#01- CACHE-TOI!
Scénariste(s) : Carlos TRILLO
Dessinateur(s) : Carlos MEGLIA
Éditions : Soleil
Collection : X
Série : Red Song
Année : 2008 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre
Genre(s) : Thriller fantastique, Héros animalier
Appréciation : 5 / 6
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Une perle somptueuse dans un bien trop petit écrin
Écrit le jeudi 07 juillet 2011 par PG Luneau
Comment aimeriez-vous vivre dans une ville qui impose, un fois le soleil couché, un couvre-feu général, sans aucune raison particulière? Et où une armée de Garkens (des robots avec, en guise de tête, un genre d’immense gyrophare rouge!) ratisse les rues, la nuit, pour s’assurer du respect de cette consigne inutile?
Il en est ainsi à Marais-ville, une cité superbe avec ses bâtiments de style Second Empire, mais totalement corrompue, où le maire et les chefs d’entreprise s’accoquinent (Tiens donc! De la pure fiction!!). Et c’est dans cet environnement tendu que nous plonge la série Red Song, une série qui commence fort, tant au plan du scénario que du dessin, qui est tout simplement somptueux.
Alors que tous craignent ce climat de répression, Ronny Dolan, un journaliste engagé, fait figure de proue. Il tente de dénoncer la corruption ambiante, sans savoir que même la grosse gomme est entièrement manipulée par une femme diabolique aux ambitions démesurées : madame Tul. Elle est d’ailleurs en très belle position pour atteindre ses buts, quel qu’obscurs qu’ils soient encore pour nous, car c’est elle qui est à la tête de l’armée de Garkens en plus que de contrôler un impressionnant réseau de surveillance électronique et de tenir captif un atout secret en la personne d’un bébé aux dons télépathiques et divinatoires surprenants.
Monsieur Dolan tente donc de faire connaître au public et aux autorités supérieures le peu qu’il sait. Évidemment, les Garkens sont déjà après lui… Mais un allié de taille lui vient en aide, aussi surprenant qu’improbable : une gigantesque créature monstrueuse qui semble en avoir marre de l’abus d’autorité! Recouverte d’un pelage rouge et dotée d’une longue queue préhensible à la Marsupilami, cette bête à l’apparence féroce (vous devriez lui voir la mâchoire!!) chante pourtant de petites comptines pour s’encourager!? «Cache-toi, cache-toi bien… jusqu’à ce que le mal soit parti.» Et si on l’écoute parler, ce n’est pas une mais bien cinq voix distinctes qu’on entend!!
Car cette chose, rapidement baptisée Red Song par les médias, est en fait une entité composée par «l’amalgame» surnaturelle de cinq jeunes gamins, captifs de l’orphelinat local! Virus, Bigo, Panda, Hirondelle agile et Moco, ainsi que Gazzoline, le petit singe de ce dernier, ont trouvé une façon grandiose de survivre aux humiliations que leur fait subir la directrice Logan, l’atroce matrone qui dirige l’établissement. Le jour, bien évidemment, ils passent de longues heures à mendier dans les rues, pour le compte de leur tortionnaire qui les tient en laisse via un code-barre numérique sous-cutané, qui émet un signal repérable à l’aide d’un GPS. Mais le soir, par un procédé magique dont on sait bien peu de choses encore, ces cinq éclopés «fusionnent» littéralement leur énergie vitale et leur personnalité pour devenir la grosse bête ultrapuissante qu’est Red Song, créature justicière capable de bondir sans élan du sol jusqu’au toit d’un immeuble de quatre étages!!
Maintenant que Red Song parcourt les rues, une lueur d’espoir pointe à l’horizon, mais madame Tul n’est pas du genre à s’avouer vaincue si facilement…
Quelles prémices intéressantes!! Quelle belle mise en contexte!! Quelles ambiances inquiétantes! Et quelle splendeur graphique!! Les deux Carlos (Trillo au texte et Meglia au dessin) ont réussi un premier tome enlevant, crédible, empreint d’émotions, d’angoissants mystères, d’aventures à haut risque… et d’humour suave! Tout est parfait dans ce récit, où même chaque personnage secondaire est intéressant! Mes seuls bémols sont d’ordres éditoriaux… et vous les découvrirez ici-bas! Pour le moment, je rêve de pouvoir lire la suite des aventures palpitantes de nos cinq jeunes orphelins-justiciers. Oui, j’en rêve…
Plus grandes forces de cette BD :
- le sublime graphisme des personnages. Il rappelle un peu celui utilisé par Gazzotti, dans sa passionnante série Seuls, ou celui de Criss, mais aussi certains films de Walt Disney (la directrice Logan a la même horrible bouille que la méchante pieuvre Ursula, dans la Petite Sirène!!). Le look très moderne, très «dessin animé de luxe», est si affirmé que j’étais convaincu que monsieur Meglia était passé par les écuries Disney italiennes. Mais non! Un petit tour sur le Net m’a appris que cet argentin d’origine a plutôt fait ses classes chez Hanna-Barbera Buenos Aires! Chose certaine, je suis en totale admiration face à ses dessins!
