#01- LE TIBIA SACRÉ
Scénariste(s) : Michel Regnier dit GREG
Dessinateur(s) : Claude MARIN
Éditions : Dargaud
Collection : X
Série : Frère Boudin
Année : 1977 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre
Genre(s) : Fantastique médiéval, Humour, Historique
Appréciation : 5 / 6
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Pèlerinage imposé pour moine débonnaire
Écrit le mercredi 30 décembre 2009 par PG Luneau
Je me suis fait un grand plaisir en me replongeant dans cette antiquité qu’est le tome #1 des pérégrinations de Frère Boudin. Quelle délicieuse série ça aurait pu être si Greg, son scénariste (oui, oui, le papa d’Achille Talon!) n’était pas parti tenter sa chance aux États-Unis.
En effet, en imaginant une amusante communauté de moines drôles et solidaires, il avait misé juste et aurait pu faire concurrence à Astérix sans trop de difficulté. C’était d’ailleurs le but, si je ne m’abuse! Malheureusement, le Achille Talon magazine, où les aventures de notre moinillon du jour étaient racontées, est presque mort-né, après seulement six numéros!!! Cette débâcle a sans doute contribué à donner à Greg ses envies de quitter le Vieux Continent et de s’essayer chez nos voisins du sud… Pour la petite histoire, sa tentative américaine n’a pas levé très fort, elle non plus!
Et pourtant, avec des scénarii légers et gentillets (pour plaire aux plus jeunes), des allusions et des jeux de mots plus subtiles (pour amuser les plus âgés) et, surtout, grâce aux superbes illustrations du génialissime Claude Marin, cette série avait tout pour conquérir un très large auditoire, dont j’aurais fait parti !
D’aucuns diront que les traits ballons et enfantins de Marin ont un peu mal traversé le temps, et qu’ils peuvent paraître un tantinet dépassés. Je leur répondrai que, pour moi, ces traits sont si distinctifs et me rappellent tant de souvenirs de lointaines lectures de jeunesse que la nostalgie qu’ils génèrent surpasse tout âgisme! Et puis, des dessins rebondis et sympathiques, est-ce que ça peut réellement se démoder?
Pour ce qui est des textes, ils sont, sans jeu de mots, à la hauteur de leur illustre auteur. Ils nous racontent le grand voyage que doit entreprendre un membre du monastère de Saint-Mesquin-le-Retors. En effet, alors que le bâtiment, un brin vétuste, était sur le point de s’écrouler à cause d’une tempête, le Frère Supérieur a imploré la protection de leur saint patron en échange du retour de son saint tibia dans son tombeau, en Terre Sainte. Suite au miracle escompté, les moines n’ont d’autre choix que d’honorer leur parole et d’envoyer un des leurs pour rapporter la relique à son caveau d’origine… et c’est Frère Boudin qui s’y colle! Le pèlerinage débute dans ce tome (et se poursuit dans le second!), et il est ponctué de rencontres des plus diverses, rencontres aux cours desquelles Saint-Mesquin aura à intervenir fréquemment, par l’intermédiaire de son tibia, pour assurer la sécurité de son protégé. Sous ce scénario simplet se cachent des répliques suaves, toujours élégamment tournées. On y reconnaît bien la verve littéraire de Greg, qui a trouvé son apogée dans sa série Achille Talon.
Une superbe antiquité, plus très facile à trouver, que je recommande chaudement à tous! Dire que le tome #3, annoncé à la fin du tome #2, n’a jamais vu le jour!! Snif!
Plus grandes forces de cette BD :
- le superbe graphisme, tout en rondeur, de Marin. Les courbes parfaitement maîtrisées de tous ses personnages sont conviviales et rendent parfaitement justice au ton bon enfant de la série. Tous ses personnages nous sont d’emblée sympathiques. Quel dommage que Marin ait préféré aller se terrer dans l’anonymat des studios Disney, où chacun doit formater son style selon les codes préétablis. J’aurais tellement préféré qu’il poursuive sa carrière en gardant son superbe style rondouillard, reconnaissable entre tous.
- la mise en page très aérée, avec seulement trois larges bandes par page, au lieu de quatre. Chaque vignette est donc plus haute, ce qui donne des illustrations plus grandes et laisse toute la place aux charmants personnages.
- la communauté du monastère de Saint-Mesquin-le-Retors. Greg et Marin ont créé là une quinzaine de personnages bien typés, ayant chacun leur champ d’expertise. Ils auraient pu donner vie à une myriade d’aventures toutes plus diversifiées les unes que les autres. C’est vraiment très dommage que les deux hommes aient abandonné si vite.
- le charme et la bonhomie du héros. Quand il ne se fait pas attaquer ou qu’il ne se met pas les pieds dans les plats, ce petit moine contemplatif, fervent adepte de la sieste et de la bonne chaire, s’intéresse souvent d’un peu trop près aux malheurs des gens qu’il croise sur sa longue route. Ça le place souvent dans des situations hasardeuses que son caractère des plus pacifiques arrive mal à gérer. Heureusement qu’un tibia, qui a bien hâte de retrouver son squelette, veille activement sur sa personne!
Ce qui m’a le plus agacé :
- savoir qu’il n’existe que deux tomes de cette exquise petite série. Je trouve ça atroce que les créateurs n’aient pas pris le temps d’exploiter l’infini potentiel qui s’offrait à eux, avec tous ces moinillons aux caractères originaux et complémentaires, très bien définis. À moi, cet univers me semble être un terreau à idées des plus fertiles.
- la rapidité avec laquelle cet album se lit! C’est si charmant qu’on voudrait que ça dure encore et encore.
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