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Paracuellos
PARACUELLOS
Scénariste(s) : Carlos GIMÉNEZ
Dessinateur(s) : Carlos GIMÉNEZ
Éditions : Audie
Collection : Fluide glacial
Série : Paracuellos
Année : 1979     Nb. pages : 304
Style(s) narratif(s) : Courts récits en quelques planches
Genre(s) : Humour mordant, Humour social, Quotidien, Récit psychologique, Historique, Drame familial
Appréciation : 5 / 6
les Orphelins de Duplessis, version Franco
Écrit le dimanche 12 mai 2013 par PG Luneau

L’Espagne franquiste… Quelle Terra incognita pour moi! En effet, si vous me lisez depuis quelques temps, vous aurez sans doute compris qu’autant je suis passionné par l’histoire ancienne, de la préhistoire aux années 1800, autant les événements survenus au cours des deux cents dernières années me laissent totalement indifférent!! Les deux grands conflits internationaux ne m’attirent pas du tout, alors pour ce qui est des «conflits collatéraux», pensez donc!! ;^) S’ils ne me font pas vibrer, est-ce parce que l’on peut encore en ressentir, de diverses façons, les impacts sur nos vies? Est-ce parce qu’ils sont, de ce fait, plus incarnés, plus réels pour moi? Chose certaine, l’histoire moderne m’est toujours apparue comme un ramassis de paperasseries politiques sans intérêt, et non pas comme une «histoire» à raconter!

Aussi, vous comprendrez qu’il faille qu’un dessinateur ait un sérieux coup de crayon pour que j’en vienne à faire fi de mon indifférence pour le sujet… et pour que je débourse le prix qu’il faut pour me procurer une intégrale, même en bouquinerie!! C’est dire à quel point les amusants traits caricaturaux de l’Espagnol Carlos Giménez sont efficaces et inspirés!! En effet, ce n’est que pour pouvoir admirer l’efficacité du graphisme de ce Giménez que je me suis procuré le très médiatisé Paracuellos, un beau volume qui regroupe en son sein l’équivalent de six albums complets!!

Mais qu’est-ce que Paracuellos? Il s’agit d’un genre de pensionnat, chapeauté par l’état espagnol, qui accueillait les enfants orphelins ou ceux dont les parents n’avaient plus les moyens ou la possibilité de les garder avec eux. Plusieurs centres d’Assistance sociale, dans l’Espagne des années ‘40-‘50, pouvaient ainsi prendre en charge les jeunes dont l’unique parent tombait gravement malade ou devait partir pour travailler au loin. Ces établissements nationaux prodiguaient une éducation stricte et très religieuse et un endoctrinement social sournois mais bien réel, au sein duquel Franco était bien bon et ses ennemis, bien sombres. Mais ce que les responsables prodiguaient surtout, c’est une discipline de fer… et à grands coups de ceintures, de gifles ou d’humiliation, s’il-vous-plait!

Quelle cruauté!! J’ai subi un véritable choc en lisant le premier tiers de cette compilation. Giménez publiait ces pages dans le magazine Fluide glacial (entre autres), qui se voulait drôle et mordant… Oh! Les tronches des petits personnages le sont, effectivement… Mais l’ensemble était surtout d’une tristesse sans borne!! D’autant plus que ce que Giménez met en pages, dans cette série, c’est sa propre jeunesse, ainsi que celles de ses confrères de foyers!  En effet, Giménez lui-même s’est vu balloté entre quatre ou cinq de ces orphelinats, alors qu’il avait entre 6 et 14 ans! Tout, absolument tout ce qui est raconté ici a été vécu,  par Giménez (qui se met parfois en scène) ou par l’un ou l’autre de ses petits camarades d’infortune. L’auteur prend bien la peine de nous le préciser dans son long texte (cinq pages!) d’introduction. Que de misère! Que de sadisme! Contrairement à Gotlib, qui nous invite, dans sa préface, à rire un bon coup, j’ai plutôt eu tendance à pleurer sur le sort de ses pauvres enfants que l’Assistance sociale ne prenait sous son aile… que pour mieux les casser! Voyez plutôt : sieste imposée, couchés sur le sol, au gros soleil, de 14 h 30 à 17 h 00 ; privation (d’eau ou de nourriture) ou gavage, selon l’offense ; confiscation des lettres trop révélatrices ; obligation de gifler un camarade fautif sous peine de soi-même se faire gifler ; promenade devant tous avec sur la tête le drap souillé dans lequel on s’était échappé… Et ce n’est là qu’une toute petite partie de ce que Giménez nous relate!

