#01- LE VOL DU CORBEAU, TOME 1
Scénariste(s) : Jean-Pierre GIBRAT
Dessinateur(s) : Jean-Pierre GIBRAT
Éditions : Dupuis
Collection : Aire libre
Série : Vol du corbeau
Année : 2002 Nb. pages : 56
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1/2)
Genre(s) : Aventure, Quotidien, Drame de guerre
Appréciation : 3.5 / 6
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la Résistante et le Monte-en-l'air
Écrit le lundi 15 novembre 2010 par PG Luneau
Le Vol du corbeau est un album qu’il m’a fait tout drôle de lire, tant il détonne de ceux que je lis habituellement : ce n’est ni un album jeunesse, ni un récit fantastique, d’humour ou de S.F. Ce n’est même pas un album policier, et il ne se déroule pas au Moyen-âge ou dans l’Antiquité, mes périodes favorites de l’Histoire de l’Homme.
Non, je viens de débuter un récit qui se déroule dans un passé somme toute assez récent, ce qui est nouveau pour moi. En effet, c’est l’Occupation allemande en France qui sert de cadre à cette histoire. Une période que je connais peu, et pour laquelle j’avais peu d’attirance. Toutefois, les illustrations de Jean-Pierre Gibrat sont tellement belles et on a tant parlé de ce récit en deux tomes, qui a gagné plein de prix, que je n’ai pas pu passer à côté : il fallait bien que je laisse la chance au coureur et que j’aille voir ce qui avait allumé tant de gens, en 2006, quand le public d’Angoulême a choisi sa suite (originalement intitulée le Vol du corbeau, tome 2 – sa critique viendra sous peu) comme coup de cœur annuel.
D’abord, il est important de préciser qu’on est en présence d’un auteur qui n’a pas peur d’installer ses pions et ses ambiances, tout comme Loisel et Djian l’ont fait pour leur série le Grand mort. Amateurs d’action, de pétarades et de feux roulants, passez votre chemin ou vous serez déçus!
Le récit débute alors que la jeune Jeanne, début vingtaine, vient d’être arrêtée par la police française : une lettre anonyme l’a dénoncée et on a retrouvé chez cette rebelle communiste des armes qu’elle destinait à la Résistance! Son statut n’est pas jojo et elle aurait été remise à la Gestapo si ce n’avait été de l’épatante hardiesse de François, son compagnon de cellule, un cambrioleur bon chic, bon genre, fantasque et un brin hautain. Profitant d’une alerte aérienne, alors que tous les policiers regagnent les profondeurs des bâtiments par mesure de sécurité, les deux protagonistes fuient par les toits et font connaissance, le temps d’une nuit. Si la belle gueule du sauveur avait pu intéresser la Jeanne, sa «profession» fort peu recommandable et son esprit trop vif finissent plutôt par l’exaspérer un peu.
Mais voilà que cette belle idéaliste se foule la cheville et se voit contrainte de se laisser mener par son Arsène Lupin… qui lui-même s’intéresse de plus en plus à la dame, une fois qu’il a découvert secrètement son identité! Tous deux trouveront refuge à bord de la péniche d’un couple d’amis de François, les charmants René et Huguette. Nos deux héros s’y cacheront et entreprendront une petite (mais très lente!) enquête pour déterminer qui a bien pu trahir Jeanne en la dénonçant à la police.
Étalé sur 56 pages, le tout est ponctué de dialogues souvent amusants et de réflexions intéressantes qui accentuent agréablement les contrastes entre la jeune rebelle à la noble cause et le bel égoïste au grand cœur. Parcourant le Paris de 1944, alors que les Amerloques sont sur le point de tous les sauver, on a droit à des splendeurs de décors aux couleurs terreuses et automnales, avec des dominances de vert olive et de jaune banane.
Une sympathique mise en place, qui m’a sorti de ma routine, mais sans plus. Je lirai toutefois la suite avec un grand bonheur, sachant que le récit se terminera avec ce deuxième tome… Et heureusement, car je ne suis pas sûr que j’aurais poursuivi si la série s’était étalée sur huit ou dix tomes. Une lecture pour adultes, de par le sérieux et la lenteur de son récit, avec quelques pointes d’humour, dans un enrobage de superbes illustrations comme seul Gibrat peut en réaliser. En espérant que la suite sera un peu plus punchée, comme elle semble s’annoncer!
