#01- WASHITA
Scénariste(s) : Séverine GAUTHIER
Dessinateur(s) : Thomas LABOUROT
Éditions : Dargaud
Collection : X
Série : Washita
Année : 2008 Nb. pages : 56
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1/5)
Genre(s) : Western / Amérindiens / Nlle-France, Fantastique mythique
Appréciation : 5 / 6
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Une véritable oeuvre d'art!
Écrit le dimanche 03 janvier 2010 par PG Luneau
Wow! C’est le seul mot qui me vient suite à la lecture de Washita, cet album qui entame le récit d’une quête amérindienne teintée de fantastique. Puisque nous sommes dans l’Amérique précolombienne, ça peut beaucoup nous rappeler le Luuna de Crisse et Keramidas, qui avait sensiblement le même propos. Mais là où le dessin de Keramidas était tout à fait conforme à ce qu’on s’attend d’une production des éditions Soleil, toujours un peu semblable, celui de Labourot, pour Washita, dénote un style unique, très particulier, qui place cette œuvre à part, loin des normes actuelles, tout en restant lisible et abordable.
La popularité et les prouesses de chasse d’Equani suscitent la jalousie d’Asgina, son rival, qui aimerait bien posséder ses talents… et son charme auprès de la gent féminine! Mais le gibier se fait rare, et les derniers daims tués semblent atteints d’une mystérieuse maladie. Pour découvrir l’origine de ce mal, Equani devra partir vers l’Ouest, donnant ainsi à Asgina et à Sgili, la sorcière de la tribu, l’occasion d’assouvir leurs ambitions.
Avec cette série prévue en cinq tomes, Thomas Labourot, le dessinateur, et Christian Lerolle, le coloriste (qui a fait un travail exceptionnel) déploient tous leurs talents et atteignent des sommets graphiques rarement égalés en BD! À tel point que je ne m’étais même pas aperçu qu’il s’agissait des mêmes créateurs qui sont à la barre de la sympathique mais plus traditionnelle série de gags les Geeks, que j’aime bien lire dans le Lanfeust mag! Dans cet opus-ci, aux accents mythiques, ces deux artistes se surpassent, le premier avec ses traits si particuliers et le second avec ses sublimes couleurs aux teintes de terre et de feu. Pour ce qui est du scénario, on devra attendre confirmation dans les tomes à venir avant de crier au génie, puisque ce tome-ci ne fait qu’établir les bases de la quête. Fort probablement que les suivants sauront démontrer que Séverine Gauthier, qui terminait une thèse en études amérindiennes quand elle a eu l’idée de pondre ce scénario, a su, elle aussi, se dépasser et produire un récit plus profond que ceux des autres petites séries jeunesse (notamment Team Galaxy et Noodles!) qu’elle a scénarisées avec ses deux complices.
C’est donc un album auquel j’allais donner 4,5 / 6 mais que je hausse à 5 grâce à la force picturale de ses dessins!
Plus grandes forces de cette BD :
- le style graphique tout à fait particulier, très angulé. Tous les personnages sont sculpturaux, avec des visages plats, des abdomens très larges et des mollets proéminents. Tout semble en angles, avec très peu de courbes et cet effet est rehaussé par la présence de tatouages et de scarifications géométriques sur les corps de tous les guerriers.
- les plus belles couleurs qu’il m’ait été amené de voir en BD. Lerolle a vraiment su trouver de superbes coloris terreux ou turquoise qu’il exploite à fond dans chaque scène, chaque séquence ayant sa palette dominante, ce qui nous permet de facilement savoir si nous avons fait un bond dans le temps ou dans l’espace. Les orangés de sa forêt automnale, dans la scène de la chasse, sont d’une flamboyance à couper le souffle! Christian Lerolle, un nom à retenir!
