#07- PAUL AU PARC
Scénariste(s) : Michel RABAGLIATI
Dessinateur(s) : Michel RABAGLIATI
Éditions : la Pastèque
Collection : X
Série : Paul
Année : 2010 Nb. pages : 160
Style(s) narratif(s) : Roman graphique
Genre(s) : Quotidien, Récit psychologique, Autofiction, Drame familial
Appréciation : 6 / 6
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Mon ami Rabagliati (Paul ou Michel, qu'importe?)
Écrit le dimanche 13 mai 2012 par PG Luneau
Michel Rabagliati n’a plus à être présenté : au Québec, depuis quelques années, tout le monde sait qu’il est bédéiste… «The» bédéiste, celui qui a remis la BD au goût du jour. Celui qui a surtout su démontrer aux Québécois de plus de vingt ans que la BD, ce n’était pas «QUE» pour les enfants! Depuis que sa série Paul rafle tous les prix et tous les honneurs (5 prix aux FBDFQ, 6 Bédélys, 2 Joe Shuster Award… plus le Prix du Public à Angoulême, pour Paul à Québec!), la mentalité des gens face au neuvième art commence doucement à changer dans notre Belle Province.
Depuis lui, les projecteurs se sont enfin tournés un peu plus vers le monde de la BD… d’abord vers des «hybrides» (Loisel et Tripp, transfuges français au Québec, auteurs de la superbe série Magasin général; Guy Delisle, transfuge québécois en France, auteur d’une série d’albums autobiographiques fort populaires, dont le dernier, Chroniques de Jérusalem, a culminé cette année au prestigieux Festival BD d’Angoulême), puis vers les nombreux génies québécois édités en Europe (Labrosse, Bergeron, Lamontagne, Goulet, les deux Rodier, Lapierre, Voro, Miville-Deschênes…) ou ici (Bérubé, Desharnais, les deux Girard, Tande, Eid…). La création de la filiale Glénat-Québec est survenue dans ces mêmes années, la Pastèque confirme son importance et plusieurs petites maisons d’éditions ont vu le jour… Tout ça grâce au gros buzz des Paul!...
Mais Michel Rabagliati, c’est aussi… mon ami! Oui, oui, mon ami! Pas un ami Facebook (je ne suis d’ailleurs pas sur Facebook!!) : un ami en chair et en os! Oh! On ne s’est vus qu’à une dizaine de reprises, quelques minutes à chaque fois! Mais à chacune de ces fois, il m’a semblé aussi heureux de me voir que je l’étais de le retrouver. Que ce soit à ses lancements (celui de Paul à la pêche, puis de Paul à Québec…), à d’autres lancements (notamment celui de Miam miam fléau, de mon ami Marsi), à des salons du livre ou au spectacle de la chorale dont il faisait partie… toujours il avait le sourire accueillant! Cette ouverture chaleureuse, il l’avait même lorsque je l’ai croisé, parfaitement par hasard, sur le trottoir de la rue Fleury, moi sortant de chez ma notaire (je venais d’acheter ma maison!!), lui se rendant chez son dentiste!
En fait, je suis maintenant en mesure de l’affirmer, Michel Rabagliati a un don. Un don très rare, exceptionnel : il est l’empathie personnifiée! À chacune de nos rencontres, il a su me donner la sincère impression qu’il se souvenait de moi, que j’étais, d’une certaine façon, important pour lui! Mais le plus fantastique, c’est que je suis convaincu que la petite dame qui était devant moi dans la file de dédicaces, au Salon du livre de Québec, il y a quelques semaines, toute nerveuse à l’idée de le rencontrer pour la première fois, a eu, elle aussi, cette impression d’être unique pour lui, quand est venu son tour de faire dédicacer son album! Et je suis prêt à parier ma chemise que chacune des centaines de personnes qui croisent son chemin annuellement ressent cette même impression! Rabagliati a ce précieux don de nous mettre à l’aise, de nous faire parler et de rester brancher sur nous… Michel, c’est mon ami, parce que c’est, en fait, l’ami de tout le monde!
D’ailleurs, ça explique sûrement pourquoi ses albums sont d’une justesse de ton universellement compréhensible, nous présentant des émotions vraies et une vision du monde dans laquelle tout un chacun peut se reconnaître, peu importe son origine, son âge, son sexe ou ses intérêts! Un être aussi sensible, empathique et chaleureux ne peut qu’être un fin observateur. S’il a, en plus, un talent de conteur remarquable et un coup de crayon stylé et raffiné, c’est tout à son avantage!...
