DRAME
Scénariste(s) : Raina TELGEMEIER
Dessinateur(s) : Raina TELGEMEIER
Éditions : Scholastic
Collection : X
Série : Drame
Année : 2012 Nb. pages : 238
Style(s) narratif(s) : Roman graphique (Comics)
Genre(s) : Quotidien, Récit psychologique
Appréciation : 5.5 / 6
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Mélodrames en coulisses!!
Écrit le jeudi 26 mars 2015 par PG Luneau
Dans mon dernier billet, j'ai critiqué Playlist, une série française qui illustrait de belle façon tous les bienfaits que la participation à un groupe de musique pouvait apporter au développement social d'un ado et à la structuration de son identité. Dans Drame, son deuxième roman graphique, l'Américaine Raina Telgemeier exploite pas mal le même créneau... mais par le biais du théâtre : ici, c'est la production d'une petite comédie musicale par un groupe de jeunes du secondaire qui sert de prétexte à cette savoureuse tranche de vie!!
Avec le même dessin gentiment semi-caricatural qui a fait le succès de Souris!, sa première œuvre, et le même humour ultra-sympathique et contagieux qui semble être le sien, madame Telgemeier nous raconte les hauts et les bas que traverse une équipe de production. Entre Léo à la régie, Élise aux costumes et Matt aux éclairages, on suit principalement les déboires de Callie, une jeune adolescente dégourdie et débrouillarde, qui reçoit le mandat de concevoir décors et effets spéciaux!! Tout au long de l'année scolaire, on la verra vivre ses premiers émois amoureux et développer des sentiments nouveaux envers une paire de jumeaux très talentueux mais fort différents l'un de l'autre. Au détour des couloirs, on assistera aussi aux prises de bec et aux embrassades de quelques-uns des comédiens et comédiennes, à peu près tous gérés par Véro, la diva de service!!?
Tout comme dans Playlist, le groupe de jeunes protagonistes est très attachant et on prend plaisir à découvrir leur personnalité propre. Tout comme dans Playlist, on s'intéresse aussi au projet en tant que tel, on s'inquiète des pépins qui se dressent tout au cours de la production et on souhaite sincèrement que les représentations se déroulent sans anicroche! ;^)
Ce qui est indéniablement spécifique à Drame, par contre, c'est l'américanité du contexte. On a beau croire que les jeunes qui montent des shows vivent un peu la même chose, peu importe où ils se trouvent sur la planète, il n'en demeure pas moins que les lieux et les expressions colorent ces situations d'une identité culturelle propre à chacun. J'ai l'impression que ça teinte même les réactions des protagonistes!! J'ai donc été étonnamment surpris de constater à quel point je me suis beaucoup plus retrouvé, en tant que Québécois, dans Drame que dans Playlist!!?? J'ai pourtant fait autant de théâtre que de musique, à l'âge de ces personnages!!? Je ne peux attribuer ma préférence qu'au contexte culturel. D'ailleurs, je suis convaincu que les jeunes ados du Québec se reconnaîtront beaucoup plus dans le livre de la très américaine madame Telgemeier que dans la très franco-française série Playlist, simplement à cause du vocabulaire (la traduction de Drame, réalisée par France Gladu, est bien de chez-nous) et des divers éléments de décors (systèmes routiers, agencements des pièces dans les maisons, etc...)! C'est tout de même fascinant!!!
Alors, si vous vous demandez ce qui se passe dans les coulisses d'un spectacle musical et rêvez depuis toujours de vous y pointer le nez, Drame, malgré son titre un peu excessif, est un album tout désigné pour vous! Un récit touchant où humour et émotions se répondent régulièrement, un roman graphique qui devrait plaire à pas mal tout le monde, dès 12 ans! ;^)
À lire aussi : Allie critique Drame, tandis que Yaneck, critique l'album En scène!... qui est en fait la version européenne de ce même livre, mais éditée chez Akileos, dans une toute autre traduction!! ;^)
Plus grandes forces de cette BD6)
- les dessins, toujours aussi adorables que dans Souris!, le premier opus de madame Telgemeier! Ils sont relativement simples, sans tomber dans le simpliste : une belle ligne claire, épurée, sans fioriture, qui donne un résultat très net, agréable à l'œil. J'adore ce style!
