#01- BÂTARDE
Scénariste(s) : Jean VAN HAMME, Didier Swysen dit ALCANTE
Dessinateur(s) : Francis VALLÈS
Éditions : Lombard
Collection : X
Série : Rani
Année : 2009 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1 à 4 / 8)
Genre(s) : Aventure de pirates / de cape et d'épée, Drame familial, Érotique
Appréciation : 4.5 / 6
|
Dans la lignée de la belle Angélique, Marquise des Anges!
Écrit le dimanche 04 mars 2018 par PG Luneau
Tomes lus : #01- Bâtarde
#02- Brigande (2011)
#03- Esclave (2012, 5 / 8)
#04- Maîtresse (2013)
Quand j'ai entendu parler de la série Rani, la première fois, je n'ai pas pu m'empêcher d'y voir un parallèle avec la vieille série de films d'aventure romantique Angélique, parue dans les années '60 et qui raconte (de manière qui peut paraître bien kitch, maintenant), les déboires d'une jeune femme de la basse noblesse rurale qui se verra tour à tour mariée de force, courtisée par le roi Louis XIV lui-même, accusée de trahison, violée, pourchassée, consacrée Reine des voleurs de la Cour des Miracles, vendue comme esclave... et j'en passe, et des meilleures! Cette belle Angélique, surnommée la Marquise des Anges, en a fait battre, des cœurs, à l'époque!! ;^)
Mais voilà que les titres annoncés pour les 8 tomes de la série Rani sont les suivants : Bâtarde, Brigande, Esclave, Maîtresse, Sauvage, Condamnée, Reine et Marquise. Avouez qu'avant même d'en avoir lu une seule page, on peut imaginer des ressemblances! Après tout, dans le genre aventure historico-romantique de cape et d'épée, les revirements finissent toujours par se ressembler un peu! ;^)
Eh bien, croyez-le ou non : Radio-Canada a présenté, en rafales, dans le temps des Fêtes, toute la saga des films d'Angélique... et je me les suis retapés!! Il n'en fallait pas plus pour me donner le goût d'enfin ouvrir les premiers tomes de cette saga historique classique, scénarisée par Jean Van Hamme (originalement pour la télé... car la série-télé Rani existe également!) puis adaptée par Alcante (que j'ai eu l'honneur de croiser, il y a quelques années) et dessinée par Francis Vallès, le partenaire de Van Hamme sur la passionnante série les Maîtres de l'orge (série à l'origine de mon grand retour à la lecture de BD, il y a une vingtaine d'années).
Un peu dans la même lignée que la série l'Épervier, dont elle partage l'époque et le style aventurier, Rani présente toutefois une héroïne tout ce qu'il y a de plus féminine, et d'une beauté à couper le souffle. Les auteurs ont (fort heureusement, d'ailleurs!) beaucoup misé sur son intelligence, sa force de caractère, son bon sens et son humanité... Mais il demeure que la jolie damoiselle devra user de ses charmes à de nombreuses reprises, parfois à son avantage... mais aussi, souvent, à son corps défendant! Des scènes sensuelles jalonnent de-ci de-là chacun des tomes, émoustillant ainsi les lecteurs de différentes façons, la belle succombant autant aux charmes de ses compagnons (ou compagnes!) d'aventure que subissant les assauts de quelques vils hommes qui la pourchassent.
De tome en tome, on suit le parcours atypique de la belle. Dans Bâtarde, on nous présente la dynamique familiale un peu tordue qui unit le Marquis Charles de Valcourt, son fils Philippe et sa fille illégitime mais adorée : Jolanne. Alors que monsieur le Marquis se meurt, il apprend à son arrogant de fils qu'il lègue à peu près toute sa fortune à Jolanne, ce que le perfide jeune homme ne laissera pas passer! Bassesses, manigances, filouteries, meurtres et mensonges laisseront non seulement la pauvre innocente complètement déshéritée et démunie... mais ils l'entraîneront inexorablement devant le tribunal, pour trahison et complicité de meurtre!
