#02- MAUVAIS SOUVENIRS
Scénariste(s) : Jean-David MORVAN
Dessinateur(s) : Jose Luis MUNUERA
Éditions : Soleil
Collection : X
Série : Sir Pyle S. Culape
Année : 2000 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Gags en quelques planches
Genre(s) : Fantastique humoristique, Humour morbide
Appréciation : 4 / 6
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la Mythecine, vous connaissez?
Écrit le vendredi 30 juillet 2010 par PG Luneau
Sir Pyle S. Culape est un petit bonhomme bien particulier. D’abord, cet ado de quatorze ou quinze ans porte le chapeau haut-de-forme et la redingote, en plus de ses immenses lunettes, ce qui est déjà un drôle d’accoutrement pour un si jeune homme! Puis, quand on connaît la profession du jeune homme, on ne peut qu’être étonnés davantage!
En effet, Sir S.Culape est mythecin! Non, non, je n’ai pas fait de faute d’orthographe, je veux vraiment dire mythecin, comme dans «médecin pour les créatures mythiques»!! Il est LE spécialiste idéal pour changer les pansements des momies ou pour aller soigner les caries des vampires, les entorses des licornes ou les maux de dos des trolls nordiques. Avouez que cette spécialisation a déjà de quoi surprendre, mais alors là, à quatorze ans, chapeau!
Dans la grande «nouvelle vague fantastique» relancée par le phénomène Harry Potter, Morvan et Munuera ont imaginé leur propre petit génie, qui me fait beaucoup penser à Artemis Fowl, le héros de l’excellente série éponyme d’Eoin Colfer (le premier roman de cette série vient d’ailleurs d’être adapté en BD! Chic!). En effet, tout comme Artemis, Sir Pyle est un peu imbu de sa personne et il n’est pas particulièrement sympathique au premier abord. Puis, ces deux ados sont des génies au summum de leur potentiel, chacun dans leurs spécialités. Si Artemis fait dans l’informatique et la criminalité, Sir Pyle se consacre aux sciences occultes (sorcellerie, nécromancie…)… et à la longévité!
En effet, le talentueux spécialiste est au service des mythes depuis… des lustres ancestraux! Il nous le confirme dans ce tome en nous relatant notamment comment il a humilié le grand Hernan Cortez, dans les années 1500, déclenchant ainsi la vague de barbaries commises par le conquistador espagnol en sol sud-américain. Deux autres capsules nous racontent son apprivoisement de la célèbre bête du Gévaudan en 1765 ou sa touchante relation amoureuse avec Belle, celle-là même qui était contrainte de rester avec la Bête… au Moyen-âge!! Et toujours, le jeune homme avait la même tête de fin renard sûr de lui d’à peu près quatorze ans!! Il se serait découvert une fontaine de Jouvence que ce ne serait pas étonnant! Cette intemporalité explique aussi son incongruité vestimentaire : si ces fringues paraissent dépassées, à notre époque, il y a de grandes chances qu’elles aient été à la mode lors de leur acquisition!!
Tout ça pour dire que messieurs Morvan et Munuera s’en donnent à cœur joie avec ce personnage aux habiletés diverses, qui côtoie le plus naturellement du monde les dieux, les monstres, les mythes et les personnages de légende. En sept capsules de trois à treize pages, les auteurs nous montrent leur héros à l’œuvre, tantôt avec une sardine-garou (!!?), tantôt avec le Père Fouettard ou le Manneken Pis. L’humour est omniprésent, mais un humour grinçant qui n’est pas pour les plus petits : à ceux qui chercheraient des albums jeunesse de ces auteurs, je leur recommanderais plutôt la série Merlin, chez Dargaud. Ici, on est dans un style bête et méchant qui cadre plus pour les ados-adultes. Le dessin caricatural de Munuera est très varié, ses personnages filiformes côtoient joyeusement des rondouillards à outrance dans une harmonie bien contrôlée. J’adore son style, sauf son encrage qui, impeccable dans la capsule Pyle embêtait la Belle, me semble un peu trop appuyé ou hachuré dans les autres capsules, comme si la plume qu’il utilisait était un point trop large.
Un album amusant à savourer dans son hamac ou, mieux encore, en convalescence d’une maladie ou d’une blessure quelconque : quoi de mieux, pour guérir vite, que de constater que même les dieux, aztèques ou autres, ont aussi leurs petits bobos!!
Plus grandes forces de cette BD :
- le nom complet du perso. C’est quand même curieux de s’appeler «S. Culape» et de devenir médecin. Esculape n’était-il pas, justement, le fils du dieu Apollon spécialisé dans cette discipline?!
