n’ose pas trop vous en dire, mais tous, même les tout petits rôles, ont une personnalité, un caractère, du croquant qui enrichit l’ensemble!
- les regards cruels et si expressifs de Vanya, à partir du chapitre #5. On a vraiment l’impression que ses yeux sont vivants!
- tous les surplus, en «complément de programme»! Il y a quelques pages d’esquisses des sept héros (c’est drôle de constater combien certains ont changé, visuellement, depuis ces premiers jets!), mais aussi deux courts récits de quelques planches (Mon Dieu!, un aperçu de deux planches, et le Passé n’en a pas fini avec toi…, un court récit de seize planches) qui avaient servi de présentation de la série sur le Net ou dans un petit recueil publicitaire en vue du Free Comic Book Day, en 2007. Ces récits sont bien mis en contexte, et sont finalement suivis par une très intéressante postface de Scott Allie, qui nous raconte toute la genèse du projet. Ces extras nous permettent de mieux comprendre l’esprit de la série, et d’encore mieux l’apprécier!
Ce qui m’a le plus agacé :
- les couvertures des six fascicules originaux qu’on nous présente comme intercalaire. En effet, il faut savoir qu’à l’origine, chacun des six chapitres de ce récit a été publié en un comic book distinct, comme c’est toujours le cas avec les comics. Chacun de ces petits albums avait une couverture illustrée par James Jean, au style très différent, plus poétique, plus léché… Les Américains procèdent apparemment ainsi pour accélérer la publication : ils demandent à un tiers de produire les couvertures de manière à ce que le dessinateur principal d’une série puisse se concentrer sur le tome suivant sans perdre de temps!! Personnellement, je déteste ce procédé, qui s’apparente à de la fausse représentation! J’en ai parlé, déjà, dans ma critique de la série Fables. Ainsi, si j’avais vu en kiosque ces six tomes-ci avec leur couverture originale, c’est certain que je n’aurais jamais pris le temps de les feuilleter, trouvant leur graphisme trop évanescent, trop doucereux… et j’aurais passé à côté d’une super série! Je trouve que ce n’est pas rendre justice aux réels illustrateurs. Heureusement, Delcourt a préféré choisir une illustration de Gabriel Ba, avec son style résolument plus moderne.
- certaines séquences plus obscures, plus difficiles à suivre. Par exemple, les numéros (#00.04, etc.) sont amenés à la page 18 sans préambule, et ne sont expliqués ou validés que plusieurs pages plus loin. Il faut donc avoir de bonnes compétences d’anticipation, d’inférence et de déduction pour comprendre qui est qui. Cette première mission, à Paris, manque d’ailleurs de précision : qui, de #00.01 ou #00.02, attaque la tour? Pour quelle raison?! Tombe-t-elle en écrasant ce qui se trouve autour?? La narration aurait pu être plus fluide, un peu plus explicite.
- la typographie des textes des turbonautes, qui est difficile à décoder. La police de caractères choisie est originale et fantaisiste… mais certaines lettres deviennent difficile à discerner car elles sont trop soudées aux autres, dans les mots.
|