En route pour son exécution, notre malheureuse héroïne se retrouvera en compagnie de Gabriel, dit l'Ange noir, le chef des bandits de grands chemins du coin. Le hasard fera en sorte qu'elle pourra profiter de l'attaque fomentée par les hommes de son compagnon de cellule et s'évader avec eux. Devenue Brigande, Jolanne retrouvera sa liberté... mais attisera la jalousie de la copine du beau Gabriel... Reprise par les autorités, elle parviendra néanmoins à les tromper sur son identité et à prendre la place d'une autre fille, accusée celle-là de prostitution.
Le sort réservé aux filles de mauvaise vie nous sera raconté dans le 3e tome, Esclave. Et c'est en Inde, dans le bordel d'un petit comptoir commercial français, que la belle Jolanne sera contrainte de répondre aux besoins charnels des Français de passages... Mais, bien vite, elle tombera dans l'œil de gens haut placés et montera les échelons, devenant rapidement maquerelle en chef de la maison close!
Malheureusement, certaines gens de son passé, assoiffées de vengeance, la retrouveront, même en Inde, et en profiteront pour la faire chanter... Coincée à la gorge et à bout de ressources, Jolanne laissera son rôle de Maîtresse et organisera sa fuite... Mais dans la gueule de quel loup notre belle héroïne se retrouvera-t-elle encore??
Passant inlassablement de Charybde en Scylla, n'ayant droit qu'à bien peu de répits, l'impétueuse jeune femme tentera, tout du long de ses déboires, de garder sa vie, sa réputation et son honneur les plus saufs possibles... Si l'aventure romanesque aux accents d'autrefois vous enflamme, plongez sans crainte, tout en sachant que les tomes #5 et 6 sont déjà disponibles. À ce propos, la série en comptera 8... mais se poursuivra peut-être sous forme de diptyques ou de séries dérivées, si j'en crois les propos qu'Alcante m'a tenus!? À partir de 16 ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- la maquette des couvertures de la collection. Non seulement les titres sont-ils tous constitués d'un seul mot, ce qui crée une belle unité, mais, en plus, chaque couverture nous montre l'héroïne, en pied, devant un décor très sobre, souvent en filigrane, sur fond de couleur chaude. Cette uniformisation de l'ensemble est très efficace!
- les dédicaces qu'Alcante m'a gentiment écrites, dans chacun de mes quatre albums, lors de nos rencontres. Ça n'a l'air de rien, mais il en faut, de l'imagination, pour écrire une phrase originale qui a du style et un minimum de panache, surtout quand tu dois t'enfiler les 4 tomes du fan les uns à la suite des autres, à quelques secondes d'intervalle!! ;^)
- les paysages. Vallès excelle dans les plans généraux. Je l'avais déjà remarqué dans les Maîtres de l'orge, mais il récidive ici encore: ses bâtiments - comme le manoir des Valcourt (tome #1, p.3 et 4) ou le palais de justice (id., p.48) - sont vraiment irréprochables de perfection. Mais divers autres éléments - comme ses forêts (tome #2, p.16 et 21) ou ses décors intérieurs (comme la grotte d'Ali Baba, id. p.27) - sont souvent tout aussi impressionnants. Bravo!
