#01- BURQUETTE
Scénariste(s) : Francis DESHARNAIS
Dessinateur(s) : Francis DESHARNAIS
Éditions : les 400 coups
Collection : Strips
Série : Burquette
Année : 2008 Nb. pages : 84
Style(s) narratif(s) : Strips
Genre(s) : Humour social, Humour songé
Appréciation : 4.5 / 6
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Tout ce qu'un petit voile peut changer dans une vie!
Écrit le samedi 08 janvier 2011 par PG Luneau
Qui ne se souvient pas des houleux débats soulevés par le port du kirpan dans les écoles québécoises, ou de celui du niqab ou de la burqa dans les bureaux de votation? En ces années où les diverses sociétés occidentales ont à se prononcer sur toutes ces questions délicates, générées par le choc des cultures, le bédéiste québécois Francis Desharnais a frappé un grand coup, en 2008, quand il a publié, aux 400 coups, son album intitulé Burquette. Ce n’est pas pour rien que ce petit recueil a récolté tant de prix à sa sortie, dont le prix Réal-Fillion, pour la meilleure première œuvre d’un bédéiste québécois, et le Grand prix de la Ville de Québec.
En 183 strips en noir et blanc, Desharnais nous présente les improbables déboires d’Alberte, une jeune adolescente tout ce qu’il y a de plus occidentale, coincée avec un paternel pas mal trop branché philo : il voulait lui faire lire Voltaire alors qu’elle avait encore la couche aux fesses! La lubie actuelle de ce père pas assez ingrat? Obliger sa fille à porter la burqa pendant un an!! C’est qu’il veut tant la libérer de sa frivole superficialité et ainsi briser l’emprise que le culte de l’image a sur elle! Avouons-le, il a trouvé le moyen tout indiqué, même si le port de ce voile intégral, qui ne laisse qu’un petit grillage pour la vue et l’apport d’oxygène, peut sembler radical!
Que de belles réflexions on peut avoir en lisant cet amusant bouquin! C’est si fin, si songé, si décalé qu’on en oublie presque la gravité du propos! Monsieur Desharnais en profite pour nous illustrer plein d’évidences, mais aussi d’intéressants paradoxes et de pertinentes remarques qui pourront ébranler nos âmes bien proprettes, si promptes à juger! En fait, le créateur est fort : parfois, il semble user d’humour bébête… mais quand on y regarde à deux fois, on constate qu’il fait du même coup dans l’ironie ou la critique sociale. Par exemple, la jeune Alberte espère que sa burqa provienne de chez Gap! Et quand un de ses amis réalisera qu’elle a été fabriquée en Chine, ce sera l’esclandre! Le passage de cette «fille voilée» à l’émission de téléréalité l’École des vedettes sera remarqué, malgré le voile (ou à cause de celui-ci?!). Et Alberte trouvera finalement l’amour dans les bras du beau Kâder… mais qu’en dira le père?
Pensez à tous les sujets qui trouvent échos dans ces petits gags dessinés en trois cases : la religion, la culture, la morale, les valeurs, la liberté, l’éducation, l’image, la mode, les médias… Desharnais s’amuse à patauger au cœur du débat, avec un humour subtil, qui nous atteint juste là où il faut… mais avec toujours un grand respect, en nous présentant assez équitablement les nombreuses facettes du problème... J’oserais presque dire que son parti pris ne m’est pas apparu si évident à identifier!
Bref, un album qui allie intelligence et réel plaisir : une rareté, quoi! En ces années frappées du sceau des accommodements raisonnables, Burquette est l’album tout indiqué pour réfléchir tout en prenant le tout avec un grain de sel!
Plus grandes forces de cette BD :
- le bel usage de la technique d’estompage. En effet, monsieur Desharnais agrémente ses strips de zones grisâtres plus ou moins définies, apparemment frottées avec les doigts. Ces ombrages rehaussent avantageusement le noir et blanc et la finesse de ses lignes, en leur donnant un peu de relief.
- les quelques crayonnés qui ornent les bas de certaines pages. Ils illustrent certaines transitions entre deux séries de strips. Curieusement, je trouve la douceur de leurs lignes pâlottes et hachurées encore plus intéressante que le dessin plus achevé des strips eux-mêmes!
- tout l’épisode où Alberte fait une fugue pour aller rejoindre sa mère. Ce personnage de féministe qui danse nue pour sensibiliser les autres danseuses du club à «l’importance du respect de leur personne» est très drôle : elle appelle ça de la «danse sociale»! Desharnais n’y va pas de main morte pour faire réagir nos morales endormies!
- l’efficacité de plusieurs très bons gags, dont certains sont hilarants et bien songés. J’ai particulièrement apprécié celui du trampoline, à la page 47!
- l’épisode qui se déroule sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle. Les bouilles caricaturales de Dany et de Guy A. sont bien cocasses, surtout le menton proverbial de Guy!
- la fin ouverte. Elle nous laisse supposer qu’Alberte ira vivre officiellement chez sa mère, cette charmante danseuse topless aux visions sociales bien marquées. De fait, le tome #2 est déjà paru. J’ai bien hâte de voir la tournure des événements!
Ce qui m’a le plus agacé :
- Alberte, la pauvre ado au père barjot, semble avoir huit ou neuf ans!! J’ai été très étonné lorsqu’on finit par apprendre qu’elle va dans une école secondaire! Avec la taille et la petite bouille qu’elle a, on ne lui donnerait jamais quatorze ou quinze ans!
- tous les personnages ont des têtes d’extraterrestres! Je sais bien que le but de l’artiste n’est pas de faire dans le réalisme, mais tout de même! Et pour les personnages adolescents, c’est encore pire : avec leur look extrême, abondamment orné de tatouages et d’innombrables piercings, ils ont l’air de véritables petits monstres! Y aurait-il un message sous-jacent?
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