Bien sûr : l’auteur nous rappelle qu’il s’agit d’une autre époque, et que le sort des gamins à l’extérieur de ces orphelinats n’était guère différent. L’autorité avait le bras long et la main leste, dans le temps! J’ai rapidement fait le rapprochement avec nos propres enfants de Duplessis, exactement à la même époque!

Puis, à la fin du tome #2, l’évasion d’un des mômes nous laisse entrevoir une lueur d’espoir!! D’ailleurs, à partir du tome #3, Giménez semble moins caustique. Est-ce parce qu’on s’habitue au pathétisme désolant, ou si l’artiste nous raconte réellement des anecdotes plus légères, moins tragiques?? J’ai d’abord souri à une ou deux reprises… puis j’ai ri, une fois, quand les jeunes décident de monter une pièce de théâtre, puis lors de leur match de soccer. Ouf! L’humour annoncé est enfin au rendez-vous!!

De fait, ce travail de Giménez s’est échelonné sur de nombreuses années, de 1977 à 2003. On réalise rapidement que les premiers épisodes se voulaient de courts comptes-rendus anecdotiques (de deux planches), à la limite, pamphlétaires, sur les petites horreurs qui se vivaient dans différents établissements de ce genre. Les noms des protagonistes changent et il y a peu de personnages récurrents. Ce n’est qu’à partir de la fin du tome #2 que l’auteur commence à plus structurer son petit univers : il centre ses anecdotes dans un seul centre (celui surnommé Paracuellos), il garde le même noyau de «bénéficiaires», et leurs mésaventures s’allongent de quelques planches (on passe à du six ou huit planche) et sentent un peu moins le pathos… J’ai bien dit UN PEU moins! ;^)

Maintenant que j’ai refermé cet album, je suis à même de réaliser à quel point j’ai apprécié partager ces importants témoignages, à quel point il serait important qu’ils aient une résonnance partout où des enfants sont obligés d’être retirés de la garde de leurs parents. Une grande leçon d’humanité, et un devoir de mémoire, voilà, somme toute, ce que nous livre ce fantastique communicateur… et le tout, dans un style humoristique qui permet de faire passer la pilule : Bravo, monsieur Giménez!!

(À partir de 12 ou 13 ans)

 

Plus grandes forces de cette BD :

 

  • les dessins si reconnaissables de Giménez, à l’expressivité si touchante! Autant les tronches de ses très nombreux pensionnaires reflètent toujours le cruel malheur qui les assaille (la couverture de cette intégrale nous en dresse un superbe tableau!), autant les visages perpétuellement satisfaits des adultes qui les «gardent» aussi méchamment sont carrément révoltants… mais si bien réussis!! Un dessin semi-caricatural d’une telle netteté a rarement livré autant de sentiments forts avec autant de clarté : total désespoir, crainte perpétuelle, rancœur crasse, jouissive cruauté… Giménez a vraiment le don de nous émouvoir… peut-être parce qu’il a vécu tout ça!?

 

  • l’épaisseur du volume. Plus de trois cents pages grand format, c’est de la brique, ça, monsieur! Pas évident à tenir, surtout quand on lit dans notre lit, coucher sur le dos! ;^) Néanmoins, le volumineux bouquin a le mérite d’inclure tout ce que l’auteur a fait en lien avec cette série. Ainsi, on a accès à l’entièreté de l’œuvre, ce que j’apprécie!

 

  • les quelques pages de croquis et de crayonnés de l’artiste, à la toute fin : de toute beauté!!

 

 

Ce qui m’a le plus agacé :

 

  • l’absence de caniveau vertical entre les vignettes, dans toute la première moitié du volume : ça fait très chargé, ces cases toutes serrées telles des cages à poules!! D’autant plus que dans tout le premier tome, il n’y a pas de caniveau horizontal non plus entre chaque strip!!

 

  • la transition entre le ton de départ (avec ses très courts récits tragiques, en deux planches) et celui des quatre derniers tomes (avec leurs récits plus longs et mieux organisés, quoique plus légers). En fait, j’ai aimé les deux styles (l’un plus grave, plus «coup de poing», l’autre plus sympathique, plus «digeste»), mais j’ai été surpris par la rupture presque radicale, à laquelle je ne m’attendais pas!

