#02- LE DOSSIER RABOUKINE
Scénariste(s) : Jean-Blaise Mitildjian dit DJIAN, Olivier LEGRAND
Dessinateur(s) : David ETIEN
Éditions : Vents d'Ouest
Collection : X
Série : 4 de Baker Street
Année : 2010 Nb. pages : 56
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Aventure policière, Historique
Appréciation : 5 / 6
|
Jack l'Éventreur aurait-il été un Russkof ?!?
Écrit le samedi 17 mars 2012 par PG Luneau
1890, Londres, quartier d’East End. Alors que des activistes russes ayant fui le régime tsariste s’y regroupent et tentent de redonner un peu de punch à leurs idéaux, la vieille Sally Morley, qu’on avait croisée dans le premier tome des 4 de Baker street, y est retrouvée morte, éventrée, dans les ruelles de Whitechapel. Tous s’interrogent : le terrible Jack serait-il de retour?!! Comme toujours dans ces cas-là, la grogne populaire s’intensifie et les propos racistes refont surface : et si c’était un de ces russkofs, le coupable??!
Black Tom, Billy et Charlie, nos trois gavroches favoris, qui se plaisent à se considérer comme les «assistants personnels» du grand Sherlock Holmes, sont rapidement impliqués dans l’affaire. D’abord, parce que Billy a bien connu la vieille Sally, qui l’avait recueilli et protégé lors du décès de ses parents : il se fait donc un devoir de résoudre cette affaire avant Scotland Yard… au grand dam de Black Tom, qui n’y croit pas une seconde! Puis, parce que la route des trois gamins croisera très rapidement celle de la belle Katia Ivanovna, une militante russe venue chercher le secours du grand Holmes afin d’innocenter son fiancé, Victor Raboukine, accusé à tort du meurtre de la vieille prostituée… Seulement voilà : Holmes et Watson sont à l’étranger! Tout repose donc sur la perspicacité, la vivacité et la grande débrouillardise de nos trois francs-tireurs… et de leur amusant petit chat et quatrième luron, répondant lui aussi au nom de Watson!
Encore une fois, le trio Djian-Legrand-Etien nous a concocté une fort belle enquête au cours de laquelle nous apprenons à découvrir un peu plus le Londres des bas quartiers et ses nombreux habitants. Si le premier tome donnait sa belle part à Black Tom de Kilburn, alors qu’il recherchait une charmante jeune femme pour qui il avait le béguin, le focus se tourne cette fois-ci sur le blondinet Billy Fletcher. En venant au secours de la dame Ivanovna, ses comparses et lui ne savaient pas qu’ils allaient devenir, eux aussi, les cibles de l’Okhrana, l’inquiétante police secrète du tsar! Entre les harangues des réactionnaires russes, les tollés racistes des commerçants de l’East End, l’omniprésence des inquiétants agents du tsar, qui n’entendent pas à rire, et un éventreur de jeunes femmes en liberté, les 4 de Baker street et leur cliente devront manœuvrer finement… d’autant plus que l’ennemi a des yeux partout!!
Un récit enlevant, visuellement splendide, mais à réserver aux plus de 14 ans compte-tenu de la faune bigarrée qui compose la population de ce quartier londonien, l’un des plus mal famés et miséreux de l’époque!
À lire aussi : l’avis de Yaneck.
Plus grandes forces de cette BD :
- les couleurs. Certains trouveront peut-être qu’elles sont un tantinet trop claires, trop joyeuses… Moi, c’est justement ce que j’aime : cette vision colorée de l’univers un peu morbide des bas-fonds londoniens me permet de mieux les apprécier, même si je me doute bien qu’ils devaient être plus sales, plus sombres et infiniment plus déprimants. Le point culminant de la coloration de cet album est la dernière vignette de la p.50, une des plus belles cases qu’il m’ait été donné de voir! Les bleus, les turquoises et les effets de lumière qui traversent l’eau, jumelés aux bulles et aux poissons du premier plan, forment un ensemble on ne peut plus saisissant! Bravo, monsieur Etien.
- le dessin, tout simplement sublime. Encore plus efficaces que dans le premier tome, les traits d’Etien sont d’une précision et d’une netteté remarquable,. Et ce, tant sur le plan des attitudes des personnages (qui me rappellent tellement ceux des bons vieux films de Disney, notamment les Aristochats!) que sur celui des accessoires et des décors! Admirez-moi le visage du dégénéré, au bas de la p.45 : quelle efficacité, tout de même! C’est impressionnant que de simples coups de crayon puissent rendre un regard qui fasse à ce point froid dans le dos!