- certains personnages. Bien qu'ils soient très typés, pour ne pas dire même un peu clichés, plusieurs des protagonistes de cette saga ont tout de même su me charmer (je suis une bonne poire, ne l'oubliez pas!! ;^) ! Ainsi, l'imbuvable Philippe de Valcourt, qui a tous les défauts et commet toutes les exactions possibles (baiser la mère de sa fiancée puis la tuer et faire accuser quelqu'un d'autre, tuer son propre père et mettre le feu au bureau du notaire où se trouve son nouveau testament, vendre des informations militaires à l'ennemi, et j'en passe!), en devient caricatural de félonie... mais j'ai bien apprécié de pouvoir le haïr à fond! Il en va de même pour son perfide bras droit, ce véreux d'inspecteur Laroche, officier de police qu'il a à sa botte... et qui la lui lèche bien goulument, d'ailleurs! ;^) Dans un registre plus positif, disons que le bel Anglais qui vient au secours de Jolanne, à la fin du tome #1, crée, de par son aura de mystère, tout un émoi. Et puis il y a, bien sûr, Jolanne elle-même, pour qui on s'attache très rapidement tant elle est submergée de problèmes de toutes sortes! Son caractère impétueux et sa brillante intelligente n'ont d'égal que son incommensurable malchance! Elle gagne à être connue, la bougresse!
- la richesse du vocabulaire. J'adore le langage joliment fleuri du XVIIIe siècle qu'Alcante et Van Hamme ont insufflé au récit... non sans nous le rendre bien abordable, bien évidemment! J'ai ainsi pu découvrir ce que sont des baguenauderies dès la p.6 du premier tome!! ;^)
- le rythme effréné avec lequel les revirements s'enchaînent! Parricide, accidents, trahisons, accusations mensongères, condamnation, évasions, disparitions, exils, viols, jalousies, réapparitions (?!?) puis autres traîtrises... Que de suspense! Que d'action! Vous voulez un récit d'aventure digne de la tradition? Vous êtes ici bien servis! Chapeau aux auteurs pour leur habileté à tricoter de main de maître tous les vieux codes du genre! Le tome #4 se termine même sur (attention, divulgâcheur!): une amnésie!!!:^0 Vivement que je lise le tome #5!! ;^)
- la mise en pages, bien variée. Les cadrages des vignettes sont efficaces, bien que classiques, avec plusieurs inserts judicieux et quelques belles petites idées originales. J'ai bien aimé la reprise de la même case, aux p.11 et 12 du tome #2, question de nous montrer la nuit qui passe, simplement en en changeant la coloration! ;^)
- le grand nombre de planches muettes, ou avec très peu de texte. Compte tenu du grand format des albums (et des vignettes, en général), ça fait un produit très aéré, dont se dégage une certaine grâce, qui laisse place à l'action et aux émotions. En ce sens, la p.22 du 4e tome fait office d'extraterrestre!!:^0 En effet, celle-là est exagérément verbeuse!!:^S Elle détonne d'autant plus que les autres sont particulièrement peu chargées! Étrange!:^S
- les visages de femmes, particulièrement bien réussis. Ceux des hommes, par contre, sont plus ordinaires, moins peaufinés, dirait-on...
- le caractère feuilletonnesque du récit. On dirait que la grande clarté des planches s'unit à la variété et l'enchaînement trépidant des péripéties pour nous assurer un rythme de lecture accéléré. On passe à travers cette saga comme dans du beurre! Un vrai feuilleton qu'on dévore en un rien de temps... On sent bien le côté télévisuel, aussi!
- les bons résumés qui précèdent chacun des tomes, à partir du deuxième. Un lecteur qui n'aurait pas lu les tomes précédents (quelle drôle d'idée!:^0 ) saurait très exactement ce qu'il en retourne... On y apprend même des détails auxquels les lecteurs n'avaient pas eu accès, comme le nom du mystérieux salvateur anglais!! ;^)
- tout l'épisode se déroulant au bordel de Mahé, en Inde (tomes #3 et 4). J'ai bien aimé pouvoir entrer dans l'univers mystérieux et un peu tabou d'une maison close, d'autant plus que le contexte historique est dépaysant. On se retrouve en 1743, dans un comptoir commercial et militaire, au sud de l'Inde, à l'époque des maharadjas! Le quotidien de ces esclaves sexuelles m'a particulièrement touché... et le fait que Jolanne les prenne sous son aile et fasse tout en œuvre pour améliorer leur vie a fait en sorte que j'ai eu un petit coup de cœur plus marqué pour ce passage, d'où ma note un peu plus élevée pour le tome #3! ;^)
Ce qui m'a le plus agacé :
- l'homosexualité de Jolanne. En fait, les auteurs n'ont pas réussi à me convaincre que Jolanne préfère les femmes! Les quelques scènes où elle se laisse aller à démontrer ses préférences me semblent plaquées... d'autant plus qu'elles n'ajoutent rien à l'histoire, je trouve! Il aurait fallu creuser un peu plus la psychologie de l'héroïne (peut-être au détriment de l'action?) en nous montrant ses tiraillements intérieurs, par exemple, pour que j'y adhère vraiment. Dans la situation actuelle, on pourrait presque croire que ces scènes ne visent qu'à satisfaire la curiosité malsaine de certains lecteurs libidineux, d'où mon malaise... Mais peut-être suis-je le seul à penser ainsi?!
