#03- LA VOIE DU RIGE
Scénariste(s) : Serge LE TENDRE, Régis LOISEL
Dessinateur(s) : Vincent MALLIÉ, Régis LOISEL
Éditions : Dargaud
Collection : X
Série : Quête de l'Oiseau du Temps - Avant la quête
Année : 2010 Nb. pages : 68
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (3/4)
Genre(s) : Heroic fantasy
Appréciation : 4.5 / 6
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Encore un chouette intermède forestier
Écrit le samedi 09 juillet 2011 par PG Luneau
Dans le cycle original de la Quête de l’Oiseau du Temps, le tome #3, intitulé le Rige, faisait office d’incartade agréable mais tout à fait optionnelle, en ce sens qu’on pouvait tout aussi bien sauter cet album et ne lire que les trois autres (tomes #1, 2 et 4) sans qu’on n’ait rien perdu de la trame principale. Ce détour ne rajoutait rien à l’intrigue comme telle… mais quel détour délicieux! En fait, de par sa personnalité forte et mystique, le Rige s’est révélé, au bout du compte, le personnage le plus mémorable de la série – qui, pourtant, comptait déjà beaucoup de beaux candidats à ce titre! Il a, en quelque sorte, volé la vedette à Pelisse, à Bragon et aux autres, il les a éclipsés tant son apparition dans ce «détour» était marquante. L’environnement bucolique et enchanteur dans lequel il attendait ses «victimes» a aussi joué un rôle important dans l’impact que cet album a eu sur l’imaginaire des très nombreux fans de cette tétralogie.
Dans ce second cycle (qui – vous l’ai-je assez dit? – est un antépisode, ce qui signifie qu’il se déroule avant la Quête… d’où l’appendice Avant la Quête rajouté en surplomb du nom de la série – c’est judicieusement pensé, quand même, vous ne trouvez pas?!), le troisième tome est, encore une fois, réservé à une incursion dans le monde du Rige. Et, encore une fois, cet aparté peut ou non être lu, sans que la trame générale du récit n’en soit affectée! C’est très concept et sympathique que les auteurs aient suivi ce même pattern! Mais vous seriez fou de le sauter et de ne pas en profiter car, encore une fois, ils ont frappé dans le mille avec cet épisode tant exceptionnel qu’«optionnel»!
Bragon loge maintenant dans une petite auberge aux abords du vaste territoire forestier où erre le fameux Rige. D’ailleurs, notre ami n’est pas seul : une dizaine d’autres combattants y attendent, certains depuis des années, dans l’espoir que le Rige les choisisse comme élève. Tous rêvent d’être l’heureux élu à qui le maître enseignera son art et, qui sait, à qui il lèguera sa hache légendaire, quand il se retirera… Mais pour ce faire, il faut le rencontrer! Et puisque cette auberge appartient au forgeron qui a l’insigne honneur de lui fournir ses haches, tous attendent plus ou moins impatiemment que le chasseur le plus réputé de tout Akbar daigne venir chercher sa nouvelle arme.
Mais voilà qu’un nouvel arrivant, au visage balafré et au regard torve, s’impose en conquérant. Ce Devel est non seulement membre de l’Ordre du Signe, mais il a une mission qu’il n’a pas peur de révéler à tous : lui vient non pas pour devenir l’élève du Rige, mais bien pour l’anéantir, rien de moins! Et comme il n’est pas du genre à attendre, il commet l’impensable pour faire sortir le Rige de sa tanière : il s’approprie sa nouvelle hache, sachant pertinemment que le Maître réagira d’une manière ou d’une autre à un geste d’une telle outrecuidance!
Outré par ce délit et particulièrement agacé par l’omniprésence de cette inquiétante secte, Bragon ne fait ni une ni deux et encourage ses nouveaux compagnons d’infortune à partir à la poursuite de Devel et de ses deux sbires, afin de récupérer la hache dérobée. Une expédition dont bien peu reviendront vivants…
Pour ce troisième tome, un troisième illustrateur : Vincent Mallié, celui-là même qui illustre la série le Grand Mort… coécrit par Régis Loisel, justement!! On peut supposer que, si les deux hommes travaillent sur deux séries ensemble, l’entente doit être bonne? Donc, probablement que le tome #4 sera aussi des mains de ce même Mallié? En tout cas, ses dessins sont tout à fait dans le ton des deux premiers tomes. J’aurais bien de la difficulté à trouver des distinctions de style entre Lidwine (dessinateur du tome #1), Aouamri (qui a fait le #2) et Mallié! Un graphisme magnifique, donc, des couleurs envoûtantes, un scénario palpitant, avec de bons revirements de situation, comme on les aime. Bref, un aparté jouissif, qui nous prouve, à la manière des enseignements du Rige, que, même pour un scénario, la ligne droite n’est pas toujours la voie la plus intéressante.
La Voie du RIge, un bon récit tout en tension et en action, avec de nombreuses planches sans texte, qui se lit très rapidement. À partir de 12 ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- la grande beauté des paysages, en général. Tout y est beau! Le village en bordure de la falaise, surplombant la forêt (p.3), avec ses mats de fanions qui lui donnent un air tibétain; la grande chute dans les bois (p.65). Même l’angoissant village des Glabres (p.52), avec l’antre de la pode rouge, est presque invitant, présenté comme il l’est dans les rayons tombants du soleil! Mais le summum, c’est la sublime beauté des scènes forestières, de la page 18 à la page 35. Si ce n’était des mille et un dangers qu’elle renferme, cette gigantesque forêt serait un paradis perdu! On comprend le Rige, ce chasseur émérite, d’y avoir établi son royaume!
- de beaux personnages secondaires. À commencer par Devel, détestable à souhait, puis Flamboise, sympathique bougre qui subira la rudesse du précédent. Évidemment, le Rige lui-même, avec sa tête d’un mètre de haut et ses deux petites fentes rouges lui faisant office d’yeux, ne laisse pas sa place non plus!
- l’énergie qui se dégage de tous ces combattants, tous réunis au même endroit dans le même but : devenir l’apprenti du Rige. Leur convivialité permet une belle cohésion au sein du groupe quand Devel se révèle et commet son geste insensé. Dommage que la confrérie ainsi formée n’ait pas durée plus longtemps. Il me semble qu’il y avait là un beau potentiel.
- tout le découpage de la scène du combat, dans le champ envahi de papillons. En plus des couleurs splendides, l’orangé des papillons rehaussant d’autant la verdure luxuriante, le découpage de chaque plan se veut d’une efficacité artistique et scénaristique fabuleuse! Les cases verticales et horizontales s’agencent en parfaite harmonie, nous présentant les huit opposants (plus Drak, le chien) sous différents angles, mais sans jamais nous perdre! L’insertion de très gros plans (le regard de Bragon aux pages 25, 30 et 31, notamment) est effroyable d’efficacité. Ces 15 planches sont ni plus ni moins que du bonbon, et le lecteur est coincé entre son désir de tourner les pages à la volée et celui d’admirer chaque détail de chacune des vignettes tant elles sont de petites œuvres d’art! Bravo!
Ce qui m’a le plus agacé :
- ne plus entendre parler du véritable propos de ce cycle que par la bande, via les pages 36 et 37, où on nous montre que Mara et son père persévèrent dans leurs recherches en vue de déchiffrer le grimoire des dieux… mais sans que ça avance bien vite! Cet écart de la trame narrative est esthétiquement des plus agréables… mais ne fait pas progresser l’intrigue!
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