#01- L'AMI JAVIN
Scénariste(s) : Serge LE TENDRE, Régis LOISEL
Dessinateur(s) : Dominique Legeard dit LIDWINE, Régis LOISEL
Éditions : Dargaud
Collection : X
Série : Quête de l'Oiseau du Temps - Avant la quête
Année : 1998 Nb. pages : 64
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1/4)
Genre(s) : Heroic fantasy
Appréciation : 4.5 / 6
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Cure de jeunesse pour les protagonistes de la Quête...
Écrit le jeudi 30 juin 2011 par PG Luneau
De 1975 à 1987, le grand Régis Loisel et le nom moins grand Serge Le Tendre ont travaillé (et retravaillé!) sur une série qui est rapidement devenue culte dans l’univers de la BD franco-belge : la Quête de l’Oiseau du Temps. C’est, avec les Légendes des Contrées oubliées, de Ségur et Chevalier, une des premières séries sérieuses à aborder le genre de l’heroïc fantaisy en France. Avant eux, les univers peuplés de bestioles étranges, de monstres féroces, de tribus aux races vaguement animalières et de magies surpuissantes n’avaient pas encore la cote. Loisel et Le Tendre ont donc non seulement ouvert le terrain, mais ils l’ont fait en plaçant la barre très haute, compte-tenu de l’excellence de leur travail!
Rappelons que cette série de quatre albums raconte l’expédition entreprise par la belle Pelisse, une jeune aventurière intrépide comme il se doit, afin de capturer le mythique Oiseau du Temps. De cette mission, vitale pour tous, dépend bien évidemment le sort du monde! En effet, Ramor, un dieu maléfique et tout puissant, est sur le point de pouvoir sortir de la prison dans laquelle les autres dieux l’avaient confiné en réclusion, des siècles auparavant. Seule la vieille Mara, princesse-sorcière de la Marche des Voiles d’Écume (et, accessoirement, mère de Pelisse!) peut parvenir à l’arrêter, grâce à un long rituel qu’elle a trouvé dans un grimoire… Mais le temps lui manque!! Aussi envoie-t-elle sa fille, qui s’entourera de trois alliés (le bouillant Bragon, l’amusant Inconnu et l’étrange Bulrog), pour tout mettre en œuvre afin de stopper littéralement le temps, par l’intermédiaire de cet Oiseau magique, et ainsi lui permettre de compléter ses séries d’incantations!
Ce cinquième titre, qui est en fait le premier tome d’un nouveau cycle, est ce qu’on appelle un prequel ou, plus justement nommé, un antépisode, c'est-à-dire une aventure qui se situe dans le même univers mais, chronologiquement parlant, avant l’histoire déjà racontée. Ce «Avant la quête», qui s’échelonnera aussi sur quatre tomes, à en croire les rumeurs, nous présente donc la jeunesse de certains des personnages du récit original : principalement Bragon et Mara, alors qu’ils ne sont que de jeunes adultes insouciants et frondeurs. On assiste aux glorieux faits entourant leur première rencontre, et c’est, ma foi, fort mouvementé!
Proposition originale de la part des auteurs, c’est à travers la vision du jeune Bragon, cette fois, que le récit sera présenté (évidemment, Pelisse n’existe pas encore!!). On découvrira ce jeune paysan qui jongle entre le devoir qu’il a, par devers sa veuve de mère, de reprendre l’exploitation familiale, et le désir viscéral qu’il a de partir à l’aventure et de vivre une vie de héros! Son destin sera scellé quand sa route croisera accidentellement celle de l’ami Javin, un sympathique aventurier un brin fantasque qui se laisse vivre au gré de ses errances… non sans profiter allègrement des donzelles qu’il croise en chemin!!
Après un périple riche en péripéties, les deux jeunes gens se retrouvent à Thâ, la capitale de la Marche des Voiles d’Écume, juste à temps pour le Jour des Ch’tines. Pendant les festivités entourant l’arrivée migratoire de ces genres de crabes, une secte de fanatiques tentera de porter atteinte à la famille princière, ce qui mettra nos deux héros en présence de Mara, de son père et de son prétentieux cousin. Les talents de bretteurs de Javin et de Bragon faisant le reste, voilà nos deux comparses engagés au service particulier de ces nobles, de qui ils deviendront proches.
Cet album est d’une bonne longueur : 64 pages. Si la première moitié est plutôt lente, avec les hésitations de Bragon, sa coupure d’avec le giron familial et sa rencontre avec celui qui deviendra son complice et ami, la deuxième, qui se déroule à la capitale, est plus entraînante. De toutes façons, avec leur renommée, Loisel et Le Tendre peuvent se permettre de prendre le temps nécessaire pour instaurer des atmosphères et des sentiments plus nourris : ce sont des bonzes à qui les éditeurs font confiance d’emblée et laissent des passe-droits! D’ailleurs, Loisel a fait la même chose avec sa série le Grand Mort. C’est donc très agréable de pouvoir entrer dans un monde si touffu en prenant le temps de bien assimiler les tonnes de données nouvelles dont on nous assène (peuples, modes de vie, politiques, interrelations…), sans compter tous les noms de villes, de pays, de fonctions, de bestioles… et de personnages!
