#01- LE COMTE DES LUMIÈRES
Scénariste(s) : Thierry GLORIS, Jean-François Bergeron dit DJIEF
Dessinateur(s) : Jean-François Bergeron dit DJIEF
Éditions : Glénat
Collection : Grafica
Série : Saint-Germain
Année : 2008 Nb. pages : 49
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1/2)
Genre(s) : Historique, Aventure, Fantastique, Steam-punk
Appréciation : 4.5 / 6
|
le Fanfan la Tulipe de la Haute!
Écrit le dimanche 02 octobre 2011 par PG Luneau
«Monsieur de Saint-Germain? Mais c’est un charmant gentilhomme, voyons! Un homme du monde, érudit, sociable, avenant et parfaitement amusant!!
-Moi, je le trouve plutôt bel homme, très charmeur, un brin entreprenant et même… assez insistant!! Il serait un homme à femmes que ça ne m’étonnerait pas!
-On le dit chaud lapin, en effet, mais tellement gouailleur qu’on ne peut que lui pardonner ses petites incartades auprès de la gent féminine!!
-Il a fait cocus tous les hommes du Haut Paris, oui!!
-Il paraîtrait qu’il aurait des accointances avec des gens louches, pas très recommandables! D’ailleurs, comment parvient-il à garder un tel rythme de vie? Est-il seulement issu de la noblesse?! D’après moi, il usurpe son statut!!
-Ah?!?! Moi, j’ai entendu une rumeur qui dit qu’il serait à la solde du roi lui-même!! Que notre bon roi Louis l’emploierait à titre de chargé de mission spéciale! Et que pour les missions les plus délicates!!
-Chose certaine, il est très savant : il connaît un tas de choses sur les maladies, le corps humain, le pouvoir des pierres précieuses…
-Moi, je le sais bretteur hors-pair! On m’a dit qu’il s’entraîne sans relâche pour garder une forme parfaite et des réflexes incomparables!
-Pour ma part, je suis sûr qu’il a des amis haut placés!! Après toutes les frasques dont il est l’instigateur, c’est la seule explication au fait qu’il ne croupisse pas à la Bastille!!»
Quel est le vrai, quel est le faux? Qui est réellement Maximilien de Saint-Germain? Et bien, même après notre lecture du premier tome de cette série de Thierry Gloris et du Québécois Jean-François Bergeron, on ne saurait le dire avec certitude!! En fait, toutes les allégations de ce dialogue (fictif : ne le cherchez pas dans l’album, il est de mon cru!) pourraient, dans une certaine mesure, être vraies!
En effet, outre les grands mystères qu’il laisse planer sur l’identité réelle et les motivations profondes de celui qui se fait appeler Monsieur de Saint-Germain le jour et le Babillard la nuit, ce tome d’introduction ne nous en apprend pas beaucoup. Il instaure plus une époque et un personnage… Mais un personnage réel, ayant véritablement existé à l’époque en question!! C’est donc dans une embrouille politique tout ce qu’il y a de plus XVIIIe siècle que nous convient Gloris et Bergeron!
Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, Louis XV, madame de Nesle, le comte de Bourbon-Conti et messieurs de Saxe et de Lapeyronie, ce ne sont que de beaux grands noms pompeux que j’ai peut-être entraperçus dans des livres d’Histoire, des romans ou des films, mais dont je ne savais absolument rien!… Grâce à cette nouvelle série, c’est toute la cour de Louis le XVe qui m’ouvre peu à peu ses portes et qui me livre ses secrets!!
Le roi est en conflit ouvert avec les Autrichiens, à sa frontière nord-est, et son principal maréchal, monsieur de Saxe, souffre d’une bien étrange affliction. Ne sachant plus que faire, il fait appel à son cabinet secret, celui qui prend en charge les causes désespérées, et finit par mandater notre fier Maximilien afin qu’il trouve un moyen de soigner de Saxe. En dépit des protestations de son protecteur, mentor, employeur et comparse, Goupil, un vieil alchimiste aux intentions obscures, Saint-Germain accepte de relever ce défi. Il part donc pour le front, en compagnie du marquis de Carbon-Blanc, chef de la police secrète du roi, et de Joseph, l’homme de main de Goupil… Mais le trajet ne sera pas de tout repos! En effet, certains vieux ennemis n’entendent pas les laisser se promener aussi facilement en rase campagne!!
Si le côté historique est bien cadré et très crédible, ce premier tome instaure aussi, non sans humour, une sympathique touche de fantastique en nous présentant, sur quelques planches disséminées çà et là, les Céruléens, un groupe de petits lutins majestueux, niché sur la Lune et très richement costumé, qui s’amuse des facéties humaines et semble jouer un genre de grosse partie de Risk sur une carte de l’Europe… partie qui se répercute directement en combats réels sur notre bonne vieille Terre!! Si le roi Louis se sent menacé, ne serait-ce pas la faute de ces petits personnages bien maniérés!?!?
Bref, on est en présence d’un récit d’aventure historique classique, mais subtilement lardé de potions alchimiques et de gousses de magie. Il paraît que ce projet trottait dans la tête de l’illustrateur, depuis plusieurs années, et qu’il y a muri jusqu'à sa rencontre avec Thierry Gloris. C’est d’ailleurs pourquoi il est précisé, sur la page-titre, que l’idée originale est de Bergeron, ce jeune dessinateur québécois que j’ai eu la chance de rencontrer lors du ComicCon de Montréal, il y a deux semaines, et avec qui j’ai eu un super échange! Jusqu’à maintenant, l’intrigue de Saint-Germain est bien captivante et donne le goût de poursuivre notre lecture. C’est un produit de qualité, que je ne conseille toutefois pas au moins de 12 ou 13 ans, compte-tenu de son texte joliment littéraire.
