#01- RÉVOLTE
Scénariste(s) : Jean-Blaise Mitildjian dit DJIAN
Dessinateur(s) : Vincent Rioux dit VORO
Éditions : Vents d'Ouest
Collection : Turbulences
Série : Tard dans la nuit
Année : 2004 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (3 tomes)
Genre(s) : Récit psychologique, Historique, Aventure policière, Drame familial
Appréciation : 4 / 6
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Nos Orphelins de Duplessis... en BD ?!
Écrit le mercredi 02 janvier 2013 par PG Luneau
Tomes lus :
#01- Révolte (2004, 4/6)
#02- Ménage de printemps (2005, 3,5/6)
#03- les Orphelins (2006, 4/6)
Le cas des Orphelins de Duplessis, ces milliers de jeunes qui, faute de places, étaient entassés dans des asiles où, au mieux, ils étaient abandonnés à eux-mêmes ou, au pire, ils étaient torturés ou abusés, est probablement l’un des scandales les plus connus de notre histoire québécoise contemporaine. Et pourtant, bien peu de productions culturelles (littéraires, théâtrales, télévisuelles ou cinématographiques) s’y sont attardées. Peut-être parce que les victimes sont encore bien vivantes et qu’elles souffrent toujours des mauvais traitements que les religieux et les médecins leur ont fait subir, avec l’absolution du clergé et de l’état!!
Aussi, ce triptyque intitulé Tard dans la nuit fait-il figure d’étrangeté dans l’univers du neuvième art, d’autant plus que c’est un Français, Djian, qui a eu l’idée de s’inspirer de ce déplorable événement comme cadre de son récit!
Le petit village (fictif) de Nid-de-Roche est vraiment retiré très creux dans la campagne québécoise. Et comme dans tous les petits villages, il s’y passe des choses pas toujours édifiantes… Ce qu’on veut y garder secret ne le reste jamais bien longtemps!! Quand Camille et Clovis reviennent d’une balade dans la forêt et qu’ils assistent à ce qui a tout l’air d’un assassinat, ils ne savent pas qu’en allant prévenir le shérif, ils enclenchent une réaction en chaîne qui changera à jamais la face de leur petite communauté : les cadavres se multiplieront, et l’angoisse s’emparera des habitants. Émile Lemay, le dit shérif, et son assistant Wilfrid auront fort à faire pour démêler l’écheveau… D’autant plus que le richissime maire Richer, propriétaire de plus de la moitié du village, est retrouvé pendu… Suicide ou meurtre?? La tension devient telle qu’on démettra même Émile de ses fonctions et qu’on demandera à un inspecteur de la Grand Ville de venir mettre de l’ordre dans tout ça…
Sauf que qui dit étranger qui enquête dit inévitablement secrets déterrés… Et la troublante présence de tous ces orphelins qui travaillent presque clandestinement dans les mines du «bon» maire Richer compliquera l’enquête, tout en rallongeant indubitablement la liste des suspects potentiels! Le bel Émile, ancien alcoolo dont le couple bat de l’aile, saura-t-il passer outre à son béguin de jeunesse pour Johanna, la nouvelle veuve du maire? À en croire les langues sales du village, il serait déjà trop tard : le bougre aurait déjà cocufié sa douce Rose, la naïve!!?
C’est donc à des intrigues de village que Djian nous convie. Dès les premières pages du récit, on se retrouve dans une atmosphère opaque, dans la lignée d’un Jean de Florette ou du Journal d’un curé de campagne. D’ailleurs, les couleurs choisies par VoRo, l’illustrateur, vont aussi en ce sens, de même que le choix de situer tout ça dans un village engoncé dans une vallée et accessible seulement par un long tunnel sombre… Tout sent le renfermé, tout est replié sur soi-même… et les cancans ont beau jeu!!
