#01- LES VACANCES DE LA MORT
Scénariste(s) : Emmanuel Lepage dit ANGUS
Dessinateur(s) : Loïc Bouyer dit OSCAR
Éditions : Triskel
Collection : X
Série : Kids Halloween
Année : 1999 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Fantastique humoristique, Humour morbide
Appréciation : 3.5 / 6
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Quand la Mort en a marre
Écrit le mardi 26 octobre 2010 par PG Luneau
Aujourd’hui, je vais vous commenter une toute petite série que j’ai dénichée en bouquinerie il y a longtemps et que j’avais bien hâte de lire. Avec l’Halloween qui cogne à nos portes, l’occasion était trop belle : il tombait sous le sens que je m’y mette enfin!!
Les Kids Halloween, ce sont six petits garnements très politiquement incorrects, dans la lignée de tous les Petit Spirou ou autres Titeuf du Neuvième Art. Seulement, plutôt que d’être obsédés par le sexe ou la nudité féminine, eux se plaisent à torturer des animaux, à empoisonner leurs voisins ou à faire apparaître des démons! Il est vrai qu’ils sont un peu tributaires de leurs origines : Deadly Speak est le fils d’un vampire qui lui a agrafé les lèvres alors qu’il était tout bébé, «pour que ses dents puissent pousser loin des sucreries»; Anesthesia est fille de sorcière; Dollface porte en permanence un horrible masque semblable à celui de son père, qui est prêtre vaudou; Killit et Larry sont les enfants d’un savant fou qui fait exploser des têtes de chats; seul Screwy, finalement, est un «petit garçon normal»… En fait, c’est surtout qu’on ne sait rien de ses origines!! Seulement qu’il est le meilleur copain des cinq autres et qu’il trouve son plaisir en participant à leurs exactions et en lisant des magazines «Pléboy»!
Vous l’aurez compris, nous sommes dans un univers halloweenesque «un peu» morbide. Si balancer des rats vivants par les cheminées d’un presbytère ou arracher les cœurs de victimes de sacrifices humains ne vous plait pas, cet album n’est pas pour vous. Mais si ce genre d’humour, pris au second degré, il va sans dire, et illustré dans un style qui rappelle beaucoup les œuvres-cultes de Tim Burton (l’Étrange Noël de M. Jack, Édouard aux mains d’argent, mais surtout Beetlejuice…) vous branche, vous apprécierez probablement ce récit au ton différent et audacieux.
Le titre de l’album en lui-même peut être perçu comme un jeu de mots sur le double sens de l’expression «de la mort». Chacun sait que si vous avez passé «une fin de semaine de la mort», c’est qu’elle a été super trippante. Ici, c’est au sens littéral qu’on doit prendre l’expression «les Vacances de la mort» : la grande Faucheuse a vraiment décidé de partir en congé et de ne plus faire son office morbide! Cela signifie que plus personne ne meurt… ce qui cause, inévitablement, problème!!
Les Kids sont bien embêtés : les tortures qu’ils sont habitués d’infliger aux gens et aux bêtes autour d’eux ne se terminent plus dans l’habituelle apothéose qu’ils apprécient tant, ce qui les pousse à se mobiliser : «Partons à la recherche de la Mort, puis forçons-la à reprendre du service, ou trouvons-lui un remplaçant!» Chemin faisant, ils descendront au plus profond des Enfers, rencontreront Lucifer et ses sbires et parleront à nul autre que Saint-Pierre.
Si l’histoire est somme toute originale et qu’elle nous permet de faire la connaissance de personnages souvent fort intéressants, il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’un album à mettre entre toutes les mains. L’humour y est assez morbide, par moment, et le sarcasme est de haut niveau : cœurs naïfs et jeunes âmes, s’abstenir!
Plus grandes forces de cette BD :
- le prologue de présentation, sur les premières pages de garde. En gros, on y raconte, sous forme d’une mini-BD de sept grandes vignettes, la jeunesse de chacun des membres de la bande. La narration n’en est pas très claire, et les personnages sont difficiles à identifier (parce qu’ils étaient alors plus jeunes, avec souvent une autre coupe de cheveux, en plus d’être en noir et blanc), mais l’intention était bonne.