- les couleurs. Super vives, super pimpantes, elles sont d'une efficacité à toute épreuve. Il s'agit là de mon type de coloration préféré, je crois. ;^)
- une amusante petite mise en abîme! Puisque cette histoire raconte la préparation d'un spectacle théâtral, l'auteure a pensé l'introduire de manière conceptuelle, comme si le récit lui-même était une pièce! Donc, plutôt que des chapitres, on parle ici d'actes!! Puis, on débute l'album avec l'extinction progressive des lumières d'une grande salle, le début de la musique, l'allumage des projecteurs, puis l'entrée des comédiens qui s'avancent devant un décor de carton... pour se retrouver, la page suivante, dans la rue, là où l'histoire débute réellement!! De même, en plein centre du livre, on a droit à un entracte (p.139 à 142) pour s'étirer un peu, grignoter une petite collation... et permettre aux techniciens de changer les décors!! Plaisante idée!!
- la thématique!! Ayant toujours été un fan de théâtre, depuis le secondaire (alors que j'avais théâtre / musique / impro là où presque tout le monde avait chimie / physique / économie!! ;^), j'ai retrouvé l'effervescence de l'arrière-scène avec beaucoup de tendresse. J'étais donc en terrain de connaissance, et je comprenais viscéralement la fébrilité qu'une équipe technique ressent avant un spectacle, le petit stress que déclenche l'approche d'une scène plus difficile ou la grande satisfaction du devoir accompli, quand tout s'est déroulé à merveille! Je suis content qu'un album présente le merveilleux univers des coulisses et de l'arrière-scène à nos jeunes. Qui sait? Peut-être cela fera-t-il naître des vocations!? ;^)
- plusieurs très beaux personnages. Callie, l'héroïne, est évidemment très sympathique. Sa belle vitalité et son autodérision rappellent beaucoup celles de Raina, le personnage central de Souris!... qui s'avère aussi être l'auteure, dans son jeune temps, puisqu'il s'agit d'une autofiction!! ;^) Mais mon coup de cœur va pour les jumeaux Justin et Julien. Je me suis tellement reconnu dans leur façon de passer la journée à chanter des chansons de comédies musicales!! Mais eux, les chanceux, ils peuvent même faire les duos!! ;^) J'ai trouvé l'auteure très habile d'avoir pensé à intégrer des passages sur leurs déchirements entre leur amour fraternel, un sentiment évidemment présent depuis leur naissance, qui fait en sorte qu'ils désirent tout partager avec l'autre, à qui ils souhaitent tout le meilleur possible, vs leur besoin (naissant!) d'individualité, de se démarquer, d'exploiter leurs propres forces et d'avoir leur propre jardin secret. Je ne sais pas si madame Telgemeier a connu intimement des jumeaux, mais je trouve qu'elle a joliment ciblé cette problématique. De voir ces deux frères coincés entre ces sentiments contradictoires et se sentir coupables m'a éveillé à cette situation particulière, et j'ai trouvé ça très intéressant! ;^) Mention spéciale, aussi, à Léo, le régisseur : il a un tout petit rôle, on le voit assez peu... mais il serait devenu mon ami, si j'avais été dans cette troupe, c'est sûr : il semble trop sympathique!! ;^)
- tout l'épisode où Callie se remémore son premier show (les Misérables), ce qui a déclenché sa passion pour les comédies musicales!! Ça m'a tellement rappelé ma propre expérience!!? C'est comme si Raina Telgemeier avait calqué ma jeune adolescence, après que j'ai eu la chance de voir Jésus Christ Superstar, quand j'étais en 5e année!! Tout comme l'héroïne, j'avais trouvé ce que je voulais faire dans la vie (même si celle-ci en a décidé autrement!! ;^). C'est une des scènes de BD où je me suis le plus reconnu à vie!! ;^)
- l'image très positive de l'homosexualité chez un adolescent. Au cours du récit, l'un des membres de l'équipe (je vous tairai son identité! ;^) s'ouvrira à Callie et lui dévoilera qu'il préfère les garçons. Cet épisode est présenté avec beaucoup de naturel, et l'auteure continuera de jeter un regard très juste et doux sur les hésitations et les doutes de ce personnage. Il ne doit tellement pas être facile de s'affirmer gay, à 13 ou 14 ans!!? Ce personnage devra apprendre à établir ses limites, à développer sa confiance, à établir des liens... Serait-il le seul gay de cet établissement?