Cette ambiance est d’ailleurs la plus grande force du récit, à mon avis. En effet, je suis navré de le dire, mais bien que j’aie aimé cette histoire, j’aurais aimé «l’aimer davantage»… Le fait est que plusieurs petits détails sont venus miner ma lecture. Certains dialogues manquent de naturel, certaines relations sont malhabilement présentées, de manière à ce que j’ai eu peine à y croire et, surtout, certains des importants revirements de situations me semblent inexpliqués, ou trop soudain! J’expliquerai le tout plus en détails, plus bas…
Côté graphique, VoRo a mis beaucoup de temps avant de venir me chercher. S’il est très fort côté décors et contre-jour, ses visages féminins m’ont laissé de glace, de même que certaines de ses compositions graphiques. Ce n’est qu’à la deuxième moitié du dernier tome que l’ampleur du talent de cet illustrateur québécois a véritablement éclot, comme si ses coups de crayons étaient devenus, comme par magie, d’une fluidité et d’une finesse toutes naturelles.
Donc, malgré mon grand intérêt pour le sujet, le caractère attachant des personnages et le fait que tout ça se passe chez-nous, je ne donnerai pas plus que 4 à cette série qui avait le potentiel de s’envoler un peu plus haut, je crois, mais qui laisse augurer un dessinateur des plus solides.
Plus grandes forces de cette BD :
- les couvertures. J’aime bien leur sobriété, leur efficacité. Et vous avez vu le bois, sur toute la moitié inférieure de la couverture du tome #1?? On jurerait du vrai… même que je me demande s’il ne s’agit pas d’un photomontage à partir d’une vraie photographie!!?
- l’article de journal, en exergue des trois tomes. Il nous permet de situer l’anecdote dans un certain contexte historique, et ouvre la piste à de plus amples découvertes... si on veut se donner la peine de quelques recherches sur le Net!
- le nom du village (Nid-de-Roche) et façon de s’y rendre. En plus de démontrer une certaine forme de poésie, ils ajoutent à l’ambiance mystérieuse, un peu irréelle, que les auteurs désirent instaurer. C’est très intéressant!
- la sobriété des couleurs, tout au long de la série. Beaucoup de brun, de gris-turquoise et de sépia, qui accentuent l’aspect vieillot de l’ensemble. Ça aide à situer l’époque et, à défaut d’être punché, ça a l’avantage de faire concept!
- les belles compositions architecturales. Les vues du Bic ont effectivement grandement inspiré VoRo (ex. : la p.3 du tome 2 ou sa superbe p.48).
- les ambiances intrigantes, un peu floues… Elles sont très bien rendues. L’insipide poupée de chiffon que Melville Sauveur donne en cadeau à son fils de seize ans qu’il n’a jamais vu, par exemple… Juste ce détail, ça fait spooky à souhait!!
- les tronches des personnages (surtout celles des orphelins!), de plus en plus efficaces au fil des tomes. À preuve, celles de la p.31 du 3e tome! Je me répète, mais toute la seconde moitié de ce dernier tome est vraiment beaucoup plus solide!
- l’utilisation de contre-jour, aux ombres inquiétantes, tant en premier plan qu’en fond de case. Ces effets sont si jolis qu’on les a exploités pour les quatrièmes de couverture des trois tomes.
- de beaux personnages, dont l’attachant duo d’enquêteurs. Aucun n’est unicolore, ils ont tous un petit quelque chose, une part d’ombre ou un intéressant potentiel réactif. Par exemple, Bilodeau nous est décrit comme un rustre condescendant qui ne comprend pas la mentalité du village, mais il a le mérite d’avoir de la poigne et de rester conséquent, ce qu’Émile n’avait pas!
- quelques belles scènes, comme quand Rose part confronter la Richer, ou quand le gros Clovis vient donner un coup de main à Émile, lors de la bataille au bar!
- l’utilisation du flash forward en tant qu’épilogue. Sympathique et bien mené, malgré l’évidence de la «mystérieuse» surprise qu’on veut nous garder pour la fin!