- les couleurs, vives et franches. Toutes les vignettes baignent dans une dominance de mauve, de violet, de noir, de bleu, foncé et pâle. L’ambiance «frayeur» est bien établie. À souligner que c’est Angus, le scénariste, qui se charge de la colorisation.
- le dessin, hors norme, qui se veut un peu provocateur et dérangeant. Question de rendre les personnages un brin abject, Oscar, le dessinateur, n’a pas le choix de «montrer» quelques horreurs, comme la cuiller plantée dans le crâne du majordome de la Mort, ou les faciès au nez ravagé de plusieurs des personnages, tant parmi les démons que chez les humains (le prêtre, par exemple)! Heureusement, le tout demeure dans la rondeur et la caricature, avec force exagération : ça passe mieux!
- certains personnages étonnants. Je songe, notamment, à Screwy, avec son obsession pour les belles poulettes bien roulées (alors qu’il semble n’avoir qu’une dizaine d’années!); à la Mort, qui, lorsqu’on la découvre, nous étonne de par sa… prestance particulière; à Killit et sa troublante fascination malsaine pour tous les animaux (surtout les chiens et les chats!); et aussi Deadly Speak, avec ses lèvres cousues… Son air gentillet est drôlement faussé par les trois horribles coutures qui l’empêchent totalement de parler. Ces personnages ont du punch, du caractère, de la personnalité. Bravo!
- l’audace dans l’humour. C’est intéressant de voir qu’un auteur ose, d’une certaine façon, «glorifier» la violence, fer de lance de ses personnages principaux, mais tout en la présentant avec humour. Pourtant, on ne peut pas dire qu’elle a de quoi faire rire, celle-là, surtout chez les jeunes! C’est pourtant assez bien réussi… mais ça nous ramène à la sempiternelle question : à qui s’adresse cette série, aux dessins enfantins mais aux thèmes si délicats? Pour ma part, je ne crois pas qu’elle s’adresse au moins de onze ou douze ans…
- l’originalité des symboles typographiques représentant les incantations démoniaques. J’ai trouvé ces symboles très originaux, la première fois qu’ils sont utilisés, à la page 29. J’ai juste été un peu déçu de constater que les deux autres incantations du récit reprennent exactement les mêmes caractères, dans le même ordre… J’aurais aimé en voir plus…
Ce qui m’a le plus agacé :
- la narration, jamais totalement fluide. Dès le prologue de présentation, j’ai trouvé que les phrases étaient étrangement tournées, au point de nuire à ma compréhension : cela m’a un peu agacé. Puis, il m’a semblé que le récit en tant que tel tournait parfois les coins rond, passant d’une scène à l’autre avec des ellipses quelques fois difficiles à combler. Finalement, même la mini-BD muette des dernières pages de garde m’est apparue mal construite, à un point tel que je croyais qu’on avait interverti deux vignettes au montage!! Au bout du compte, il semblerait que la fluidité narrative ne soit vraiment pas la plus grande force de monsieur Angus!
- les dessins, un tout petit peu trop surchargés. Il y a des tonnes de petits détails dans les vignettes, mais le coup de crayon un peu lâche d’Oscar leur donne un aspect un peu brouillon, ce qui fait en sorte qu’on a parfois du mal à tous les identifier, au premier coup d’œil. Heureusement, on peut se plaire à les détailler plus minutieusement après coup!
- le thème de «la Mort qui a disparu» rappelle beaucoup celui de la série Zorn et Dirna . Toutefois, après vérification, les Kids Halloween ont bel et bien précédé Zorn et Dirna. Ce sont donc peut-être les créateurs de ces derniers qui se sont inspirés de ces six petites pestes!
- la beauté sculpturale des personnages secondaires féminins. En fait, le dessinateur s’est fait plaisir avec de belles «pitounes» : Carmine, la diablesse de l’Enfer particulièrement bien roulée (et très courtement vêtue) et Pretty Hate, l’infirmière particulière de la Mort, sont toutes deux fort aguichantes, peut-être un peu trop pour ce genre de récit… surtout que ça n’y ajoute tellement rien !?
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