Graphiquement parlant, c’est une très belle réussite. Lidwine est parvenu à garder un style très près de celui de Loisel, mais tout en gardant sa personnalité. Ça donne un dessin plus clair, plus soigné, plus épuré… et plus fréquemment cartoonesque, aussi! Personnellement, et quoi qu’en aient dit les puristes, lors de la sortie de l’Ami Javin, il y a déjà treize ans, je préfère ce graphisme à celui que Loisel a utilisé à la fin des années 70!
Un nouveau cycle très prometteur, donc, que je recommande aux amateurs d’heroïc fantasy de plus de 14 ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- les couleurs fabuleuses, beaucoup plus vives que celles du premier cycle. J’aime incontestablement le vert tendre, et cet album en est rempli! Le turquoise des scènes nocturnes et l’écarlate des scènes de combat contre les bestioles sont aussi très vivifiants et ajoutent à la brillance de l’album. Bravo à Loisel, qui signe aussi cette coloration!
- le clin d’œil au Génie des alpages, du bédéiste F’Murr, via les pilous, ces espèces de moutons de la page 5. Pour bien appuyer la ressemblance, une des bestioles y va d’un «F’mééé…» bien senti, plutôt que du «Mééé!» habituel! À remarquer aussi : le clin d’œil à Gollum, du Seigneur des Anneaux (à la page 28).
- le style du dessinateur. Il est, ma foi, très proche de celui de Loisel dans la série originale, mais en plus propre, avec moins de fioritures et de gribouillis inutiles. Personnellement, je l’en aime d’autant plus!
- le classicisme de l’histoire. J’aime bien le dilemme accablant de ce jeune homme, coincé dans ses tâches agricoles depuis le décès de son père, mais qui rêve d’aventures et de périples! C’est éculé et déjà-vu, mais très joliment raconté, de manière très efficace.
- l’univers d’Akbar, tout un royaume séparé en sept régions appelées des Marches. Avec ses bestioles purulentes, ses noms de lieux à la poésie inventive et les silhouettes étranges des différentes races humanoïdes qui s’y côtoient, je trouve là tous les ingrédients pour y situer une partie de jeu de rôle en bonne et due forme! Je ne sais pas si tous ces peuples sont supposés être humains, mais plusieurs sont si laids et difformes qu’ils donnent l’impression d’être d’origine étrangère, animalière ou même végétale!?!
- la richesse des personnages. Comme les auteurs se permettent de nombreux non-dits, ils parviennent vraiment à instaurer des climats, des moments de tension et des malaises qui en disent long sur les pensées intimes des personnages, sur leurs envies réelles et leurs sentiments profonds. Par exemple, la tristesse désœuvrée de la mère de Bragon lors de son départ (p.17) est très touchante et très représentative de l’intensité dramatique que les créateurs ont su insuffler à leur série. Il en va de même pour les sentiments de Bragon, à la toute fin…
- la chouette relation d’amitié qui se tisse très vite entre Javin et Bragon. Cette indéfectible complicité est belle à voir, et elle est rendue encore plus crédible de par les fréquentes touches de rivalités qui transparaissent à tout moment (preuve patente : l’œil au beurre noir qu’arbore chacun des deux protagonistes, sur la couverture!) C’est d’ailleurs grâce à l’intensité de cette amitié que la finale parvient à nous prendre par surprise, et que l’émotion nous subjugue.
- les mystérieuses bases de l’intrigue politique qui survolera la série dans son entier, fort probablement. Ainsi, le prince-sorcier Humon finit par apprendre l’existence de cette secte, qui semble en vouloir à sa famille, et de l’étrange symbole qui orne la poitrine de chacun de ses membres. J’y vois là une épée de Damoclès intrigante, et elle donne envie d’en savoir plus.
Ce qui m’a le plus agacé :
- la laideur repoussante de certains visages. On reconnaît bien là la marque de Loisel (dans la Quête… mais aussi dans son sublime Peter Pan). C’est bien la preuve que Lidwine a bien su poursuivre la série dans un style graphique très proche de la série originale!
- le délai entre la publication de ce tome et le suivant! Neuf ans (!!?!) se sont écoulés entre ce premier album du cycle Avant la quête, et le #2, encore dessiné par un nouvel artiste : Mohamed Aouamri! Serait-ce qu’il est si difficile de travailler avec Le Tendre et Loisel? Pourtant, lors de ma rencontre avec ce dernier, au dernier Salon du Livre de Montréal, il m’a eu l’air des plus sympathiques! Heureusement, le troisième tome est paru l’an passé, après un délai plus raisonnable… mais dessiné par un troisième illustrateur!! Décidément!... Qu’en sera-t-il du tome final??
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