Ce qui m’a le plus agacé :
- les visages féminins en général, celui de la veuve en particulier. Alors que cette dernière est décrite comme une beauté (à la p.26 du premier tome), je dois avouer qu’elle m’apparaît franchement ordinaire, du moins aux p.21, 24 et 25 de ce même tome! VoRo y va de traits trop carrés, il n’a pas encore tout à fait la délicatesse nécessaire pour magnifier la grâce féminine! Sa Johanna a un menton anguleux, des lèvres un peu trop proéminentes et des creux trop prononcés qui lui donnent un air émacié. C’est suffisamment flagrant pour me faire décrocher quand on cherche à me faire croire à l’attrait qu’Émile a pour elle! D’ailleurs, il arrive à quelques reprises que la belle Rose ne soit guère mieux réussie (à la p.22, notamment).
- la présence relativement systématique d’un animal sauvage en premier plan des vignettes. C’est joli, ça met de la vie… mais c’est parfois un peu trop académique et pas toujours très appropriés (comme les oiseaux, en soirée - #1, p.15- ou certains animaux très sauvages si près de la civilisation).
- quelques répliques un peu trop littéraires (tome #2, p.22-case 2) ou plaquées (p.17-case 3 ou 19-case 2 du premier tome, ou p.5 du tome #2). Camille, (tome #2, p.28), parle de manière bien trop précieuse, surtout pour une ado! Et la veuve Richer déballe bien trop vite son sac, à la p.31 du tome #2 : ça manque de naturel.
- la relation entre Émile et sa femme, qui semble battre un peu de l’aile, et son ancienne histoire avec la veuve. Tout ça me semble un peu forcé, parce que trop garoché, trop vite déballé. Je n’ai pas trouvé crédible cet aspect du récit, et c’est bien dommage car il s’agit en fait d’une pièce importante du casse-tête.
- le peu de cas qu’on fait de la poursuite des opérations, aux entreprises Richer. Tous s’inquiètent de perdre leur boulot, à la mort du maire, mais à part les orphelins, tout le monde semble continuer à travailler. Grâce à qui? Et dans on ne sait trop quel domaine, d’ailleurs!? Sans rentrer dans les détails, il aurait été intéressant qu’on nous mentionne, à tout le moins, qu’un quelconque contremaître prenait les rennes de la compagnie, le temps que les choses se replacent, ou un truc du genre. Tel quel, c’est un peu magique…
- quelques erreurs graphiques, comme les chapeaux qui sont toujours quelques millimètres trop hauts : ils semblent flotter au-dessus de la tête de leur propriétaire! Ou encore ce très improbable coup de poing, à la p.4 du 3e tome : la position du bras distendu et la projection de la tête de Bilodeau laissent deviner un coup… à peu près impossible!!
- Finalement, le revirement majeur de l’histoire. Pourquoi la menace de rapatrier les orphelins à Québec dérange-t-elle tant Émile?? Ils étaient quasiment des esclaves, chez Richer!! Ça aurait dû être perçu comme une espèce de délivrance, pour eux, non? D’ailleurs, de manière générale, je m’explique mal son changement radical d’attitude à l’égard des orphelins. Ils sont décrits comme des délinquants qui troublent la paix des villageois, la nuit venue (tome #2, p.31 et 42). Bien que l’on comprenne qu’ils sont en réaction face à leurs conditions et au peu d’égard qu’ils suscitent, j’ai de la difficulté à croire qu’Émile veuille tout à coup les réhabiliter et empêcher le shérif Bilodeau de faire le ménage en appelant l’armée!! «Les orphelins sont devenus NOS mômes!», scande-t-il dès la p.4 du dernier tome… mais depuis quand?? Et qui a-t-il consulté d’autres, parmi les villageois, pour en venir à un verdict si positif à l’égard de ces jeunes… qui sont, somme toute, accusés de complicité pour meurtre!!?? Un peu trop soudain et malhabile à mon goût, ce revirement de capot de bord!!
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