#01- 60 AVENTURES DE MODESTE ET POMPON
Scénariste(s) : André FRANQUIN, René GOSCINNY, Michel Regnier dit GREG
Dessinateur(s) : André FRANQUIN
Éditions : le Lombard
Collection : X
Série : Modeste et Pompon
Année : 1958 Nb. pages : 62
Style(s) narratif(s) : Gags en une planche
Genre(s) : Humour, Quotidien
Appréciation : 4 / 6
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l'Humour des «Golden fifties» à son meilleur
Écrit le samedi 31 octobre 2009 par PG Luneau
Il me fait plaisir de signer ma cinquantième critique avec ces héros tout à fait démodés mais tellement représentatifs des années cinquante, j’ai nommé : Modeste, Pompon et Félix. Cette série de gags en une planche a été la première création originale de l’illustrissime Franquin, qui travaillait déjà, à cette époque, sur la reprise de Spirou et Fantasio (auxquels il a adjoint le Marsupilami… et une solide dose de génie!). Son trait était alors beaucoup plus net et son style, beaucoup plus sobre que pour sa future création, l’ineffable Lagaffe. Mais quelle efficacité dans le coup de crayon!
En fait, cette série reste dans mes coups de cœur même si, à l’analyse, je constate qu’elle est assez ordinaire!!! Les gags y sont plus sympathiques que franchement drôles, le dessin y est plus correct que transcendant, les couleurs en à-plat font très plaquées, les décors sont assez minimalistes, les personnages, stéréotypés… Mais alors, pourquoi y suis-je tant attaché?
C’est sans contredit la nostalgie de ma jeunesse insouciante qui me rend cette série si sympathique. Quand j’avais huit ou neuf ans, mon père a accepté de m’acheter une haute pile de magazines Tintin, au marché aux puces. Une soixantaine de numéros : la manne pour un boulimique littéraire comme moi! J’ai dû lire et relire ces revues des centaines de fois!! C’est là que j’ai fait la connaissance de plein de héros classiques : Cubitus, Taka Takata, Bernard Prince, les personnages de la fabuleuse saga Go West… et Modeste et Pompon!
Car c’est d’eux dont il est question ici : le bouillant Modeste et la douce Pompon. Le premier, c’est le personnage central, sans métier défini mais indépendant de fortune… Tout comme la belle Pompon, d’ailleurs. On ne les voit jamais travailler, mais ils ont chacun leur maison à eux !? Sont-ils rentiers, si jeunes? Heureusement que Félix, avec son porte à porte de vendeur itinérant, vient mettre un peu de réalisme économique dans tout ça!!
Pour ce qui est de la relation entre les deux personnages éponymes, c’est, encore ici, assez nébuleux. Bien qu’on pourrait croire qu’ils soient fiancés ou, du moins, amoureux, jamais, au grand jamais, on ne voit le moindre commencement d’un indice de rapprochement ou de tendresse, ni d’un côté, ni de l’autre! Les quelques rares fois où ils sortent ensemble, pour aller au ciné ou au théâtre, c’est en tout bien, tout honneur, sans même se tenir par la main! En somme, ces deux-là pourraient bien être cousin-cousine que ça ne changerait rien à l’affaire!
Mais ce genre d’incohérences ou de flou relationnel était presque la norme, à l’époque : les relations entre Tintin et Haddock, ou Spirou et Fantasio, n’ont jamais été très nettes, elles non plus!! Qui héberge qui? Sous quel prétexte? Par pure amitié? Mais cela, c’est un autre débat! Pour le moment, il suffit simplement de souligner qu’à l’époque, ces détails passaient loin derrière le désir de faire sourire. Et pour se faire, on n’y est pas allés de main morte : avec Franquin aux commandes, le succès était pas mal assuré. Sa popularité était déjà à la hausse, et c’est pourquoi, quand il a commencé à manquer de temps pour rendre sa planche hebdomadaire au magazine Tintin (en plus de celles qu’il devait faire pour le magazine rival, Spirou), il s’est adjoint deux génies déjà réputés pour lui pondre les scénarii, j’ai nommé les bonzes Greg et Goscinny! Ce n’est pas de la petite bière, ça, mes aïeux!
Avec une telle paternité, la série ne pouvait qu’être marquante. Oui, elle a un côté bon enfant qui a un peu mal vieilli. Oui, on se croirait parfois en plein épisode des antiques séries télé Papa a raison ou la Famille Stone (ces dernières références ne diront plus rien à personne et trahiront un peu mon âge!). Mais nostalgie, quand tu nous tiens!!
Franquin a réalisé plus de cent quatre-vingts planches pour cette série, échelonnées sur cinq ans, de 1955 à 1960. Puis, la série a été reprise par d’autres, notamment Dino Attanasio. Pour tout savoir sur l’époque Franquin de cette série, je vous conseille de visiter un petit site fort complet et intéressant : http://modeste.pompon.free.fr/ Vous en apprendrez plus sur l’historique de la série, les albums parus, tous les personnages qui y sont passés, etc. Tout y est inspecté à la loupe, un travail d’archive digne d’un professionnel! Bonne exploration!