Ainsi donc, où qu’il soit, Michel est accessible, gentil, attentionné… Qu’on le croise dans le métro, à la campagne, à son travail d’été ou même dans son appartement… Oups! Non! Je crois que je commence à confondre avec Paul… Mais Paul ou Michel, qu’importe : ne sont-ce pas les deux facettes d’une même médaille?!
Car Paul est aussi… mon ami! Un ami que je suis avec délectation depuis ses tout débuts! J’ai adoré Paul a un appartement, qui m’a rappelé tout le bonheur associé au sentiment de totale liberté qui est venu avec ces premières années d’autonomie, quand on est au début de la vingtaine et qu’on quitte le nid familial. Mais mon préféré restait encore Paul a un travail d’été : je crois que tous ceux qui ont passé leur jeunesse à financer leurs études en travaillant comme moniteur dans un camp de vacances (une «colonie», comme disent nos cousins d’outremer) ne peuvent que s’extasier à la lecture de ce touchant volume!
Mais voilà qu’il y a maintenant Paul au parc… Un album qui se déroule en 1970, alors que Paul n’a une dizaine d’années (j’avais trois ans, pour ma part!). Et un album où Paul, entre son premier béguin pour une jeune fille et les frasques du FLQ qui bouleversent toute la province, plonge dans le merveilleux monde du scoutisme!
Ça y est!! La voilà : ma première note parfaite, 6/6, le livre ultime! Je ne croyais pas y arriver un jour… Et c’est d’autant plus embêtant que, maintenant, tous les autres livres auront à subir la comparaison! Mais quand il le faut, il le faut, et ici… il le faut!! En effet, un livre qui m’a ravi de la sorte à chaque soir, que j’ai lu à petites doses pour le faire durer, qui m’a fait rêver en me replongeant dans ma propre jeunesse, qui m’a comblé l’œil d’illustrations aussi léchées qu’agréables… et qui est même parvenu à me bouleverser avec sa finale coup de poing, ça ne peut que se mériter une note parfaite!!
Il est vrai que le contexte dans lequel j’ai lu cet album contribue un peu à ma délectation : j’ai en effet renoué avec quatre de mes «copains de meute» pas plus tard qu’au mois de février!! Et oui!! Après plus de trente ans sans avoir de nouvelle de personne, j’ai eu le bonheur de revoir quatre vieux potes avec qui j’ai vécu des aventures fabuleuses, tant dans les louveteaux que dans les éclaireurs!! Ces retrouvailles ont ravivé tant de souvenirs… Je n’étais qu’on ne peut plus prêt à plonger dans la vision de Michel, dans les bottines de Paul… mes amis.
En somme, je suis très heureux que ce soit sur un Paul que l’honneur de «la première note parfaite de ma Lucarne» tombe… D’autant plus que c’est le premier album de cet auteur que j’y critique!! Cette série le mérite bien, tout autant que son créateur, un homme d’exception, généreux, sympathique, intelligent et articulé, aux sens narratif et artistique incroyables. Bref, Paul et Michel, ce sont mes amis… et je les AIME!!!
À lire aussi : les critiques de mes amis Arsenul, Kikine et Allie.
Plus grandes forces de cette BD :
- ma dédicace, toute mignonne!! Pour l’occasion, monsieur Rabagliati s’est fait faire une minuscule petite étampe, représentant l’écusson avec une tête de loup qui sert à identifier les couleurs des quatre sizaines (tel qu’illustré à la p.43). Ainsi, il peut nous dessiner un parfait petit louveteau, avec foulard, ceinture, corde lacée et chandail bien décoré… puis y apposer une vraie badge!!! La mienne, il l’a ajoutée sur son béret, comme les écussons métalliques qu’on y voyait parfois… mais, comme m’a précisé Michel : «Les scouts n’avaient déjà plus vraiment de béret à notre époque, mais je trouve que ça donne un petit côté plus riche, esthétiquement parlant!»… Et je suis tout à fait d’accord avec lui!
- la planche zéro, en exergue. Quelle belle idée!! Au départ, elle m’a bien intrigué : je me demandais pourquoi quelqu’un aurait lancé son soulier dans un arbre… et ce n’est que beaucoup plus loin, juste avant le punch fatidique, que mon inconscient s’est souvenu de cette étrange planche, mise en exergue, et que j’ai eu le pressentiment que tout ne finirait pas dans la guimauve! Wow! Quelle efficacité! C’est du génie! (Est-ce que je vous ai dit que j’adorais cet album??)