 

  • la grande quantité de personnages, qui met un certain temps à se «standardiser». Au début, j’ai été déboussolé par leur grand nombre… mais comme chaque nouveau gag nous entraînait dans un nouveau centre, j’en ai conclu qu’on n’avait pas à retenir les noms et les caractéristiques spécifiques de chacun des protagonistes! Mais voilà que les personnages commencent à être récurrents au début du deuxième tiers!... Quand je m’en suis rendu compte, il était déjà trop tard pour prendre des notes afin de m’aider à démêler tout le monde : soyez-en prévenu!! De plus, tous ont les mêmes yeux : seules les coupes de cheveux peuvent nous mettre sur la bonne voie… d’où l’importance d’être constant… ce qui n’est pas toujours le cas! Par exemple, le récit intitulé le Défi reprend intégralement, à la p.166, une vignette de la p.96… mais les deux garçons ont changé de coupe de cheveux!! Ça nuit beaucoup à l’identification de la trentaine de gamins!

 

  • l’absence des pages couvertures des six albums originaux. En fait, le Net m’a appris que les quatre derniers tomes n’ont jamais été publiés en album dans leur traduction française!! C’est donc agréable de savoir que tous ces gags sont enfin accessibles dans notre belle langue… mais j’aime bien quand une intégrale nous montre à quoi ressemblaient les couvertures originales des albums ou fascicules qu’elle contient (comme c’est fréquemment le cas avec les comics, comme Fables ou Walking Dead, par exemple!).

 

 


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@ Danielle : Je comprends tout à fait ton inconfort... D'ailleurs, comme je le disais plus haut, je m'interroge vraiment sur le fait que la deuxième moitié me soit apparue beaucoup moins mordante : est-ce parce qu'elle l'est vraiment, l'auteur ayant effectivement expulsé son trop plein dans les premiers tomes (ce qui serait parfait)... Ou est-ce parce qu'on se crée une carapace face à tant de cruelles injustices et qu'on devient de plus en plus insensibles au phénomène (ce qui serait affreux!!)... J'ose espérer que c'est ma première hypothèse qui est la bonne! ;^c
Rédigé par PG Luneau le samedi 26 octobre 2013 à 10:16


Toute une nomenclature ! L’auteur maîtrise si parfaitement son art que ça écorche par où ça passe. De sorte que même si je comprends et reconnais l’exutoire bien légitime que ça doit être d’expectorer de pareils sévices, je n’ai pour ma part éprouvé aucun plaisir à cette lecture que j’ai abandonnée à mi-parcours.
Rédigé par Danielle le vendredi 25 octobre 2013 à 15:57


@ Jérôme : Je te souhaite que ta médiathèque accepte ta demande : c'est vraiment une oeuvre qui vaut le détour. Tu peux peut-être leur faire lire mon billet, pour finir de les convaincre??! ;^)
Rédigé par PG Luneau le lundi 13 mai 2013 à 22:17


J'ai demandé à ma médiathèque de l'acheter. Pas sûr qu'ils suivent ma demande mais j'aimerais vraiment beaucoup découvrir cet album. Je trouve le dessin de Giménez fascinant.
Rédigé par jerome le lundi 13 mai 2013 à 6:36


@ Arsenul : Je connais au moins une bonne catholique de l'époque : ma mère... et c'était sa fête aujourd'hui : Bonne Fête des Mères, maman!! ;^)
Mais tu as bien raison de mentionner les autochtones : eux aussi, ils l'ont eu difficile avec notre «cher» clergé!!
Je te recommande fortement de lire cette petite brique : elle en vaut vraiment la peine, je suis sûr que tu apprécierais!!
Rédigé par PG Luneau le dimanche 12 mai 2013 à 22:56


Pour ma part, je découvre quelque chose. C'est à se demander s'il y avait de bons catholiques à l'époque. Avec les autochtones chez nous c'était pareil! Ouf, je vais attendre un peu...
Rédigé par Arsenul le dimanche 12 mai 2013 à 19:24


@ Anne des Ocreries : Acidulé!! Voilà un terme bien choisi pour parler du traitement employé par Giménez dans cette série à teneur autobiographique! Et moi aussi, j'en ai eu, des frissons dans le dos... et en rafales, encore, car je me suis tapé l'intégrale en quelques soirs!! ;^)
Rédigé par PG Luneau le dimanche 12 mai 2013 à 19:15


Ah, Paracuellos.....toute ma jeunesse ! j'ai lu ça il y a des années, c'est pas tout jeune....acide comme un citron pas mûr, hein ? j'en ai chialé....parce que ça fout des frissons dans le dos...et que malgré le ton humoristique, c'est tout sauf drôle....et, du coup, je crois que cette façon de raconter rend encore ^plus atroce ce que ces pauvres petits ont vécu sous ce franquisme atroce....
Rédigé par anne des ocreries le dimanche 12 mai 2013 à 17:46




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