#03- JEHAN PISTOLET ET L'ESPION
Scénariste(s) : René GOSCINNY
Dessinateur(s) : Albert UDERZO
Éditions : Albert René
Collection : X
Série : Jehan Pistolet
Année : 1954 Nb. pages : 47
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Aventure humoristique de pirates / de cape et d'épée
Appréciation : 3 / 6
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Du pré-Astérix, avec tous les petits défauts qui viennent avec!
Écrit le mercredi 30 juin 2010 par PG Luneau
Jehan Pistolet! Ce jeune aventurier est un fougueux rouquin du XVIIIe siècle qui a mis son enthousiasme et le vieux navire qu’il a rafistolé au service du Roy de France. Avec une bande d’amis plus ou moins efficaces comme équipage, le jeune gaillard parcourt les mers en tant que corsaire.
Ce jeune héros valeureux n’a vécu que cinq aventures, et la dernière n’a même jamais été éditée en album. Mais il n’en demeure pas moins important dans l’histoire de la BD puisqu’il s’avère être le premier héros né de la collaboration des deux grands créateurs d’Astérix (celui-ci ne verra le jour que sept ans plus tard) à être officiellement publié!!
En effet, en 1952, lorsque paraîtra la première aventure de Jehan Pistolet, corsaire prodigieux, Goscinny et Uderzo n’ont à leur actif commun que la première ébauche d’Oumpah-Pah (qui n’avait pas satisfait leurs employeurs et qui dormait déjà dans un tiroir) et quelques rubriques de savoir-vivre! Le présent récit, la troisième aventure du corsaire, est paru en 1954, quelques mois avant leur deuxième création, Luc Junior.
Dans cet opus, le jeune rouquin aux taches de rousseur reçoit la mission d’aller trouver de nouvelles colonies pour le bon plaisir du Roy. Malheureusement, un espion a vent de l’affaire et finit par en informer deux puissances étrangères, les Espagnols et les Prussiens, qui enverront toutes deux des corsaires pour contrecarrer le projet. Bien des déboires attendront le pauvre Jehan et ses amis, tant sur mer qu’au cœur du continent africain, où ils tenteront de fonder Pistoletville sans trop se faire remarquer par les tribus cannibales du coin!
Avec son scénario un peu convenu, à l’humour enfantin, et ses dessins encore un peu malhabiles, cet album est loin d’être le meilleur du duo Goscinny/Uderzo. Toutefois, on sent déjà des allures, des péripéties et un humour qui peuvent nous faire pressentir les premières aventures d’Astérix ou, plus encore, celles de son grand frère Oumpah-Pah.
En fait, Jehan Pistolet est une série d’un intérêt probablement plus historique que littéraire. Il vous vaudrait mieux l’emprunter à la bibliothèque ou l’acheter en bouquinerie… Mais chose certaine, malgré tous ses petits défauts, elle demeure encore plus intéressante à lire que les derniers albums d’Astérix, avec Uderzo seul aux commandes!
Une dernière observation : avez-vous remarqué à quel point Jehan semble avoir servi de modèle à Uderzo pour la création du personnage de Goudurix, le jeune neveu un brin fendant d’Abraracourcix, dans Astérix et les Normands ?! On dirait deux frères jumeaux… avec quelques centaines d’années les séparant!
Plus grandes forces de cette BD :
- l’excellent graphisme de la couverture… mais il est trompeur car il est récent et Uderzo est maintenant mille fois supérieur à ce qu’il était. Ça crée des attentes sur le contenu et la déception est grande quand on réalise le grand décalage entre la couverture et l’intérieur. On s’attend à du beau, on reçoit du Uderzo à ses débuts, c’est-à-dire du un peu faible…
- la superbe page de garde, qui date de 1998. Uderzo s’est amusé à crayonner un combat naval entre deux grands trois-mâts. Du grand Uderzo, flamboyant sur une double planche… Les petites vignettes composant le récit, qui datent, elles, du milieu des années 50, font un peu pitié à côté de ça! Tous ces magnifiques dessins me font réaliser à quel point ce dessinateur talentueux gagnerait tellement plus à créer une nouvelle série humoristique (ou à poursuivre celle-ci et Oumpah-Pah, qui sont moins connues) plutôt que de s’entêter à massacrer sa plus belle création !!! Les lecteurs, les œuvres, l’artiste, tout le monde en sortirait gagnant!
Ce qui m’a le plus agacé :
- le titre, qui a plus ou moins rapport avec le récit. En effet, si le personnage de l’espion joue un rôle-clé dans les sept premières pages… il disparaît pour les trente-sept planches suivantes!! Il ne revient que pour un petit caméo à la toute fin de l’album!! Le titre original, qui était Pistolet colonisateur, était peut-être moins politiquement correct, mais il était pas mal plus représentatif de l’histoire!
- l’encrage, qui est trop proéminent. Les traits d’Uderzo manquaient alors de précision, et il est clair qu’il était encore influencé par les techniques d’encrage très prononcé qui étaient à la mode à cette époque, alors que les bandes dessinées paraissaient en noir et blanc dans les journaux. Ça fait en sorte que le récit est souvent dominé par de grands à-plats noirs aux bordures tremblotantes qui ne me plaisent pas beaucoup. La fadeur des couleurs n’aide pas à améliorer cet état de fait.
- le scénario un peu trop enfantin. Avec deux troupes de corsaires ennemies et une jungle pleine de dangers et de cannibales, il me semble qu’il y avait matière à beaucoup plus d’action ou de revirements de situation! Un combat naval grotesque, des cannibales civilisés, deux creuseurs de tunnels qui tombent face à face et un enlèvement par un couple de gentils gorilles, c’est bien mince face aux multiples possibilités! Et que dire de la conclusion, chez le Roy : elle est d’une banalité indigne du grand Goscinny! Il est vrai que ce dernier était encore bien jeune… Il se contentait de quiproquos et de répétitions parfois cocasses, mais qui sentent, surtout aujourd’hui, le déjà vu. Heureusement pour lui, le meilleur restait à venir!
- les deux signatures et la pagination en bas de chaque planche, qui grugent bien de l’espace dans la dernière vignette. Je comprends l’importance, pour un dessinateur, de signer chacune de ses planches, et je trouve fort louable qu’Uderzo prenne la peine de mentionner son scénariste (surtout que Goscinny a été l’un des premiers à militer pour la reconnaissance de ce métier alors presque inconnu : généralement, seul l’illustrateur avait tout le mérite!). Toutefois, ces deux signatures prennent beaucoup de place et auraient pu se retrouver dans une intercase, par exemple, ou sous la vignette. D’autant plus que la numérotation des planches se trouve aussi dans le même coin… Et qu’elle respecte la pagination originale depuis le début de la série : cette histoire couvre donc les planches 89 à 133!! Ça m’a achalé tout au long de ma lecture!
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