- les superbes couleurs, magnifiées par le rouge feu du ciel. Comme toute la ville est relativement sombre, ce qui convient tout à fait aux ambiances recherchées, la vivacité flamboyante du ciel rouge orangé vient sans contredit fouetter nos sens! La très belle illustration des pages de garde ainsi que celle de la page-titre mettent d’ailleurs cet atout en valeur.
- l’intéressant contraste entre les traits des bâtiments (gros, larges, en faux brouillons, un peu flous mais tout en restant splendides, un peu comme les maisons du dessin animé les Aristochats!) et les personnages, aux traits fins, nets et précis. La superposition de ces deux types de graphisme donne un effet des plus originaux, même si l’informatique vient incontestablement les supporter tous les deux.
- l’ambiance totalitaire mise en place dans cette vieille ville européenne. Sans trop savoir pourquoi, cette atmosphère poignante m’a rappelé une série de dessin animé que j’ai vaguement suivi, il y a une dizaine d’années, quand j’ai commencé à capter Télétoon. Ça s’appelait Cybersix et c’était tiré d’une série BD, que j’avais failli me procurer, à l’époque… Quelle ne fut pas ma surprise quand le Net m’a appris que cette série-là était aussi signée Trillo et Meglia !! Ça m’a fait réalisé que a) ce duo de créateurs sait très exactement comment bien monter un «récit sauce totalitaire», et b) j’ai de quoi être fier de mon inconscient qui commence à faire des liens perspicaces, même malgré moi, entre tout ce que je lis et je vois!!
- la planche de la page 10, dessinée de manière enfantine, comme si c’était un des jeunes occupants de l’orphelinat qui l’avait faite! Ce changement de graphisme, en pleine page, est très punché et contraste avec le reste.
- l’idée de base des cinq orphelins qui «s’unissent» pour ne plus former qu’un… mais tout un!! Quelle belle façon de donner à des êtres démunis une ressource à la mesure de leur besoin de justice ! Plutôt que de faire cinq petits superhéros, ce qui a souvent été exploité (comme dans la Bataille des planètes ou les Power Rangers, par exemple), Trillo a pensé à les faire se transformer en une seule grosse créature… mais avec cinq personnalités qui argumentent en son sein, ce qui risque de produire certaines flammèches, incessamment! Brillant!
- tous les personnages, même les secondaires! Tous sont graphiquement impeccables, et apportent une pierre à l’édification du récit : humour, suspense, angoisse, tendresse… Le petit voisin de chambre, qui dessine ce qu’il croit être ses rêves (mais qui est en fait la transformation de cinq jeunes en Red Song!) et qui veut retrouver son père interné; Ronny, le journaliste joufflu mais intègre, avec Ruth, sa coquette complice secrètement amoureuse; les perfides dames Tul (à la beauté froide) et Logan (gigantesque bourreau d’enfants); le mystérieux et très troublant bébé cyborg qui est obligé de conseiller la Tul; la toute charmante madame Clémentine, dans sa chaise roulante, ou la très touchante maman de Moco, loque humaine errant sans but. Même les Garkens, pourtant tous identiques, ont des expressions faciales tordantes, derrière le globe rouge qui leur sert de tête! Et je ne parle pas des cinq héros et de leur mascotte, tous plus différents les uns des autres! Vraiment, chaque trait, chaque mot, chaque couleur de cet album contribue à en faire une véritable œuvre d’art! Snif!!
Ce qui m’a le plus agacé :
- la petitesse des vignettes. Il est clair que ces illustrations étaient prévues pour un album très grand format (genre de luxe, de 24 cm par 32 cm). Le format actuel (21,5 cm par 30 cm) est totalement ridicule et ne rend aucunement justice à la magnificence des dessins : j’ai dû en lire les pages à la loupe, pour pouvoir profiter pleinement de la richesse incroyable de chaque vignette!! C’est d’ailleurs la seule raison pour laquelle je n’ai finalement pas donné 5,5 à cet album. Mais cela explique-t-il l’absence de suite?
- l’absence de suite!! Ce tome #1 est sorti en 2008. Nous sommes en 2011, et toujours pas d’écho au sujet d’un tome #2! Serait-ce une autre excellente série pour laquelle on s’emballera inutilement, comme ce fut le cas avec la série Wondercity (pour laquelle je serais presque prêt à suivre des cours d’italien et à faire venir, à grand frais de transport, les albums en version originale, tant elle est géniale!!), ou avec la série Néféritès, dont je parlais ici même, il y a peu?… Malheureusement, la réponse est oui, mais pour une raison on ne peut plus valable cette fois!! En effet, c’est avec stupeur que j’ai appris, toujours en fouinant sur le Net, que Carlos Meglia, dessinateur génial entre tous, est mort en 2008, quelques semaines après le lancement de ce tome !!! Red Song se retrouve donc orphelin à son tour, de même qu’une autre superbe série qu’il avait débuté chez Soleil, avec Crisse cette fois : Canari !! L’histoire ne dit pas si les scénaristes de ces deux séries inachevées se mettront à la recherche d’un remplaçant. S’ils le font, les candidats au poste feront mieux de bien tailler leurs crayons et de se lever de bonne heure, car la pointure des chaussures à enfiler est bigrement impressionnante!!
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