#01- LE SANG DE LA MOMIE / LE VAMPIRE DE STOCKHOLM
Scénariste(s) : Ola SKOGÄNG
Dessinateur(s) : Ola SKOGÄNG
Éditions : les 400 coups
Collection : Rotor
Série : Théo
Année : 2008 Nb. pages : 68
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1/3)
Genre(s) : Héros animalier, Thriller fantastique
Appréciation : 4.5 / 6
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Stockholm la sanglante
Écrit le mardi 05 juillet 2011 par PG Luneau
Le hasard fait curieusement les choses, parfois, vous ne trouvez pas?
Je viens de commencer à écouter la télésérie suédoise Millénium, qui est en fait une adaptation des films, eux-mêmes tirés de la maintenant mondialement célèbre trilogie de romans écrite par Stieg Larsson (vous suivez toujours?!). Et c’est une des premières fois de ma vie que j’écoute un truc scandinave, baigné que je suis dans les séries québécoises et américaines ou, plus rarement, françaises ou britanniques. J’y découvre de nouvelles facettes de notre monde : les superbes vues de Stockholm, cette «Venise du nord», d’une beauté un peu glaciale; sa lumière un peu terne sous le ciel souvent gris; les noms surmontés d’innombrables trémas ou de mignons petits cercles (je ne connais même pas le vrai nom de ces signes diacritiques scandinaves!) et l’approche assez crue des faits et des images qu’on nous y présente. Bon, j’avoue que ce Millénium est un violent polar bien noir et bien sanglant, qui présente certains archétypes plus «spécifiques» à ce genre qu’à la culture suédoise en tant que telle, et il faudra que je fasse bien attention de ne pas confondre les deux, question de ne pas biaiser la perception naissante que je me fais du peuple suédois!
Mais voilà que je débute aussi la lecture d’une petite série de BD qui me faisait de l’œil depuis quelques temps déjà, une série publiée chez-nous, aux 400 coups, mais créée de toutes pièces par un bédéiste suédois nommé Ola Skogäng. Et bien laissez-moi vous dire que cette deuxième incursion dans l’imaginaire nordique ne m’aide pas à avoir une vision plus sereine des Stokholmois!
Quelle étrangeté que cette petite traduction! Elle est si touffue et si atypique que je ne sais trop comment vous en parler sans paraître disjoncté! J’essaie quand même :
Un dangereux fou furieux s’évade d’un asile. Puis, un petit criminel de 95 ans est retrouvé complètement exsangue, dans sa cave, deux mois après qu’on lui ait fracassé le crâne… mais sans qu’aucune goutte de sang n’ait coulé! On soupçonne… un vampire!! L’inspecteur chargé de l’affaire demande l’aide d’un consultant de ses amis : Théo, un grizzly antiquaire spécialisé dans les curiosités liées aux sciences occultes!! S’ensuit une belle scène, gore à souhait, où une gentille secrétaire subira les atroces conséquences d’avoir oublié la petite livraison qu’elle devait faire, puis une scène sous-marine où l’on voit deux hommes-poissons-morts-vivants (!?!?) qui croient avoir trouvé le moyen d’éliminer Théo! Si ce n’est pas assez bizarre pour vous, je rajoute que notre compère ours se voit forcé de traîner avec lui, sur les lieux de ces crimes sanglants, une fillette de neuf ou dix ans que sa mère (la voisine de Théo) abandonne la moitié du temps.
Voilà. Théo, c’est tout ça! Un Millénium sous l’acide (avec au moins autant de voitures de «polis» que dans la télésérie!), un Blacksad nordique en plus morbide, une histoire hybride zyeutant du côté de John Irving (pour l’ours anthropomorphique) et de Stephen King (pour l’hémoglobine)… avec un détour dans un asile qui n’est pas sans rappeler celui d’Arkham, dans la Gotham city de Batman!! Et le pire, c’est que cette macédoine totalement impossible est génialement efficace!!