- la couverture. Sur un fond bleu nuit, très sobre, notre héros se tient fièrement debout, tout sourire, aux côtés de Spectre, son bras droit. Ce dernier tient devant son maître un cadre en total contraste avec le dépouillement environnant : un gros cadre doré outrageusement travaillé, dans le plus pur style rococo, garni de dieux, d’éros et de déesses drapés ainsi que d’une orgie d’épis de blé et de gerbes de fleurs entrelacés, le tout refusant toute symétrie. Sur l’étrange plancher composé d’un amalgame de dalles, de pierres et de planches de bois, on retrouve aussi, en arrière-plan, une sculpture vert-de-gris elle aussi trop chargée, un peu en retrait. À bien y regarder, il est très intéressant de constater que tout, dans cette composition, respire l’étrangeté, et je serais bien embêté de vous dire à quel endroit nos deux amis se trouvent!
- les pages de garde. Elles sont illustrées en un très ingénieux trompe-l’œil, qui nous donne l’impression que l’on tient dans nos mains un très ancien ouvrage de bibliothèque à la reliure toute délabrée. C’est original, amusant… et déconcertant!
- l’humour mordant. Le personnage de Pyle S. Culape, à force de se faire demander au chevet de créatures souffreteuses plus ou moins appréciées des humains, a développé une insensibilité et une outrecuidance très drôle, qui va souvent à l’encontre de la rectitude politique actuelle. Il en ressort une dynamique contrastante qui est, en quelque sorte, l’élément-clé de la série.
- la touffeur des dessins. Munuera est un dessinateur qui excelle dans la surcharge. Dans cette série, il s’ingénie, tout comme sur sa couverture, à garnir chaque décor et chaque costume d’une foule de petits détails qui alourdissent l’ensemble, mais que les Color Twins, à la coloration, parviennent à amalgamer dans un tout facile à assimiler. En effet, grâce à leur talent pour faire ressortir les personnages en plus clair sur fonds plus sombres, l’effet d’alourdissement s’estompe. Les décors fort chargés sont encore là, et on peut prendre plaisir à les détailler à loisir si ça nous chante, mais sans que cela nuise à notre fluidité de lecture.
- le personnage de Spectre, le revenant qui tient lieu de majordome. Confident et homme à tout faire, ce fantôme a une bouille des plus sympathiques avec sa tête toute effilée et ses replis de drap qui lui font office de bouche et d’arcades sourcilières. Son gros bon sens plus terre à terre vient équilibrer le caractère impulsif de son maître.
- les émotions que laisse entrevoir Sir S. Culape. Grâce à la variété de situations présentées dans ce tome, on délaisse à quelques reprises le comique pour nous montrer certaines facettes plus intimes du personnage principal. La capsule avec la Belle et la Bête est de style nostalgico-romantique, et la dernière, quoi que difficile à cerner, nous montre encore le personnage aux prises avec un inconfort émotif des plus intéressants. Mais rassurez-vous : d’autres capsules nous le montrent encore cruellement morbide!
Ce qui m’a le plus agacé :
- le changement de nom de la série. Le tome #1 porte en grosses lettres le logo «Sir Pyle S. Culape». C’est aussi ce qu’on retrouve sur le dos de l’album, avec le nom des auteurs et le titre du tome. Pourquoi les éditeurs ont-ils décidé de n’inscrire que «Sir Pyle» sur celui-ci?? Ce choix m’apparaît fort mal à propos puisqu’il occulte l’amusant jeu de mots en lien avec Esculape, dont je parlais plus haut. C’est dommage!
- la finale de l’avant-dernière capsule, sur le dieu aztèque Quetzalcoalt. Après un récit fort original de treize planches, où l’on est à même de constater toute la pédanterie et le côté profiteur de Pyle, ce dernier se retrouve dans une très fâcheuse position, sur le point d’être exécuté… et pouf! Fin. On passe à autre chose. Comment il s’en est tiré? Que dalle! Même si, d’une certaine façon, on est un peu contents que l’horrible gamin subisse les conséquences de ses actes, c’est un peu décevant d’être laissés en plan par les auteurs… surtout que la dernière capsule n’est guère mieux!
- la dernière capsule, qui ne mène pas à grand-chose. Très courte, (trois planches seulement), elle nous apprend que Sieur Culape a un fils… plus âgé que lui! Outre l’étrangeté qui se dégage de cet état de fait et l’émotion ressenti par notre héros, je ne vois pas ce que Morvan veut exprimer à travers ça : le vieillard entre, se présente comme étant le fils de Pyle… et meurt! Pyle l’enterre, une larme à l’œil. Ça manque de clarté… À moins que ce personnage ne soit la caricature d’une personne connue et que les auteurs aient ainsi voulu lui rendre un hommage? Ça serait une belle explication, malheureusement, aucune mention spéciale ne vient corroborer cette hypothèse… et je ne reconnais pas l’individu en question, désolé. Au final, beaucoup d’interrogations sur cette fin d’album!
- une faute d’orthographe (ninbée, dernière page). C’est un détail… mais encore là, ça finit mal!!
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