- la représentation du Londres de l’époque, et de l’East-End en particulier. Je trouve David Etien d’une générosité extrême pour ce qui est des décors. Ses arrière-plans sont toujours très étoffés et abondamment garnis, tant par un grand nombre d’architectures que par des carrioles et des figurants en quantité industrielle. J’ai adoré sentir tous ces passants, ces petits commerçants, ces putes, ces clochards, ces hommes-sandwiches, ces conducteurs d’omnibus et de calèches en tous genres, ces bobbies… tous affairés! On sent bien qu’ils n’ont pas de temps à perdre : la vie était très rude, à l’époque, surtout aux alentours de ces quartiers qui abritaient les Londoniens les plus pauvres! Un effort tout particulier semble de plus avoir été mis sur les très nombreuses publicités qui s’affichaient partout : j’ai bien aimé y découvrir, au fil des vignettes, des pubs de Hershey ou de Bovril!! Franchement, monsieur Etien, vous faites un travail plus qu’exceptionnel!!
- un récit juste assez complexe pour ma petite tête. Je dois avouer que j’ai eu un peu peur quand les réactionnaires russes ont commencé leurs discours enflammés contre le tsar et ses exactions! Moi qui ne connais à peu près rien de cette époque et de ces confrontations, j’avais peur que messieurs Djian et Legrand me perdent dans des méandres politiques remplies de Bolchéviques, de Marxistes, de Communistes, de Soviétiques, de Tsaristes et de Léninistes, toutes des factions et des idéologies que je ne distingue pas les unes des autres et qu’il m’intéresse peu d’apprendre à distinguer! Heureusement, le récit ne complique pas les choses à ce point, et j’ai pu, à ma grande satisfaction, tout comprendre des forces en présence, de leurs intentions et de leurs motivations! Dois-je préciser que je suis très fier de moi… et des scénaristes! ;-)
- le regard toujours partiel que l’on porte sur Holmes. Tant au niveau du récit (Holmes est généralement absent, question de laisser les jeunes héros mener l’enquête) qu’au niveau graphique (on n’aperçoit Holmes que très partiellement, de très loin ou de trois quarts arrière, de manière à ce qu’on ne voie jamais franchement son visage), la légendaire figure mythique de Conan Doyle nous reste inaccessible!... Quelle délicate manière de démontrer un respect fort légitime à un personnage déjà trop représenté!!
- une première apparition de Mycroft Holmes, en toute fin d’album! Reste à savoir si ce brillant frère de Sherlock en viendra à jouer un rôle plus consistant dans les albums à venir!?
- le charmant personnage de Charlie, cette gamine qui apprivoise très difficilement sa féminité! Sa relation avec dame Ivanovna est très subtilement teintée par les discours féministes de celle-ci, discours qui réconfortent grandement la petite Charlotte qui se terre sous les haillons de Charlie! Peut-on espérer entrevoir un jour la jeune fille en robe?? ;-)
Ce qui m’a le plus agacé :
- une erreur de perspective et/ou de proportions… directement sur la couverture!! Remarquez le cheval blanc qu’on aperçoit partiellement entre les jambes de Billy Fletcher, en plein centre… Comment peut-il être si petit alors qu’il suit de si près l’omnibus de droite?? C’est physiquement impossible : soit il devrait être plus loin, ou il devrait être plus gros! Chose certaine, tel quel, il représente une véritable aberration! ;-)
- une inversion de vignettes. J’ai l’impression qu’à la p.36, les vignettes #4 et 5 ont été interchangées à un certain moment dans le processus créatif, mais sans que le texte n’ait été adapté! En effet, relisez la planche en les inversant et vous remarquerez que la réplique qui suit, c'est-à-dire la réponse au commentaire du libraire anglais, coule plus naturellement.
- la confrontation finale entre les enfants et leurs ennemis de l’Okhrana. Malgré les splendides couleurs, j’y trouve plusieurs petites insatisfactions. D’abord, il est très improbable que Fedor et Igor, les deux sbires de l’attaché politique Alexandrov, aient eu le temps d’aller se planquer de chaque côté de la sortie arrière de cette fumerie d’opium en si peu de temps (bas de la p.47). Puis, je ne comprends pas trop ce que les ombres du bas de la p.48 cherchent à nous montrer. Ensuite, j’ai de la difficulté à croire qu’une simple pierre, lancée par Charlie, puisse faire basculer Fedor à l’eau, comme c’est le cas dans la 7e case de la p.49… d’autant plus que le malfrat venait tout juste de dénigrer l’arme, quatre cases plus haut!! Finalement, la chute à l’eau de Tom et du maniaque n’est pas convaincante pour cinq sous, aux p.50 et 51 : d’abord, je vois mal comment un jeune homme tenu comme Tom l’est peut parvenir à donner un coup de pied d’une telle vigueur à celui qui le tient!? Puis, je ne comprends pas l’intensité de la 5e vignette de la p.50 : que cherche-t-elle à nous montrer? La douleur du personnage qui vient de recevoir un coup de pied… sous l’aisselle?? C’est un peu ridicule! Finalement, le combat sous-marin du haut de la p.51 n’est ni très clair ni très long, il perd donc en efficacité et en crédibilité… et c’est bien dommage! Bref, toute cette scène aurait gagné à être un peu mieux exposée.
|