#01- PORTEUR DE MASQUE
Scénariste(s) : Bryan PERRO
Dessinateur(s) : Zoran VANJAKA, Nicolas JOURNOUD
Éditions : les Intouchables
Collection : Manga
Série : Amos Daragon
Année : 2005 Nb. pages : 208
Style(s) narratif(s) : Récit complet, à suivre (Inspiration manga)
Genre(s) : Fantastique mythique, Adaptation littéraire, Heroic fantasy
Appréciation : 4 / 6
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Un best-seller québécois... version manga!?!
Écrit le dimanche 07 septembre 2014 par PG Luneau
Tomes lus #01 – Porteur de masques (ill. : Zoran VANJAKA, 2005)
#02 – la Clé de Braha (ill. : Nicolas JOURNOUD, 2006)
Il y avait bien longtemps que je voulais me mettre à la saga des Amos Daragon. Après tout, cette série médiévalo-mythologico-fantastique a transfiguré le monde de la littérature jeunesse, au Québec, au début des années 2000, entraînant dans son sillage tout une armada de jeunes lecteurs de romans, principalement des garçons, de ceux dont on dit «qu’ils ne lisent pas»… En tant qu’enseignant au primaire, j’ai vu nombre de mes anciens élèves se plonger dans ces 12 romans de Bryan Perro. Perro qui, il faut bien le dire, est devenu, grâce à son jeune héros, une icône de notre jet set littéraire, au même titre que Dominique Demers ou India Desjardins! J’avais toujours hésité à m’y mettre à mon tour, de peur d’être déçu… comme on peut être déçu quand nos attentes ont trop été gonflées par les propos dithyrambiques des autres!!...
Après les romans, le jeu de société et le camp «grandeur nature» d’Amos Daragon, Perro a choisi de décupler encore son œuvre en nous en offrant une version… manga!! Et oui!! Voilà ma chance : comment l’Explorateur que je suis peut-il encore se soustraire, maintenant que l’œuvre se plie à son médium de prédilection?!?! ;^)
C’est donc sous les presses des éditions les Intouchables (qui avaient déjà édité sa version roman) que les trois premiers récits ont été transposés en manga. Pour ce faire, Perro a lui-même adapté ses propres textes en scénarii BD, mais il a passé le relais à deux Européens pour ce qui est des dessins : messieurs Zoran Vanjaka pour le premier tome et Nicolas Journoud pour les deux suivants. Pour ma part, je n’ai eu accès qu’aux tomes #1 et 2.
Et pour ce qui est de l’histoire, j’ai été très agréablement surpris! Perro a réellement su doser ses éléments (énigmes, prophéties, attaques, mystères, revirements, trahisons…) de façon à rendre son récit palpitant… et tout en restant assez logique et cohérent, ce qui n’est pas toujours le cas, quand on parle de fantastique!
En gros, on retrouve le jeune Amos, un garçon assurément plus futé que la moyenne mais d’une grandeur d’âme exemplaire, qui se voit un jour «choisi» par une sirène mourante pour devenir le nouveau «porteur de masques»… Le voilà donc lancé dans une quête au cours de laquelle il devra rechercher de par le monde quatre masques mystiques (de même que les pierres précieuses qui les ornent) de façon à se prévaloir des pouvoirs magiques que ces masques octroient, pouvoirs dont il aura irrémédiablement besoin pour… sauver le monde, rien de moins!! En effet, les forces des ténèbres (toujours elles!! ;^) multiplient leurs attaques et se renforcissent de jour en jour : seul le Porteur de masques pourra en venir à bout!
Une trame assez classique, on en conviendra… mais que nous faut-il de plus quand on a 10, 12 ou 14 ans?? ;^) Bien sûr, en chemin, le jeune héros croisera des alliés et des guides, et certains d’entre eux deviendront de fidèles compagnons : Béorf, un genre d’ours-garou gourmand mais très fort, Médousa, une jeune gorgone, et Loyla, une princesse-sorcière d’origine africaine. Il croisera aussi un nombre impressionnant de dangers, de monstres, d’armées belliqueuses, de démons et de rivaux, dont le perfide Yaune, un solide combattant au service de Seth, le puissant dieu-serpent. Tous les poncifs du genre s’y entremêlent donc, et les mordus de Donjons & dragons ou d’autres jeux de rôles du même acabit se retrouveront en pays de connaissance!
