#01- QUÉBEC, UN DÉTROIT DANS LE FLEUVE
Scénariste(s) : Émile BRAVO, Pascal GIRARD, Philippe GIRARD, Jean-Louis TRIPP
Dessinateur(s) : Jimmy BEAULIEU, Emmanuel MOYNOT, Jean-Sébastien DUBERGER, Étienne DAVODEAU
Éditions : Casterman
Collection : X
Série : Québec, un détroit dans le fleuve
Année : 2008 Nb. pages : 64
Style(s) narratif(s) : Courts récits indépendants
Genre(s) : Historique, Humour, Quotidien
Appréciation : 3.5 / 6
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Québec, ville en quatre temps
Écrit le mardi 01 décembre 2009 par PG Luneau
Quatre duos scénariste/dessinateur, l’un des deux provenant de France, l’autre du Québec, voilà ce que l’album Québec, un détroit dans le fleuve nous permet de découvrir. Paru chez Casterman, la célèbre maison d’éditions qui a publié notre incontournable Tintin, il a été lancé dans le but de célébrer, de manière bédéesque, les quatre cents ans de la fondation de notre belle et fière capitale. C’est donc grâce à la contribution et à la collaboration de plusieurs organismes québécois et français que ce bon recueil a pu sortir de presse.
Sous la superbe couverture de Jean-Louis Tripp (Magasin général), nous offrant une belle vue en plongée du Château Frontenac, de la Vieille Ville, en bas du cap, et du fleuve à demi gelé, on retrouve donc quatre intéressants récits se déroulant tous à Québec, mais à des époques différentes.
On a d’abord droit à un épisode axé sur la fondation de la ville… et même avant, puisque ce récit débute en 1607, alors que notre très cher Champlain, Samuel de son petit nom, était encore à Port-Royal, en Acadie, et commençait à forger son idée d’un emplacement plus à l’intérieur des terres. Le scénario du toujours excellent Émile Bravo (les Épatantes aventures de Jules) est amusant, tout en restant fidèle à plusieurs anecdotes historiques, telle la méconnue tentative de meurtre à laquelle notre fondateur a échappé. Les dessins sont de Jimmy Beaulieu (Ma voisine en maillot), un Québécois qui cartonne depuis quelques années, mais qui me semble plus reconnu en France qu’ici (personnellement, ses albums ne me disent absolument rien!). Il développe ici un trait cartoonesque pour cadrer avec le ton très humoristique donné par Bravo, mais je le trouve un peu décevant, trop hachuré à mon goût. Le résultat n’est pas sans rappeler les dessins d’humour du caricaturiste du journal le Soleil, André-Philippe Côté, créateur de la série Basile.
Le deuxième récit, le meilleur, selon moi, traite du pénible épisode de la chute du Pont de Québec, alors qu’il n’était encore qu’à moitié construit. Sobrement, tout en non-dits, Pascal Girard parvient à nous montrer cet événement marquant par la lorgnette du quotidien des travailleurs qui s’y esquintaient. Sous ses dehors très ordinaires, c’est pourtant un récit touchant et intéressant. Le récit de l’autre Girard (Philippe, cette fois, celui de la série Béatrice) nous plonge dans les méandres d’un sombre collège classique des années cinquante, avec son lot de règles à ne pas transgresser. Deux des pensionnaires tenteront une escapade nocturne mais auront bien du mal à ne pas se faire prendre, à leur retour.
Pour ce qui est du dernier récit, très contemporain, il s’agit presque d’une farce au punch, ma foi, assez classique… mais je me dois d’avouer que je n’en ai pas vu venir la chute! On y suit une bande de joyeux fêtards de plus en plus imbibés qui sillonne la région en motoneige pour célébrer dignement la venue de la nouvelle année !! Le gag est bon et m’a obligé à une seconde lecture, ce qui est un gage de qualité, je crois.
Force est d’avouer que ce sont surtout les scénarii qui m’ont plu dans ces récits, plus que les dessins. En fait, seul le style d’Étienne Davodeau (Rural!, les Mauvaises gens) a trouvé grâce à mes yeux : j’achèterai peut-être d’autres œuvres illustrées dans ce style qui, par moment, m’a rappelé (vaguement, en plus soft et un peu plus réaliste) notre Réal Godbout national (oui oui, celui de Michel Risque et de Red Ketchup) ! Les dessins de Jimmy Beaulieu, d’Emmanuel Moynot (le Temps des bombes) ou de Jean-Sébastien Duberger ne m’ont pas plu plus qu’il le fallait, allant du passable au correct.
