#07 - TERMINUS
Scénariste(s) : TURF
Dessinateur(s) : TURF
Éditions : Delcourt
Collection : X
Série : Nef des fous
Année : 2009 Nb. pages : 49
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (7/7)
Genre(s) : Aventure fantaisiste
Appréciation : 5 / 6
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Enfin des explications!
Écrit le vendredi 26 mars 2010 par PG Luneau
Turf est véritablement un créateur hors-norme. L’univers qu’il a imaginé dans son exceptionnelle série la Nef des fous est totalement fascinant : un monde fantaisiste et complexe, avec juste ce qu’il faut de réalisme pour rester crédible, compréhensible et palpitant. En effet, le pays farfelu de conte de fées dans lequel il nous plonge part à la dérive : les boulons et les masques commencent à tomber et les dents, à grincer! Dans un style graphique unique et superbe, reconnaissable entre tous, l’artiste nous trace, par petites touches, les dessous de ce monde qui arrive à un tournant, alors que certaines poupées mécaniques souffrent de l’usure du temps!
Depuis 1993, ce remarquable bédéiste nous présente en moyenne un album aux deux ou trois ans ans. Un rythme bien lent compte tenu des attentes suscitées par ses scénarii toujours un brin mystérieux, frôlant presque le mysticisme. Oui, pour ça, il a toujours eu le tour de nous mystifier, de nous intriguer et de nous faire, tout au long de la série, des révélations qui ne faisaient, en somme, que soulever plus de questions!
Eh bien réjouissez-vous, chers amateurs, car ce septième tome, intitulé Terminus, est la conclusion de cette passionnante saga! C’est triste, d’une certaine façon, mais c’est surtout satisfaisant d’enfin connaître le dessous de tous ces mystères qui planaient depuis plus de quinze années! Si les ambiances ambigües (qui rappellent les jeux d’ordinateur tels que Myst ou Raven), les inquiétants personnages automates et les imbroglios pullulaient et donnaient toute sa saveur à la série, il est remarquable que Turf ait eu le courage de clore cette dernière sans chercher, comme certains de ses confrères, à l’étirer de manière éhontée!
Pour ceux qui connaissent un peu le contexte, voici un bref aperçu de cette finale (qu’il est d’ailleurs inutile de lire si vous n’avez pas lu les tomes précédents!) : Alors que les deux policiers mettent fin à leur enquête qui ne rime à rien, le Grand Coordinateur, devenu amnésique, découvre les exactions dont on l’accuse et notre cher souverain, Clément XVII, découvre enfin le secret qui se cache dans les sous-sols de son royaume! Pour leur part, Arthur et Chlorenthe parviennent à retrouver la capsule-nacelle qui les avait conduits à l’air libre et réintègre leur monde. Grâce à un intéressant cours d’histoire accéléré, nous apprenons enfin la genèse de cette impressionnante et bien étrange nef.
Tout à notre tristesse de quitter le sympathique et si naïf petit roi Clément, on peut toujours espérer que Turf se lance dans un autre cycle, «pre-quel» ou «spin-off»?! De toute manière, peu importe la tournure que prendra le prochain projet de cet artiste accompli, je suis sûr que je serai aux premières loges! Et vous?
Plus grandes forces de cette BD :
- l’inquiétante (pour ne pas dire angoissante!) couverture, qui reflète un certain aspect de la série. Avis à tous ceux à qui les visages de clowns font peur : vous n’apprécierez probablement pas trop ce Pierrot robotisé qui nous dévoile les dessous mécaniques de son masque blanc!
- les variations de teintes (plus dorées pour les scènes à l’extérieur de la Nef, tout rouge et noir pour le sous-sol, beige et brun pour les retours dans le temps, plus bleutées dans le royaume…), de styles graphiques (style médiéval pour le cours d’histoire…), de plans et d’angles de vue. Turf nous démontre qu’il est un très habile technicien, qui connaît et maîtrise parfaitement toutes les clés qui régissent le monde du neuvième art. Il sait les utiliser judicieusement pour bien alimenter les ambiances qu’il désire créer.