Là où le bât blesse, c’est au niveau du dessin. J’ai l’impression que Monsieur Perro n’a pas été très chanceux. À priori, monsieur Vanjaka me semble avoir fait un travail de très bonne qualité, sachant insuffler une intéressante variété d’expressions à ses personnages et garnir ses décors de nombreux détails pertinents… Malheureusement, j’ai l’impression qu’il y a eu une énorme erreur d’impression généralisée!! En effet, chaque planche semble avoir été étirée en hauteur, gâchant toute l’œuvre du bédéiste en la déformant totalement de manière très agaçante pour le lecteur!! :^( C’est vraiment dommage, car la qualité graphique était intéressante… Plus qu’avec les dessins du second artiste à avoir pris le relais, dans le tome #2, monsieur Journoud. Cette fois-ci, plus de déformation, mais un dessin pas mal plus grossier, plus rond, plus gauche… plus caricatural aussi. S’il passe tout de même la rampe avec, à mes yeux, la mention «correct», il s’avère quand même moins agréable à l’œil que le style de Vanjaka.
Est-ce la raison pour laquelle on aurait stoppé la publication de ces mangas après seulement trois tomes (sur une possibilité de 12)?? Je ne saurais dire… Maintenant que monsieur Perro vient de monter sa propre maison d’éditions, peut-être nous réserve-t-il des surprises pour la suite des choses?? Qui sait?
Reste que, vu le caractère palpitant des intrigues, ces mangas petit format peuvent s’avérer un bon outil pour accrocher un jeune réfractaire à la lecture : peut-être qu’après avoir lu deux ou trois de ces albums, il sera suffisamment emballé pour avoir envie de connaître la suite et qu’il passera aux romans, au grand bonheur de ses parents et de ses enseignants??! ;^)
Amos Daragon, en mangas ou en romans, est donc une œuvre stimulante, qui mérite le succès qu’elle a connu. Elle est à faire découvrir à tous les jeunes de 10 à 16 ans… probablement plus aux garçons, mais aussi aux filles : si elles tolèrent les monstres et les combats épiques, elles devraient prendre plaisir à découvrir les très beaux personnages féminins qui croisent la route du jeune héros!! ;^)
Plus grandes forces de cette BD :
- des incipits accrocheurs. Dès le tome #1, on n’a pas 6 pages de lues que, déjà, le jeune Amos a une sirène de rencontrée et une mission à accomplir! On ne peut certainement pas dire que ça «niaise avec le puck», cette série-là!! ;^) De plus, le contexte du deuxième tome est aussi très intéressant : j’aime bien cette «cité de Braha», genre de purgatoire où les âmes des défunts attendent de recevoir leur verdict : Paradis ou Enfers!!
- un héros brillant et malin, qui attire tout de suite la sympathie. Non seulement il est gentil, généreux, altruiste et toutes ces sortes de choses qu’on retrouve chez le héros classique, mais en plus il connaît une foule d’énigmes et parvient toujours à résoudre habilement celles dont il ne connaît pas déjà la réponse. Ce petit futé a tout ce qu’il faut pour qu’on s’attache à lui sans perdre de temps, quoi! ;^)
- l’ingéniosité de certaines ruses utilisées dans le tome #1. Quelques-unes manquent de crédibilité (comme le chaudron, à la p.22 : il est clair qu’un homme sentirait la chaleur de l’eau bouillante AVANT d’y plonger la main!! :^P) mais, la plupart du temps, elles dénotent un bon niveau de complexité. Je pense notamment à l’astuce de «la bouse d’âne aurifère» (p.27), à celle du paiement par «l’odeur» (p.46) ou au dénouement du pseudo-jugement de Béorf (p.66-67).
- le personnage de Béorf. Avec sa gourmandise légendaires et ses airs débonnaires de gros ours mal léché (ce qu’il est, au fond!! ;^), il est très sympathique. C’est d’ailleurs souvent lui qui amène les pointes d’humour qui parsèment le récit (comme aux p.30 et 31 du tome #2)!