- les très nombreuses séquences sans texte, dans lesquelles sont insérés plusieurs gros plans. Ces planches laissent place à la toute la magnificence de la Nature, à toute la solennité des rites amérindiens ou à l’intensité de l’émotion du moment. Elles sont excellemment bien rendues par les traits nets de Labourot et la colorisation de Lerolle. On les retrouve lors de la chasse et du retour au village, mais aussi lors du grand conseil, de l’attaque du daim noir, de la baignade d’Agaliha ou de la rencontre avec Awi-usdi… Bref, le récit n’hésite pas à laisser parler les images : j’ai dénombré pas moins de seize pages sans texte (sur cinquante-six!!), sans compter les neuf ou dix sur lesquelles il n’y avait qu’un ou deux petits phylactères. Cette large place accordée au silence est, pour moi, une preuve de la confiance des créateurs à l’égard de leur récit.
- un scénario qui laisse une large place à l’esprit contemplatif amérindien. Cette approche narrative, par les voies de la spiritualité autochtone et du grand respect que les Amérindiens vouent à la Nature et au monde des Esprits, transcende tout le récit jusqu’à un summum : l’apparition d’Awi-usdi, le Dieu-Daim.
- les découpages inventifs et variés qui dynamisent ce récit somme toute assez lent. J’aime beaucoup l’audace dans le montage des planches, alors que monsieur Labourot ose étaler certaines vignettes de haut de page sur deux planches! Bravo aussi d’avoir pris le risque de dessiner un intense regard en gros plan sur une demi-planche. C’est assez inhabituel… et très efficace!
- les changements de lieu, amenés non pas par un plan d’ensemble, mais par le gros plan d’un élément distinctif du nouvel environnement. Associée aux changements de palettes de couleurs, cette technique nous permet de passer d’un moment ou d’un lieu à un autre de manière très naturelle, sans nuire à la fluidité de la lecture.
- l’annonce que le cycle sera bouclé en cinq tomes. On sait à quoi s’attendre, et c’est rassurant, surtout quand on pense au nombre incalculable de séries dont on ne sait pas si elles compteront sept, douze ou vingt tomes quand on commence à les lire!
Ce qui m’a le plus agacé :
- le prologue qu’on n’arrive pas à rattacher au récit… pour le moment! Ça nous plonge dans un doute inconfortable, surtout à la première planche d’un long récit, alors qu’on ne connaît encore aucun des personnages! Tout au long de l’album, je me suis demandé (inutilement, apparemment!) quand on retrouverait cette jeune fille qui nous y est présentée…
- plusieurs des chasseurs amérindiens se ressemblent beaucoup trop. Je veux bien croire qu’ils sont tous athlétiquement constitués et que les artifices vestimentaires étaient assez limités, à l’époque, mais quand même! Les deux principaux protagonistes notamment, Equani et Asgina, ont la même carrure, la même posture fière, le même faciès et presque la même coupe de cheveux! Ça nous oblige à revenir sur notre lecture pour bien identifier leur maquillage ou leurs sourcils… et ce contretemps nous distrait de la splendide scène de chasse, scène déjà pas évidente à assimiler dû au fait qu’on ne connaît pas encore les noms et les fonctions des personnages.
- la double page illustrant le cauchemar d’Equani est dans un style très différent. Il rappelle étrangement ceux de Sfar et de Satrapi, deux illustrateurs dont j’apprécie beaucoup moins le graphisme.
- l’absence de titre individuel à chaque tome. Ainsi, on devra référer aux cinq tomes de la série en parlant du #1, du #2, et ainsi de suite, puisque les créateurs n’ont pas daigné les baptiser plus spécifiquement.
- les superbes dessins chamaniques ou plutôt totémiques qui illustrent la tranche et le quatrième de couverture et qui sont d’inspiration haïda, sur la Côte Ouest. Pourtant, on nous raconte les déboires d’un Amérindien d’une tribu de l’Est… quoi qu’on ne nous spécifie jamais à quelle famille amérindienne elle appartient. Je vois mal le lien entre ces dessins et le héros… mais puisqu’il part pour un voyage vers l’Ouest, peut-être que les tomes à venir nous éclairciront sur ce point. (Chanceux que vous êtes : je suis tombé sur une entrevue du trio d’auteurs, sur le site de Bo-Doï, dans laquelle madame Séverine Gauthier précisait qu’Equina et les siens sont des Cherokees! Le saurons-nous officiellement un jour?)
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