- le dessin très léché et soigné. Le style de Turf, sympathique et caricatural, est néanmoins si net et précis qu’il s’allie à merveille aux rebondissements somme toute assez complexes de son scénario, tout en lui donnant un côté facilement abordable. Un travail de maître!
- les mises en page audacieuses, qui sortent souvent des cadres normatifs. Tout au long de la série, Turfs s’est amusé à sortir des sentiers battus en dessinant certaines scènes sans respecter le canevas habituel avec cases standard. Ici, c’est notamment lors de la fuite des deux policiers-enquêteurs (tant dans les conduits d’aération que par l’ascenseur) qu’il se joue des normes et bouscule agréablement l’agencement de ses vignettes. Ici encore, un travail d’artiste.
- les personnages, nombreux, tous typés et sympathiques. Depuis le début de la série, ils sont tous à croquer, tant le charmant petit couple d’amoureux que les deux policiers avec leurs airs de Laurel et Hardy. J’aimerais donner une mention spéciale au Grand Coordinateur, le méchant de service, pour sa folie des grandeurs… (et sa folie tout court!), mais ce serait déloyal pour ce cher roi Clément, avec qui on compatit depuis le tout début tant il est naïf, bourru et si mignon sous ses airs de nain de jardin complètement dépassé par les événements!
- l’épilogue, sous forme de parchemin médiéval. Il nous relate, en belles lettres gothiques, ce qui surviendra à chacun des personnages, dans le même style que le charmant album hors-série que Turf nous avait offert en 1998, et qui racontait, lui, la jeunesse de Clément, futur XVII. Cet épilogue et les émouvants remerciements qui le suivent sont sympathiques et concluent bien la série.
Ce qui m’a le plus agacé :
- le rouge choisi pour les scènes du sous-sol. Il est un peu trop sombre. Tant que monsieur Turf se limitait à utiliser des silhouettes en contre-jour, ça allait très bien. Cette fois-ci, il ne fait que colorer en à-plat rouge intégral toutes les cases se déroulant dans cette mystérieuse cave. C’est dommage, car ça nous fait perdre d’intéressants éléments de décor.
- l’épisode dans la chambre de la reine. Je n’ai pas trop compris le rôle de cet intermède. J’ai même eu l’impression que ça nous lançait sur une autre piste, comme si la reine était tout à coup complice du Grand Coordinateur. Je me suis demandé si ça allait relancer l’enquête des deux policiers… mais on n’y fait plus allusion nulle part par la suite! Mystère!? Peut-être y a-t-il là certaines subtilités qui m’ont échappé? Probablement qu’à la relecture de la série dans son entier, j’y verrai quelque chose?! Car oui, c’est assuré, je relirai cette génialissime série, même si je n’en ai pas tellement le temps (voir plus bas). Elle le mérite trop!
- les décors un peu plus simples que de coutume. De manière générale, Turf nous avait habitués à des chefs-d’œuvre d’architectures et de décors. Ce tome-ci me semble plus sobre sur le plan des fonds de cases.
- le caractère très verbeux de cette finale. Bien évidemment, quand on crée un excellent mystère et qu’on l’étire sur sept tomes sans trop laisser filtrer d’informations compromettantes, ça fait en sorte qu’il y en a long à dire quand on arrive à la fin, surtout quand on tient à renseigner honnêtement ses lecteurs. C’est le cas pour Turf, ce qui fait que les dernières planches sont très chargées, de textes et d’informations. Néanmoins, ces explications ont le mérite d’être claires et satisfaisantes.
- ma lecture trop segmentée. En effet, s’il est une chose que je déplore dans ma lecture, c’est de ne pas avoir pris le temps de relire les six premiers tomes avant de lire ce dernier album : ça m’aurait certainement permis d’apprécier encore plus à sa juste valeur cette conclusion rocambolesque. (Pour ma défense, sur les mille huit cents albums que j’ai déjà lus, si je relisais tous les anciens tomes d’une série chaque fois qu’un nouveau tome sort, comment viendrais-je à bout de lire mes neuf cents autres tomes qui attendent patiemment que je les lise pour une première fois?!?!)
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