- le plaisir de se souvenir!! Que de fois je me suis exclamé : «Ah oui!! Cette chanson, on la chantait aussi; ce jeu, on y jouait (Ah, ma tante May!!); cette technique de renflouement de canot lorsqu’on «dessale» en plein centre d’un lac : je l’ai expérimentée, moi aussi, quand j’avais onze ans! Cette couverture de livre, ce poster… je les connais, j’ai eu les mêmes!…» Bref, Michel parle de lui, mais Michel, c’est aussi beaucoup moi… malgré les six ou sept années qui nous séparent! Tous ces souvenirs m’ont fait monter les larmes aux yeux à de nombreuses reprises (mais là, je commence à étaler mon petit côté moumoune et nostalgique, je crois qu’il est temps de changer de sujet!!) ;-)
- la richesse des détails, dans les décors et les arrière-plans. C’est toute une tranche de notre histoire qu’on peut reconnaître dans les divers accessoires (vaisselle, mobilier, voitures…). Par exemple, les jeux Probe, Mouse trap et Operation, dans la vitrine du magasin, dans le bas de la p.14 (j’avais le premier et souhaitais tant recevoir les deux autres en cadeaux!!), le Pif gadget de cette même vignette, ou le poster de Rahan, dans la chambre de Paul (p.21), l’émission Koko le clown dont si peu de gens se souviennent (c’était un de mes dessins animés préférés, avec le fameux Méchant Borrrris!!), les quincailleries Pascal (p.17) et les Dupuis frères (p.63), les posters des boys band du temps (dans la chambre d’Hélène, à la p.39), les souliers Adidas (p.52), l’horrible fresque de la cantine du Jardin botanique (p.106)… et le Thunderbird #2, à la p.135 : coooooool! C’est vraiment des pans entiers de mon enfance que Rabagliati déverse dans ses pages!...
- la composition du récit, segmenté par diverses pages-interstices. Certaines sont toute blanches, avec la photo ou le dessin d’un objet significatif du récit. Sur d’autres, l’auteur nous présente chacun des animateurs scouts dans son quotidien. Ces pages agissent comme des séparateurs de chapitres et ont rythmé ma lecture, tout en ravivant mes souvenirs sur le personnage ou l’objet en question, ou sur leur rôle dans le récit…
- l’audace de Rabagliati de présenter un animateur scout homosexuel!! C’est subtil (seule une planche nous souligne ce détail et on n’en reparle plus), mais je trouve que ça fait un joli pied de nez à tous ceux, encore trop nombreux, qui confondent pédophilie et homosexualité. Bravo!
- les dessins finaux des membres de la sizaine de Paul, où on les retrouve costumés selon leur métier de prédilection… C’est d’une finesse et d’une délicatesse très touchantes!
- la photo finale, où l’on voit un jeune blondinet recevant son foulard scout, lors de sa promesse. Elle vient nous titiller et nous faire encore plus douter : où commence la fiction, où s’arrête l’autobiographie?? Toujours ce plaisant mystère, dans les récits de Paul!
- la longueur. J’ai eu le plaisir de savourer cette lecture pendant plusieurs soirs, car j’ai choisi d’échelonner ma lecture en suivant les pseudo-mini-chapitres que Michel a mis en place. Ainsi, chaque soir, j’avais hâte de reprendre ma lecture… Et après quelques pages, je fermais la lumière en rêvassant à tous les bons souvenirs qu’elles venaient d’éveiller! Quels délicieux moments!...
Ce qui m’a le plus agacé :
- le titre. Puisqu’il faut bien que je trouve de quoi chipoter un peu, je dirai que la référence au parc est peut-être un peu mal choisie. Certaines scènes s’y passent, mais pas suffisamment, à mon sens, pour mériter que ce lieu se retrouve sur la couverture. Paul fait du scoutisme ou Paul chez les scouts m’aurait paru bien plus approprié… malgré les risques de faire fuir d’éventuels lecteurs scoutophobes!! ;-)
- certains visages au graphisme plus réaliste. En décidant d’aborder un événement aussi connu que la Crise d’Octobre, monsieur Rabagliati s’obligeait presque à devoir dessiner certaines personnalités politiques ou télévisuelles ayant marqué cet événement. S’il l’a parfois fait en gardant son style graphique (comme pour Godin, Julien, Mongeau et Miron, à la p.126), il a parfois tenté d’y aller d’un trait un peu plus réaliste. C’est le cas pour Gaétan Montreuil et le ministre Jérôme Choquette, à la p.115. Dans ces deux cas, la ressemblance n’est peut-être pas si mal, mais je trouve que le style graphique choisi détonne un peu trop par rapport au reste du récit.
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