Plus grandes forces de cette BD :
- l’opportunité de connaître la genèse des personnages. En effet, puisqu’il s’agit du premier tome, on peut y voir la première apparition des trois neveux – qui étaient alors cinq (!!!) et qui ont été présentés comme étant les petits cousins de Félix avant de devenir les neveux de Modeste (?!?!?) – et les premiers pas de l’inénarrable Félix, avec son visage qui était tout étiré, au tout début. Saviez-vous, vous, que Félix était le cousin de Modeste?
- les principaux personnages secondaires. À commencer par Félix, ce pauvre plouc qui cherche toujours à nous vendre le fil à couper le beurre ou d’autres articles tout aussi inutiles. Son caractère de casse-pieds n’a d’égal sa grande maladresse et la poisse qu’il semble traîner avec lui. Puis, les neveux, jamais baptisés, qui viennent mettre un peu de piquant dans la vie (pas si) rangée de Modeste. Finalement, les deux voisins, Monsieur Ducrin (inventé par Greg, qui s’en inspira pour faire son Lefunestre) et l’insupportable Monsieur Dubruit, avec sa marmaille malicieuse (créés, eux, par Goscinny). Ils viendront redynamiser les gags en démontrant que l’enfer, c’est les voisins! Tous ces personnages secondaires enrichissent l’univers «modestien» et permettent une plus grande variété de situations cocasses.
- le mobilier au design très «fifties» et les œuvres d’art modernes. L’appartement de Modeste est jonché de meubles, de tableaux, de vases ou de sculptures «modernes», de ce moderne que je trouve «kitch mais de bon goût», aux formes extravagantes ou aux couleurs criardes qui faisaient non pas le charme (le terme est trop fort!!), mais la particularité de cette époque. On en dresse un beau portrait sur le site dont je vous parlais plus haut.
- le format «à l’ancienne» de 62 planches. Ce format me donne toujours l’impression d’en avoir plus pour mon argent, tant je suis maintenant conditionné aux 48 pages standards.
Ce qui m’a le plus agacé :
- la sous-utilisation de Pompon. Bien que son prénom (ridicule, de surcroit) serve de nom à la série, ce personnage est plus qu’effacé. On peut à peine parler d’un faire-valoir! Les quelques fois où on la voit, elle pose, en figurante, et se contente de calmer le véritable héros d’un petit : «Calme-toi, Modeste!», à la fin des planches. Les très rares fois où sa présence est plus active, c’est pour nous montrer un stéréotype féminin tout ce qu’il y a de plus 1950 : elle est en retard, s’attarde sur sa tenue vestimentaire ou va faire des achats compulsifs. J’ai longtemps trouvé étrange que les deux boules de cheveux qu’elle a de chaque côté du visage soient noir, alors que sa queue de cheval était plutôt châtaine… jusqu’à ce que je réalise, des années plus tard, qu’il s’agissait de pompons attachés au ruban qui tient cette même queue de cheval… c’est dire que, graphiquement, ce n’était pas très évident (ou que je suis un parfait crétin en matière de chevelure féminine, ce qui est peut-être aussi un peu vrai!). Toujours est-il qu’il me semble que les scénaristes auraient pu donner à cette jeune fille une âme ayant un peu plus de tonus plutôt que d’en faire la mollassonne spectatrice des affres de Modeste ou de Félix. Après tout, que ce soit Franquin, Greg ou Goscinny, on ne parle pas ici de deux de pique !! Mais peut-être était-ce l’époque qui voulait ça?!?
- l’incongruité des relations entre les personnages. Qu’en est-il des sentiments entre Modeste et Pompon? Comme je le disais plus haut, on ne les voit jamais autrement qu’en chastes amis. Même pas des amis d’enfance qui rigolent et se disent tout!! Que des amis, presque trop polis. On pourrait finalement les croire collègues de travail… si on connaissait leur métier!! Même chose pour les neveux : non seulement on ne sait plus de qui ils sont les neveux, mais en plus, ils semblent ne pas avoir de parents! Ils passent tant de temps chez Modeste qu’on pourrait presque croire que ce dernier les a adoptés!! Qu’en est-il vraiment? On ne le saura jamais!
- l’humour est trop souvent simpliste ou prévisible. Il est sympathique dans 85 % des cas, amusant dans 10 %, et carrément drôle pour un gag sur vingt… Jamais d’hilarant, donc, mais, à son corps défendant, jamais ennuyant ou incompréhensible non plus, comme c’est le cas très souvent… dans tous les Garfield, notamment!!
- les couleurs très vives, en à-plat. En temps normal, j’aime bien ce type de coloration, mais on dirait qu’ici, les décors sont si souvent minimalistes que ces à-plats forment de grosses plaques uniformes qui, parfois, semblent noyer le papier et les personnages qui y figurent. Par exemple, le rouge est si intense qu’il va jusqu’à envahir le visage des trois neveux, à la page 53. Mais sans doute est-ce un problème d’impression spécifique à mon exemplaire!
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