Par contre, trois des quatre scénaristes m’ont donné le goût de lorgner vers leurs autres œuvres : Émile Bravo (dont je suis déjà un grand fan), Pascal Girard et Jean-Louis Tripp. Des auteurs que je chercherai peut-être à mieux découvrir…
Plus grandes forces de cette BD :
- la très belle couverture, qui pourrait très bien servir à illustrer un guide de voyage sur la Grande Capitale. On reconnaît vraiment le même coup de crayon que dans Magasin général. Merci, monsieur Tripp!
- le ton très moderne du langage de Champlain et des Amérindiens, dans le premier récit. Les expressions qu’ils utilisent et leurs réactions sont tout à fait déphasées et ne cadrent pas du tout avec les usages auxquels les récits se déroulant au XVIIe siècle nous ont habitués : on est très loin des belles tournures de phrases ampoulées que nous sert le théâtre classique! Ainsi, quand un sage Amérindien lance un : «Ils m’emmerdent!» exaspéré, en parlant des Français, on ne peut qu’être amusé et surpris! Ce décalage contribue à rendre les personnages cocasses et sympathiques.
- l’illustration de la condescendance des Blancs à l’égard des Autochtones. Monsieur Bravo a très bien su rendre, toujours avec beaucoup d’humour, l’attitude hautaine et colonialiste des premiers colons face aux «Sauvages». Les Amérindiens qu’il nous présente sont si nobles et les Français, si fat! Hilarant!
- le personnage du sage Amérindien barbu, qui serait un descendant de Jacques Cartier. C’est une belle idée que Monsieur Bravo a eu d’établir de cette façon un lien possible entre la période d’exploration de Cartier (1534-1540), et celle de Champlain, soixante-cinq ans plus tard. C’est d’ailleurs une idée que je voulais exploiter dans un éventuel scénario!!
- le très joli graphisme, assez soigné mais très sobre, de monsieur Davodeau, dans le deuxième récit. Même si ses décors sont un peu vides (mais, après tout, ça se déroule sur le Pont de Québec en construction, où il n’y a pas vraiment énormément d’éléments de décor!!), son choix de couleurs douces et nostalgiques donne au récit un aspect vieillot sans pour autant faire mièvre.
- le choix de thème du deuxième récit. La construction du Pont de Québec, avec la contribution des Amérindiens «qui ne connaissent pas le vertige», et le tragique affaissement qu’il a subi sont des moments bien marquants de l’histoire moderne de la ville. L’approche narrative qu’utilise Pascal Girard est très sobre et subtile, tout comme la finale, toute en douceur et en non dits, qui laisse place à l’interprétation. Ce ton cadre tout à fait aux dessins de Davodeau.
- certaines informations historiques. Je suis fasciné d’apprendre que LA Joséphine Baker serait venue faire ses petits déhanchements lascifs dans les bouges de notre vieille capitale, dans les années 50. Je n’ai pas pu valider la véracité historique de cet événement, mais cela me semble tout à fait plausible.
- la présence, dans chacun des quatre récits, d’un membre de la famille Girard! En effet, tous les auteurs ont inséré le même patronyme pour un de leurs personnages. Avec Philippe et Pascal Girard à la barre de la moitié des scénarii, faut-il s’étonner que le choix se soit porté sur ce nom de famille en particulier?
Ce qui m’a le plus agacé :
- la coloration du récit illustré par Jimmy Beaulieu. Non seulement ça semble être coloré aux crayons Prismacolor, mais en plus, ça déborde de tous côtés, empiétant dans les phylactères comme si c’était un enfant qui l’avait colorié : la moitié de mes élèves aurait pu faire un meilleur job… et ils ont neuf ans!! Si le but était de faire rigolo, pour cadrer avec le ton du récit, c’est raté : ça fait surtout amateur.
- l’aspect presque photographique et la coloration très sombre des décors du troisième récit, celui dessiné par Emmanuel Moynot. Même si je concède que ce traitement est très efficace pour recréer l’ambiance lourde des collèges classiques des années cinquante, ce style graphique ne me rejoint pas du tout. Pourtant, la série le Temps des bombes, du même auteur, est d’un style beaucoup plus proche de la ligne claire! De plus, le dessin de la mère du garçon, à la première planche (cinquième vignette) me laisse pantois : on dirait qu’elle n’a pas de visage, ou qu’elle a une minuscule tête au sommet d’un long cou trop fin… Étrange!
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