- certaines belles trouvailles de mise en pages. D’abord, Vanjaka (dans le tome #1) exploite l’insertion de mini-cases dans les grandes de façon fort judicieuse, de manière à démontrer la progression d’un mouvement ou d’un déplacement (comme aux p.61, 75, 127 et 186) ou pour bien pointer un champ/contre-champ particulièrement important (p.160). Ça donne des effets très intéressants… mais qui restent malheureusement très discrets, compte-tenu de la petitesse des pages! De la même façon, Journoud (dans le tome #2) y va de quelques jolies planches pleine page (dont la p.65) ou avec une série de cases qui s’enchaînent de manière à montrer le long trajet accompli par la caravane de Junos et Béorf (p.100). C’est joliment inventif!
- des mélanges généralement heureux… D’abord, au niveau des devinettes. Ce qui m’a toujours retenu de plonger dans la série de romans de monsieur Perro, c’est que je savais déjà qu’il avait truffé le parcours initiatique de son héros d’une vaste série d’énigmes et de puzzles classiques, du genre de celle que le Sphinx donna à Œdipe, ou du fameux : «Plus on en met, moins c’est pesant. Qu’est-ce que c’est??». Je trouvais que ça manquait d’originalité, ces devinettes étant déjà très connues… mais je dois convenir qu’elles ne le sont pas des jeunes de 10 ou 12 ans! Pourquoi n’y seraient-ils pas confrontés via un roman plutôt que par un livret de devinettes, après tout?! Puis, il y avait aussi le melting pot mythologique qui me tarabiscotait… Je savais le récit peuplé de plein de créatures et de divinités issues de mythologies diverses, monsieur Perro ayant ratissé vraiment large pour créer son bestiaire et ses panthéons! Puriste comme je suis, j’ai un peu de difficulté avec les récits qui mélangent les créatures grecques (gorgones, cerbères, tritons et autres centaures) avec les dieux égyptiens, le folklore québécois et l’esprit vaudou… Ici, on s’enligne même pour y rajouter un soupçon de mythes scandinaves!! J’avais donc bien des réserves… Et bien, même si je ne suis pas entièrement convaincu, je dois avouer que je trouve le résultat quand même satisfaisant! Il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil, mais Perro a tout de même réussi à tisser des péripéties suffisamment enlevantes et entraînantes pour me faire oublier ces mélanges contre-nature. ;^) Et puis, la très grande quantité de légendes de toutes sortes qui parsèment les deux tomes enrichissent inévitablement l’imaginaire des jeunes lecteurs, ce qui est un gros plus, même si elles ne sont pas toutes d’égal intérêt!
- de belles trouvailles scénaristiques… Comme celle du chat mystérieusement à l’affût, dans le tome #1! Quel beau personnage inquiétant que ce chat, étonnamment alerte pour un aveugle!! ;^) Et puis j’ai particulièrement aimé la porte magique pour laquelle des armes servent de clé (p.111 du tome #1)! En effet, seules quatre armes, liées aux quatre éléments, permettent d’actionner le mécanisme d’ouverture : la flèche pour l’air, le trident (des sirènes) pour l’eau, l’épée (en métal forgé) pour le feu… et «une autre arme» pour la terre. Elle m’intrigue, celle-là!? Aurons-nous la chance de découvrir de quelle arme il s’agit plus loin dans la saga??... ;^)
- un bon degré de complexité. Les récits sont, somme toute, assez touffus, avec leurs revirements nombreux et leurs surprises comme des retours dans le temps, des coups d’éclats, des allégeances insoupçonnées, etc. En bref, il vaut mieux rester bien concentré!... Oh! Ça reste, malgré tout, abordable pour les jeunes… mais sans tomber dans le gnagna!! ;^)
- des personnages secondaires qui ont du jus! Perro sait comment réinvestir ses personnages secondaires, pour leur donner plus de chair au fur et à mesure que son histoire se développe! Junos, par exemple, après un départ très mollo, devient un personnage de belle importance! Et il n’est pas le seul! Certains autres, comme Médousa, Lolya ou Ganhaus, nous réservent de surprenants revirements de situations!! ;^)
- la belle place offerte aux prémonitions et aux prophéties. J’ai toujours aimé les histoires où l’on nous donne, dès le départ, un avant-goût de ce qui s’en vient, via une chiromancienne, une gitane ou une légende ancestrale! Ces prémonitions, toujours alambiquées ou codées, permettent au lecteur de jouer au détective, pour autant qu’il se risque à tenter d’en déchiffrer les propos obscurs!! ;^). Lolya, par exemple, à la p.34 du tome #2, y va de très intrigantes affirmations : ça ajoute beaucoup de piquant à l’affaire, je trouve!
