#01 - JEAN DE FLORETTE
Scénariste(s) : Jacques FERRANDEZ, Marcel PAGNOL
Dessinateur(s) : Jacques FERRANDEZ
Éditions : Casterman / de la Treille
Collection : X
Série : Eau des collines
Année : 1997 Nb. pages : 62
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1 & 2/2)
Genre(s) : Récit psychologique, Drame familial, Adaptation littéraire, Classique
Appréciation : 4 / 6
|
Un drame à la Séraphin dans le terroir provençal!
Écrit le samedi 21 juin 2014 par PG Luneau
Tomes lus : #01 – Jean de Florette (4 / 6)
#02 – Manon des Sources (4,5 / 6)
Ah! Pagnol!! Quel excellent communicateur! Quel créateur savoureux!! Vous avez lu beaucoup de ses trucs?? Moi… aucun!!?! Quand j’y pense, c’en est navrant! Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai car notre enseignante nous avait fait lire quelques pages de la Gloire de mon père, quand j’avais 14 ans (l’exercice de tir à la carabine sur la bécosse… où la boniche se trouvait coincée!! ;^)… En fait, c’est par les autres arts que j’ai découvert ce doux mélange de fraîcheur et d’intensité qui transcende l’œuvre de ce célèbre écrivain. J’ai vu la pièce Marius et Fanny, il y a quelques mois, et j’avais vu, à peu près à leur sortie en salle, le diptyque la Gloire de mon père / le Château de ma mère, puis cet autre, mémorable entre tous, l’Eau des collines, mieux connu sous le nom de ses deux parties : Jean de Florette et Manon des Sources.
Qui ne se souvient pas de ce pauvre Depardieu, suant sang et eau afin de parvenir à tirer quelque chose du petit lopin de terre aride dont il venait d’hériter. Qui ne se rappelle pas de la douce vengeance d’Emmanuelle Béart, impeccable dans le rôle de la sauvageonne Manon. Et que dire d’Yves Montand et de Daniel Auteuil, pitoyablement détestables dans leurs rôles du Papet et d’Ugolin. Ces deux films, aux images aussi puissantes que le récit qu’elles racontent, s’avèrent, à mon sens, de grands classiques contemporains… Tout le monde les a vus, et tout le monde s’en souvient, c’en est bien la preuve…
Aussi fallait-il avoir beaucoup de courage (ou d’inconscience?!?!) pour s’attaquer à une œuvre aussi monumentale, surtout après que les films aient connu tant de succès!! C’est pourtant ce beau défi que le bédéiste Jacques Ferrandez, créateur réputé de la série Carnets d’Orient, a voulu relever pour le compte des éditions Casterman et de la Treille… Et, à mon sens, c’est vraiment très bien réussi!
Évidemment, pour ce qui est de l’adaptation du scénario, je ne peux me fier qu’au film, qui est lui-même une adaptation!! Je ne puis donc vous dire si l’œuvre illustrée est mieux que l’originale… Même si je me doute bien que ce ne soit pas le cas : un tel classique, écrit par un écrivain aussi célèbre, on peut difficilement égaler ça, encore moins le surpasser!… Mais le récit reste fidèle à lui-même, d’une force dramatique indéniable, d’une intensité subtile mais constante, nous entraînant toujours de plus en plus loin dans la magouille et les exactions des deux cupides Soubeyran. Pour qui ne connaît pas le fin mot de l’affaire (mais en reste-t-il?? :^), je ne dévoilerai rien des rebondissements somme toute assez nombreux, et toujours imprévisibles, qui viennent frapper le lecteur comme de véritables coups de fouet. Je me contenterai de ce laconique résumé : au décès d’un de leur voisin, César (dit Papet) et Ugolin Soubeyran espèrent acheter à peu de frais sa terre pour y monter une culture d’œillets, après l’avoir irriguée à partir d’une source qui y stagne, dans un coin. Mais lorsqu’ils apprennent que l’héritier légitime est un lointain cousin, bossu, intellectuel et rêveur, qui désire vivre un enthousiaste retour à la terre, les deux magouilleurs décident de boucher la source et de laisser l’optimiste citadin se tuer à la tâche sans rien dire… Et ça finira mal… Pour pas mal de gens…
Manon des Sources, le deuxième album (et deuxième roman) poursuit le récit entamé dans le premier tome, en racontant la douce vengeance que Manon, la fille du bossu, met en scène après avoir découvert le pot aux roses! Drames et tragédies seront au rendez-vous!