P.S.: Curiosités : Voici une série de petites erreurs graphiques comme j'aime tant, que le site Placard à BD m'a permis de découvrir :
Observez bien l’encavement dans lequel les deux héros se terrent, aux p.16 à 20. Ne trouvez-vous pas qu’il est de largeur et de hauteur un peu variable? De même, le bout de toiture, à leurs pieds, est parfois large, parfois étroit, parfois inexistant… c’est assez aléatoire, tout cela, finalement!!
Merci à Placard à BD, et à Fred Aeschlimann, pour ces découvertes!
Plus grandes forces de cette BD :
- les dessins, d’un réalisme très pur, très class, très léché. Les décors sont particulièrement soignés : Paris n’aura jamais été aussi bien dessinée! Les toits gris et les façades de pierres beiges, très structurées, sont merveilleusement bien rendus et donnent envie de voyager! Les dominances de jaune soleil vivifient tout le récit.
- le personnage de François. Son éternelle insouciance et sa grande légèreté lui donnent un caractère sympathique, en plus d’offrir un intéressant contraste éthique avec Jeanne : lui si égoïste et opportuniste, elle si dévouée à sa cause.
- le mystère soulevé par François lorsqu’il apprend l’identité réelle de Jeanne et qu’il décide de ne plus la laisser tomber. Qui est-il? Quel est son agenda caché? Qu’est-ce qui le pousse tant à rebrousser chemin et à revenir aider Jeanne après leur séparation, sur les toits? Quelque chose, dans le porte-monnaie de la fille, l’a interpelé… mais l’auteur reste totalement muet sur ce point durant les 34 pages restantes! J’espère que le tome final saura nous en apprendre plus sur cet intrigant aspect du récit.
- le thème historique, qui présente le quotidien parisien durant l’Occupation. J’ai toujours adoré l’Histoire… Enfin, tout ce qui s’est passé de la préhistoire au XIXe siècle! Après, tout devient trop politique, complexe et ennuyeux pour moi. Je ne me suis donc jamais beaucoup intéressé aux deux Guerres mondiales… et j’ai donc beaucoup à apprendre sur le sujet! L’attrait que je trouve à ce récit est le fait qu’on s’y initie par la petite porte! Je veux dire par là qu’on nous présente le quotidien de Monsieur et Madame tout-le-monde, et non pas les grandes batailles ou les longs discours politiques. À ce titre, j’ai même hésité à y affubler l’épithète de «Drame de guerre», du moins pour ce tome-ci, tant la présence militaire, quoique sous-jacente tout du long de l’album, demeure en second plan. Cette approche «douce» me plait plus.
- le couple de pénichiers. Ils sont très drôles, tous les deux, et agissent comme les Laurel et Hardy du récit. Huguette, l’épouse, est particulièrement délirante avec ses réflexions jamais très brillantes. C’en est presque burlesque!
Ce qui m’a le plus agacé :
- le titre, qui n’a (actuellement) rien à voir avec le récit. S’il y a des petits larcins, commis sournoisement, la nuit, par ce cher François, nul oiseau noir à l’horizon, ni de près, ni de loin! Il faut croire qu’un «Corbeau» (un nom de code, je présume), fera son apparition dans le tome final.
- une ou deux vignettes moins bien réussies. Notamment à la page 6, vignettes trois et quatre, où Jeanne a l’air d’un travelo!! Ça m’a vraiment frappé, car je croyais que ce fameux Gibrat était un intouchable, incapable d’imperfection! De fait, ça ne le rend que plus humain… et encore plus sympathique!! Voilà donc une lacune fort positive, finalement!!
- le rythme somme toute très lent du récit. On arrive à la moitié du tome, et tout ce qu’on sait, c’est que Jeanne a été emprisonnée pour collaboration avec la Résistance et qu’elle a réussi à s’enfuir par les toits grâce au beau François. Et la deuxième demie n’est guère plus trépidante : les deux bagnards en cavale trouvent refuge chez des pénichiers et s’y cachent pour ne pas se faire reprendre! Voilà, fin de l’album. J’espère que le tome final offrira un peu plus d’action.
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