#01- INVERSION, TOME I
Scénariste(s) : Pierre Fournier dit MAKYO
Dessinateur(s) : Jerry Hulard dit JERRY
Éditions : Dupuis
Collection : X
Série : Inversion
Année : 2009 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre
Genre(s) : Fantastique, Récit psychologique
Appréciation : 3.5 / 6
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Et si votre jumeau astral bipolaire vous pourrissait la vie?
Écrit le lundi 08 mars 2010 par PG Luneau
Comme tous les écrivains, Jehn Zalko est en manque d’inspiration. Et il est amoureux fou de sa voisine de pallier, qui s’avère être aussi son professeur de littérature (bah voyons!!). Le malheur, ce n’est pas qu’il est totalement épuisé à cause de l’insomnie chronique qui l’assaille… Au contraire, celle-ci lui permet d’accéder à un état second terriblement fécond pour un auteur!
Le problème, c’est n’est pas non plus que cet état végétatif l’entraîne tout à coup dans le monde fabuleux d’Havona, dont il est, apparemment, l’un des princes dirigeants. Si ce n’était que ça, il pourrait encore considérer ces hallucinations comme un long rêve qui se poursuit de somnolence en somnolence.
Non, le problème, c’est que ce prince Jalko Zehn, dont il prend l’identité lorsqu’il apparaît au royaume d’Havona, est un être désagréable au plus haut point, détesté de plusieurs… et que ce même prince semble usurper sa propre identité d’écrivain dans notre monde, quand lui-même, Jehn, se retrouve mentalement dans le sien!! Vous me suivez bien? Si oui, vous aurez compris qu’il y a permutations entre les deux hommes mais qu’elles sont très complexes à cause de la personnalité divergente du prince en question.
À partir de là, toute la vie de l’écrivain part en vrille, car le goujat princier détruit ses repères, déshonore ses relations avec ses proches et laisse même des cadavres sur son passage!!! Comment Jehn, lors de ses périodes de lucidité dans notre monde, pourra-t-il réparer les dégâts causés par son double? Comment faire comprendre à tous les nobles d’Havona, aussi exaspérés que lui par les frasques du fanfaron, qu’il est Jehn et non le prince Jalko? Comment faire comprendre à tous ses amis d’ici qu’il n’est pas responsable des actes de ce godelureau?? Mais surtout, comment se convaincre lui-même qu’il n’est pas en train de devenir fou?!!!
Comme trame de départ, ce synopsis est assez inspirant. Malheureusement, le traitement est un peu trop lourd, étouffant. En soit, c’est bien, car ça démontre que Makyo, le scénariste (que je connais surtout pour ses nombreuses séries jeunesse des années 80), a su insuffler l’atmosphère kafkaïenne qui va de pair avec la situation. Seulement voilà : Kafka et ses déboires ne m’ont jamais attiré!! Le traitement graphique de Jerry est pas mal, très soigné, très réaliste… mais encore là, il manque le petit oumpf! qui ferait que j’accrocherais réellement à ces dessins.
C’est pourquoi je me contente d’un petit 3,5 pour ce premier tome. Si je trouve la suite en bouquinerie, je me laisserai sûrement tenter, question de donner une deuxième chance à ce duo de créateurs. Mais à plein prix, j’y irai avec d’autres priorités : il y a bien trop d’excellentes séries que j’ai hâte de poursuivre, celle-ci attendra son tour!
Plus grandes forces de cette BD :
- la couverture, avec sa belle pureté dans les traits. Elle a d’ailleurs bien fait son travail : en effet, c’est sa belle symétrie et le look somptueux des vêtements dessinés par Jerry, qui ont accroché mon regard et m’ont décidé à m’en saisir pour la feuilleter.
- le thème du monde parallèle, toujours intéressant. C’est d’ailleurs lui qui a achevé de me convaincre d’acheter l’album : comment un fervent amateur de jeux de rôles comme moi pouvait-il ne pas être titillé par l’idée de partir pour un autre monde dans son sommeil?!
- l’esthétisme du monde parallèle en question (architecture, décoration, mode vestimentaire…). Même s’il rappelle un peu ceux des Naufragés du temps ou du Vagabond des limbes, deux séries qui ne m’ont jamais attiré à cause de leur aspect visuel, justement, je suis néanmoins en mesure de constater l’effort et la recherche qui y ont été mis. Jerry y trafique l’art déco et y fait une belle démonstration d’originalité. De manière générale, son style très réaliste dégage une belle pureté. Dommage qu’il en soit autrement avec les visages de ses personnages!
- le mystérieux double. Sans qu’on ne l’ait vu une seule fois, on comprend très vite, à force de se faire raconter ses peu glorieux exploits par témoins interposés, que c’est un être abject, qui pourrira littéralement la vie du héros, tant ici que dans l’univers fantastique!!
Ce qui m’a le plus agacé :
- l’absence de titre au tome. Ce n’est pas un must, mais ça me semble plus sympathique quand un album a un titre spécifique… et ça évite les redites dans mon canevas techniques, en en-tête!!
- la page de garde, vide et morne. Il me semble que ça fait des siècles qu’on ne laisse plus les pages de garde vierges!!! L’écarlate qu’ils ont choisie a beau être très riche, ça reste d’une fadeur inouïe. J’imagine que c’est «la faute à la récession»?!
- la lourdeur psychologique du héros. L’idée de l’écrivain à l’esprit tordu, qui est accro à sa muse (la voisine d’en face) et qui est torturé par une insomnie chronique… Ça a été vu plein de fois en roman, plus rarement en BD. Mais je trouve que ça passe moins bien avec ce médium. L’intériorité psychologique est amenée par de longues séquences d’introspection montrant des vignettes souvent silencieuses et plutôt déprimantes. C’est bien de ressentir l’émotion du héros, mais quand on en vient à plutôt vouloir redéposer l’album pour s’aérer l’esprit, les auteurs n’atteignent pas vraiment leur but!
- la palette de couleurs, beaucoup trop froide et terne à mon goût. Tout est dans des couleurs terre, ocre, olive et brun! Pour le «très coloré» monde de Havona, Irène Häfliger, la coloriste, a opté pour… du rose fané et du turquoise fade! Évidemment, tant qu’à faire dans le Kafka, autant vouloir se pendre pour la peine!!
- les visages et les attitudes plutôt figées des personnages. On croirait parfois que ceux-ci gardent la pose pour le dessinateur, un peu comme dans les dessins de Tito. Et comme chez Patrice Pellerin, dans l’Épervier, les visages sont beaucoup moins précis que le reste. D’ailleurs, ça en devient un peu gênant quand on constate que le dessinateur ne maîtrise pas suffisamment les yeux de son personnage principal pour lui donner toujours le même visage! Il me semble que c’est la base! Je donne cependant 10/10 à l’affriolante toison qui orne son poitrail : très viril, le beau Jehn!
- l’espèce de col montant dont Jehn est affublé lorsqu’il campe la peau de Zehn. Je déteste ce détail vestimentaire qui lui déforme toute la silhouette. On dirait alors qu’il a un cou de girafe qui prend des angles bizarres et peu naturels.
- quelques petites erreurs dans les dessins. Par exemple, un genre de divan art déco qui a cinq sections dans le plan d’ensemble (p.11, vignette #8), puis quatre dans le plan moyen qui suit (p.11 vignette #9) ou encore une étrange cascade d’eau aux perspectives à peu près impossibles (p.39, première vignette)…
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