Quand on y pense, à bien des égards, ce récit a plein de points communs avec notre Un homme et son péché à nous, ce fameux roman de Claude-Henri Grignon!! L’époque, le contexte socio-économique des divers protagonistes, le petit côté «vie de village», le drame qui tourne à la tragédie… À l’image de notre Séraphin national, Papet et Ugolin laisseront leur avaricieuse ambition prendre le dessus sur leur gros bon sens et les mener doucement vers la pente de la criminalité.
Du point de vue dessin, monsieur Ferrandez est fidèle à lui-même. Tous ceux qui apprécient (et ils sont nombreux!) son trait fin, assez précis, et ses jolis coloris à l’aquarelle, tels qu’on les retrouve dans ses Carnets d’Orient, seront ici en pays de connaissance. Personnellement, n’ayant jamais été particulièrement fan de l’aquarelle, c’est plutôt pour le texte que j’ai dévoré ces bouquins, bouquins qui risquent de ne pas être appréciés à sa juste valeur par les moins de 15 ou 16 ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- les couvertures, lumineuses à souhait avec leur grand ciel bleu… Il faut prendre la peine de les ouvrir en entier, de manière à voir côte à côte la quatrième et la première de couverture : elles forment, dans les deux cas, une superbe image double, nous montrant la splendeur de la Provence!
- mes deux dédicaces!! C’est justement parce que je savais que monsieur Ferrandez allait être présent au Festival de la BD de Montréal, il y a quelques semaines, que je me suis enfin décidé à lire ce diptyque qui m’attendait depuis si longtemps! Sachant que la grande majorité des gens allait lui demander de leur dédicacer ses célèbres Carnets d’Orient, je me doutais bien que j’allais être un des rares avec ces classiques… J’aime bien, ainsi, offrir une petite pause aux bédéistes en leur présentant de leurs œuvres auxquelles ils ne s’attendent pas! De mes deux, ma préférée reste le Papet qu’il m’a fait dans le premier album, directement au feutre à la pointe fine, rehaussé de crayon gras. Une beauté!
- les dialogues savoureux… Comment ne pas entendre, même en lisant, l’accent chantant du Midi, avec leurs piqués plongeants, en plein milieu des phrases, et leurs nasales qui se prolongent en «gne»! ;^) Et puis, que de puissantes répliques! Une très belle : «Avec un costume comme ça, tu peux te marier la fille du pape!»… et l’autre de lui répondre : «Je trouve que ça me va bien! Si je me rencontrais, j’oserais pas me parler!»… Ou ma préférée, quand Ugolin s’exclame, en larmes : «C’est pas moi qui pleure, c’est mes yeux!»… Ou encore ce proverbe qui donne froid dans le dos : «Quand on a commencé d’étrangler le chat, il faut le finir!»… lancé par Papet juste comme Ugolin commence à développer un sentiment d’amitié envers son rival!
- le personnage du bossu! En plus de nous le présenter comme éminemment sympathique et vaillant, Ferrandez a décidé de le faire joli, malgré son handicap!! Non seulement ça contribue à nous le rendre encore plus attachant (on voudrait tant que ses affaires réussissent!! ;^) mais ça permet aussi une distanciation d’avec le film, où Depardieu, qui tenait le rôle, n’avait rien d’un Apollon!!
- la puissance de ces histoires. Celle de ce plan machiavélique manigancé par deux personnages si complexes d’abord, puis celle de la vengeance d’une victime! Quelle malveillance chez ces Soubeyran!!? Meurtre, mensonges, perfidies… Un beau duo de «couillongues»!!
- les nombreuses mais très intéressantes dualités qui parsèment l’œuvre en entier : les ruraux vs les gens de la ville, les connaisseurs expérimentés, pétris par la pratique vs les néophytes instruits qui ne jurent que par la théorie! Pagnol en a profité pour y glisser de beaux parallèles! ;^)
- la présence, dans le tome #2, de M.Belloiseau et de Bernard, le nouvel instituteur. Ces deux nouveaux personnages sont intéressants et apportent du renouveau dans la dynamique des hommes du village.