Plus grandes forces de cette BD :
- la richesse du texte, qui reflète bien la belle éloquence des beaux quartiers de l’époque. Gloris démontre une très belle maîtrise de notre langue, et parvient à nous transporter vers ce passé à la verve si flamboyante.
- un héros fort, fantasque, drôle et magnifiquement imbu de lui-même, à la hauteur de l’époque qui l’a vu vivre! Ses exploits, sous l’appellation du Babillard, lui donnent encore plus de profondeur. Un brin Robin des bois, un brin Zorro, il est surtout une espèce de Fanfan la Tulipe qui détrousse les mieux nantis de leurs richesses afin de trouver LA pierre avec laquelle son ami alchimiste pourrait enfin réaliser… réaliser quoi, au fait?? Vivement que le tome #2 nous éclaire là-dessus… et sur bien d’autres choses!!
- la précision des détails, et la richesse des décors. Jean-François s’en donne à cœur joie et nous gâte royalement, avec force de détails historiques, tant dans les fioritures architecturales que dans les enrubannements des vêtements et des perruques ou dans la décoration des divers accessoires. Nous sommes dans la haute société, et l’opulence se fait sentir, c’est graphiquement indéniable!
- l’étrange mélange de genres. Alors que nous sommes au siècle des Lumières, justement, et que les grands penseurs de l’époque s’évertuent, avec les savants, à faire reculer l’obscurantisme, l’ignorance et les croyances de grand-mères qui perdurent depuis des millénaires, Saint-Germain, Goupil et Joseph semble s’incruster dans cet occultisme qui n’a de science que le nom! Ils sont comme des alchimistes égarés dans le temps, qui n’auraient pas remarqué que le Moyen-âge était révolu depuis longtemps! Mais puisque leurs concoctions à base de pierres précieuses fonctionnent vraiment, qui peut leur en vouloir?!
- l’époque, méconnue pour moi, du XVIIIe siècle, ce fameux siècle des Lumières! J’adore y découvrir la cour du roi Louis XV, les courtisans et leurs magouilles, les intrigues et les basses-messes, les passages secrets qui relient la chapelle à la chambre de la maîtresse du roi, etc. C’est vraiment un univers dépaysant qui me transporte!
- les couleurs. À prédominance de doré et de bleu nuit, elles sont riches et nobles à souhait, et cadrent donc tout à fait avec le contexte. Et elles font preuve d’encore plus de magnificence dès qu’on arrive chez les Céruléens. Bravo, monsieur Bergeron!
- le paradoxe idéologique : Siècle des Lumières vs Céruléens!! En effet, alors que cette période de l’histoire a été très fortement marquée par de forts esprits cartésiens, tels Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Diderot et tant d’autres, les auteurs ont décidé de non seulement y ajouter une petite touche de fantastique, toute discrète, en y incluant de l’alchimie fonctionnelle, mais ils nous présentent en plus les Céruléens comme maîtres d’œuvre de tout notre univers!! Ces êtres colorés, aux pouvoirs mystérieux, qui dirigent nos destinées humaines, font office de puissances presque divines, notions assez diamétralement opposées aux discours éclairés tenus par les Lumières nommées plus haut!
- la carte de l’Europe d’alors, reproduite à la suite de la dernière planche. Elle m’a permis de mieux visualiser l’emplacement réel d’anciens royaumes ou de vieux territoires moins connus comme la Valachie, les états italiens, le Saint-Empire roman germanique et la Prusse.
- mon ex-libris. J’ai encore eu la chance de mettre la main sur le dessin exclusif que monsieur Bergeron a dessiné pour le compte de la librairie Planète BD. On y voit Maximilien en train de popoter parmi des béchers et des fioles, nous montrant bien son intérêt pour les sciences, officielles ou occultes!
- le mini-site internet, très riche! Il nous présente non seulement la série, l’époque et les personnages, mais il fait un intéressant portrait des figures historiques importantes qui ont marqué cette époque et qu’on retrouve dans la série, de même qu’il nous dresse un parallèle très détaillé entre leur réel caractère versus l’exploitation que la série fait de celui-ci! En voici l’adresse :
http://saintgermain.glenatbd.com/
Ce qui m’a le plus agacé :
- un coup de crayon un peu sec. Il me semble que les traits de monsieur Bergeron sont un peu plus raides, qu’ils n’ont pas tout à fait la souplesse de ceux qu’on lui connaît maintenant dans d’autres œuvres. Peut-être était-ce voulu? Si tel est le cas, je préfère personnellement ses dessins plus coulants, plus liés.
- le personnage difforme qu’est le maréchal de Saxe! Je veux bien croire qu’il a une maladie qui le gonfle et le rend «adipeusement» impotent, mais la grosse baudruche qu’on nous présente ici est vraiment trop caricaturale, surtout en comparaison des autres personnages, dessinés de façon beaucoup plus réaliste. Cette trop grande dichotomie m’a un peu agacé, je l’avoue.
|