Ce qui m’a le plus agacé :
- les (relatives) faiblesses graphiques. Primo, l’étirement des illustrations du tome #1 : chaque page est déformée, comme lorsque l’on prend une image, sur le net, et qu’on tente de l’agrandir en partant d’un côté plutôt que d’un coin! Ça rend la lecture assez désagréable… surtout que les dessins originaux semblaient très beaux!! Secundo, le léger manque de raffinement du dessin de Journoud, dans le tome #2. Mais j’ai déjà mentionné tout ça…
- quelques coquilles dans le premier tome. On a droit aux «insects» (p.59) et à la phrase : «Leur mission __ de rétablir l’équilibre entre le bien et le mal.» (p.89). Puis, des erreurs de sens. À la p.116, la belle Gwenfadrille se trompe en disant : «Les êtres de la nuit ont repris le combat en attaquant les Merriens.» Elle aurait logiquement dû dire : «…en attaquant les Sirènes.» ou «…en faisant attaquer les Merriens!». De plus, le dialogue entre Amos et Médousa, à la p.158, n’a pas trop de sens. Il sonne comme si le texte avait dû être changé à la dernière minute, mais sans révision! Voyez par vous-même : Médousa se défend, contrite, en disant : «Laisse-moi te raconter…» Ce à quoi le jeune héros lui répond : «Comprendre… Il n’y a rien à comprendre!»… !! J’ai l’impression que Médousa devait dire, dans une version antérieure : «Laisse-moi te raconter, tu vas comprendre!» Là, ça aurait du sens!! ;^)
- un bogue scénaristique dans le premier récit. Si le but premier de Karmakas était bien de récupérer son médaillon, pourquoi ses gorgones ne l’ont-elles pas pris autour du cou de Yaune, quand elles l’ont pétrifié, en même temps que le reste de la ville?? Pourquoi est-ce le vieux druide Mastagane qui a mis la main dessus en premier?? C’est une petite incohérence au scénario qui aurait facilement pu être corrigée!
- le très grand nombre de phrases chevauchant deux phylactères… mais tronquées à des endroits tout à fait inappropriés!! Autant dans le tome #1 que dans le 2, plusieurs bulles contiennent des phrases incomplètes, qui se poursuivent dans le phylactère suivant, mais sans tenir compte des blocs de sens de la phrase. Ainsi, ça donne des horreurs comme : «Nous avons trouvé ce chat aveugle dans…», suivi de «…un village avant d’arriver ici.» Ça n’a rien de naturel, cette césure, et ça nuit grandement à la lecture, surtout pour des albums qui s’adressent à des jeunes : leurs compétences de lecteur sont encore en développement!
- le manque de constance dans la typographie du tome #2. Souvent, la taille des caractères et celle des phylactères ne correspondent pas! Ça donne, au bout du compte, des textes écrits si petits qu’ils en sont difficiles à lire, ou des mini-textes perdus au centre de gros phylactères-ballons, avec beaucoup d’espace perdu (pourtant, compte-tenu de la petitesse de ces albums, ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup d’espace à perdre!!), ou encore, inversement, des textes écrits trop gros pour la taille des phylactères, avec des lettres qui dépassent des bulles… ou qui manquent, carrément (comme à la p.52). Manifestement, monsieur Journoud aurait intérêt à régulariser sa calligraphie… ou à faire affaire avec un calligraphe externe!! :^S
- un petit bogue géographique. Le monde médiéval fantastique que monsieur Perro a conçu ressemble fortement à notre Europe d’alors… Mais les noms de royaumes, et la carte (qu’on retrouve partout sur le Net), nous confirment qu’il s’agit d’un monde fantaisiste, comme c’est souvent le cas dans les récits d’heroic fantasy… Le problème, c’est que le tome #2 se termine alors que le Baron Samedi, un des ennemis d’Amos et de ses compagnons, se retrouve… en Scandinavie!!?? Personnellement, je trouve étrange que, dans ce monde imaginé de toutes pièces, on retrouve une région qui porte le même nom (et les mêmes attributs!! ;^) qu’une région de notre Europe à nous!! ;^P On est dans un monde fictif ou non?? Je déteste ces hybridations!!
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