- l’orthographe toute boiteuse d’Ugolin, tant sur sa ridicule pancarte antivol que dans son touchant testament.
- la grande maladresse sociale d’Ugolin, surtout à l’égard de la gent féminine! Quel plouc avec les filles!?! Surtout dans les circonstances! Il en est pitoyable!
- tout l’étalage du quotidien de ces petites gens, de leurs chicanes de clochers (entre ceux de Bastides Blanches et ceux de Crespin), de leurs modes de vie et de leur parlure. Vous saviez, vous, qu’il arrivait qu’on déplace des cadavres enterrés depuis deux ans parce que la location du lot venait à échéance?!? Ça donne envie de ne pas mourir pour très longtemps!! ;^) Et le mot lièvre, ça m’a fait très drôle de le voir au féminin à plusieurs reprises (ne serait-ce qu’à la p.23 du tome #2), ou d’entendre parler de migon de mouton (p.7 du tome #1).
- les nombreuses touches d’humour. J’ai bien aimé quand le géologue se lance dans son discours technique totalement assommant… et qu’il rajoute qu’il ne faut pas confondre ce qu’il vient d’expliquer avec une autre série d’explications toute aussi interminables qu’incompréhensibles (et inintéressantes!! ;^)… Ou quand le notaire, qui a recopié la lettre d’Ugolin AVEC l’orthographe (très fleuri!) de celui-ci, dit l’avoir fait avec une «attention épuisante»!! ;^) Je me suis demandé s’il s’agissait d’un clin d’œil du bédéiste ou si c’était vraiment dans le texte de Pagnol?!?! ;^)
- toute la douce morale qui se dégage de cette histoire d’arroseurs arrosés… (excusez le jeu de mots, dans ce contexte de sécheresse!!)! On prend plaisir à voir Manon orchestrer sa vengeance, on lui souhaite de parvenir à l’assouvir, pour pouvoir laver sa mémoire des atrocités faites indirectement à son père. Le dernier quart du tome #2 laisse place à de belles réflexions sur la culpabilité collective : Existe-t-elle? Comment la déterminer? Comment la punir? Le silence est-il une forme de crime?... Plein de beaux sujets de discussion! ;^)
- le punch de la révélation finale!! Pfiouf! Quel coup de poing!?! Même si j’avais vu le film, il y a des lustres, je ne me rappelais plus de ce détail, qui transforme ce drame de mœurs en véritable tragédie grecque!... Stupéfiant! (Mais la vieille aveugle, pourquoi n’a-t-elle pas parlé, du temps où Jean de Florette s’esquintait sur sa terre?? Personne ne lui a dit, à cette vieille, que le nouveau était bossu?? Ça, j’avoue que ça me turlupine un peu…)
Ce qui m’a le plus agacé :
- les couleurs de l’intérieur. Compte-tenu de l’éclat des couvertures, je m’attendais à plus de vivacité… J’y ai trouvé une certaine fadeur, malgré la grande variété de coloris… Mais peut-être était-ce une façon d’accentuer la déplaisante impression de sécheresse qui doit se dégager de ce poignant récit??
- la présentation du passé de chanteuse d’Aimée, la mère de Manon, au début du tome #2 (p.5). Toute cette histoire de directeur de chœur et de promesses non tenues arrive un peu vite, comme un cheveu sur la soupe, et ne nous laisse pas le temps de l’assimiler : j’ai été complètement confondu! Tout ce que j’y ai compris, c’est que la dame aimerait se remettre au chant… Ce n’est que vers la toute fin qu’on démêle l’échafaud. Ce passage aurait pu être plus développé.
- le sentiment amoureux d’Ugolin à l’égard d’une gamine. J’avoue que j’ai toujours eu un peu de difficulté à gober la fulgurante passion que cette grande andouille développe, surtout à l’égard de la fillette de Jean! Il l’a vu grandir, passer de 10-11 ans à 15-16 ans… Et il est lui-même dans la trentaine, à la fin, non?? Déjà, quand j’ai vu le film, j’avais un peu tiqué sur cet émoi qui semble aussi inconvenant que soudain!
|