- le punch de la p.184!!! J'ai tellement ri en voyant la solution délirante proposée par Julien, suite au «petit» problème technique qui survient lors de la dernière représentation!!? On a là la parfaite illustration que «the show must go on», quoi qu'il advienne!!? À lire, sans faute!!
- toute la dernière partie, alors que le titre prend tout son sens... D'abord, soyez prévenus : le Drame du titre ne surviendra pas vraiment avant les 60 dernières pages, et on parle plus ici de petits drames du quotidien que d'un drame tragique à faire pleurer! En fait, on parle de drames d'ado (qui, rappelez-vous, peut tout aussi bien se limiter à un bouton d'acné intempestif!! ;^) Tout ça pour dire que l'action et les sentiments se bousculent surtout à partir de l'acte VI, lors des différentes représentations (en coulisses autant que sur scène) et lors du classique bal des finissants : c'est là que les histoires de cœur se noueront, se dénoueront, se rallieront, se déchireront... dans une finale digne des comédies de Shakespeare, avec plein d'imbroglios et de mélis-mélos amoureux!! Une finale shakespearienne pour un roman graphique portant sur le théâtre, c'est assez cohérent, vous ne trouvez pas??
Ce qui m'a le plus agacé
- l’odeur âcre de l’encre… :^P Je ne sais pas trop quelle est la combinaison encre-papier, qui génère cette espèce d’odeur difficilement identifiable, mais ce que je sais, c’est qu’elle n’est pas agréable! Heureusement, à la longue, on s’y fait, car, malgré sa puanteur, on la retrouvera probablement encore longtemps puisqu’elle donne un excellent résultat visuel!! ;^S
- le dépouillement de certains décors. En fait, madame Telgemeier est assez inconstante sur ce point. Certains de ses arrière-plans sont très bien réalisés, avec beaucoup de détails et de splendides perspectives (la p.218, par exemple). Pourtant, sur certaines autres planches, les décors sont très limités, ce qui laisse une impression de vide… (Après tout, il fallait bien que je déniche un petit quelque chose de moins positif sur l’impeccable travail de madame Telgemeier, question de lui donner un petit défi!! ;^) Attention aux automobiles, aussi : leurs angles gagneraient à être un peu arrondis : on se croirait en présence de voitures des années ’70!! ;^)
- un terme étrangement traduit. À la p.49, Justin demande au libraire : «Vous pouvez me dire où se trouvent vos romans de bandes dessinées japonaises?». Des romans de BD japonaises??! Bon : les BD japonaises, pour désigner les mangas, ça me va… Par contre, des romans de BD, à mon sens, ça ne veut rien dire… À la limite, on pourrait penser que le garçon veut désigner par cette expression les romans graphiques?! Mais des romans de BD japonaises, tout d’une traite, je trouve ça ridicule!!? J’ai dû le relire deux ou trois fois afin de me convaincre que j’avais bien lu!! Dans le contexte, madame Gladu, la traductrice, aurait dû se contenter d’un simple «vos BD japonaises»!
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