- une petite erreur dans la disposition des phylactères. Il aurait été beaucoup plus efficace d'appliquer un effet miroir à la première vignette de la p.17 de tome #1! Les phylactères auraient ainsi été disposés de manière à en faciliter l'ordre de lecture. Ce genre d'erreurs est un peu surprenant de la part d'un dessinateur chevronné comme Vallès...
- un certain manque de fluidité et de clarté dans les scènes d'action. À de nombreuses reprises, l'angle choisi par Vallès pour illustrer une action capitale ou l'enchaînement de certaines vignettes ne nous permettent pas de comprendre clairement ce qui se passe!:^( Par exemple, je me suis longuement demandé si Philippe avait réussi à arracher la chevalière familiale du doigt de Jolanne ou non, au bas de la p.16 du premier tome. L'enchaînement entre la 5e et 6e vignette de la p.28 (id.) ne me semble pas très naturel, de même que celui entre les vignettes 4 et 5 de la p.38 (id.). Le combat de la p.32 du tome 2 (entre Jolanne et Marja) et celui du haut de la p.4 du tome #4 (au bordel) me semblent figés, peu clairs et, par le fait même, peu crédibles... Plus de fluidité serait souhaitable!
- quelques deus ex machina un peu déplorables. (Attention: divulgâcheur!) D'abord, comment croire que le seul document qui ait échappé aux flammes du bureau du notaire (tome #1) soit, justement, celui que cet incendie criminel visait à faire disparaître??!! Toujours dans le tome #1, il en va de même avec le sauvetage in extremis de la Jolanne suicidaire par son beau ténébreux... un sauvetage SI extremis qu'il en passe pour totalement improbable quand on examine attentivement les distances!... Puis l'apparition du notaire (encore lui!!?) au repaire des brigands, dans le tome #2, vous trouvez ça plausible, vous? Et la mort providentielle d'une sosie de Jolanne, à la prison (fin du tome #2), vous avalez ça?? Personnellement, je trouve tout ça bien capilotracté... ;^) Mais bon... J'imagine qu'on peut pardonner ces coups de chance! Ne sont-ce pas eux qui font le sel des récits d'aventures épiques dont cette série se veut la digne représentante?! ;^)
- un détail qui ne passe pas. Malgré toutes les invraisemblances listées au point précédent, ce qui m'a le plus jeté sur le derrière, c'est d'apprendre que Jolanne n'a que 18 ans!!! Tant visuellement que sur le plan de la maturité, je lui en donnais 24 ou 25!! Cette pilule-là, elle est plus dure à faire passer...:^(
- une coquille causant un bogue temporel! Dans le tome #2, on apprend (p.23) que Gabriel, dit l'Ange noir, s'est évadé depuis 4 mois et qu'il a même repris ses pillages... Pourtant, à la p.33, il raconte sa vie à Jolanne, lui apprenant qu'il s'était fait capturer par la police seulement deux semaines plus tôt!! Le scénariste a oublié son ellipse de 4 mois, manifestement!!:^(
|