Elle ne forme, d’ailleurs, que le premier tiers du récit intitulé le Sang de la momie. Les éditions québécoises les 400 coups ont préféré séparer le récit en trois, probablement afin de pouvoir l’intégrer au format de leur si intéressante collection Rotor. Nous n’avons donc ici que la prémisse du récit mais, comme disait Beau Dommage : «C’est b’en assez pour se faire aimer!» L’intrigue est si enlevante, il y a tant de protagonistes en interrelation et de pistes ouvertes qu’il me tarde de lire la suite. C’est comme si on se trouvait devant un écran d’ordi avec des dizaines de fenêtres interdépendantes qu’on voudrait toutes lire en même temps! Heureusement, j’ai le tome #2 sous la main, et le tome #3 devrait être disponible dans les jours qui viennent. Pfiou! Je n’aurai pas trop à attendre pour retrouver le dessin si étrangement simple et l’imaginaire si étrangement… flyé de monsieur Skogäng.
À découvrir, pour les mordus de littérature hybride qui n’aiment pas les catégorisations. À partir de 14 ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- des dessins complètement épurés, en contraste total avec la noirceur des propos. C’est d’ailleurs grâce à cette clarté dans les lignes (qui donne même à l’ensemble certains airs «hergéens» par moment – dans les visages, surtout), que je parviens à lire un récit aussi glauque. J’adore les vignettes, très grandes, très nettes et dépouillées… et l’économie de texte aère encore plus les planches! Que de la fraîcheur graphique… pour faire passer la densité scénaristique! C’est tout à fait dans la même lignée que les dessins colorés, proprets et tout en douceur d’Ers, sur l’excellente série les Démons d’Alexia, série qui s’apparente d’ailleurs pas mal à celle-ci, finalement, dans le ton.
- la belle utilisation des lieux. Je me suis plu à reconnaître les intérieurs des maisons, dessinés sous différents angles, et à faire le parallèle avec leurs vues extérieures (emplacement des portes et fenêtres, dimensions des pièces…), et il me semble que l’artiste a très bien réussi à respecter ses changements de plans et d’angles de vue. Ça ne m’étonnerait pas que Skogäng ait modélisé ses lieux avant de les dessiner sous tous ces angles. J’ai aussi adoré le grand talent de l’auteur pour tisser des liens subtils entre les indices (photos, tentacules qui sortent du combiné téléphonique…), ce qui met les bons lecteurs sur la piste mais pourrait échapper aux lecteurs moins expérimentés!
- l’originalité incongrue de l’univers présenté. En fait, il s’agit d’un monde tout ce qu’il y a de plus réaliste… sauf qu’il y a un ours qui tient boutique en pleine ville!! C’est d’ailleurs très drôle de voir les malaises que cet imposant grizzly fait naître quand il arrive quelque part. Il est intégré dans son milieu, oui, mais suscite quand même des tonnes de réactions, de la crainte au rejet en passant par le dégoût. La vie ne doit pas être facile tous les jours, pour Théo!
- le clin d’œil à Larsson, auteur de Millénium. Ce n’est sûrement pas un hasard si le commissaire de «polis», le grand patron bougon de l’Unité d’Investigation criminelle, s’appelle Léo Larsson! Il me semblait bien qu’il y avait certaines affinités entre les deux œuvres!
- deux personnages centraux très forts. Un ours-consultant en affaire ésotérique! Qui tient une boutique de brocante où momies et pieux anti-vampires sont à l’honneur! Et sa petite voisine d’une dizaine d’années qui le suit partout, jusque sur les scènes de crime!! Weird! La quatrième de couverture nous en apprend un peu plus sur Théo : il serait en fait un ours avec une âme humaine! Et certains indices très savamment dispersés par l’auteur tendent à nous faire comprendre que lui-même serait peut-être à la recherche d’informations pour comprendre son état… Mais ai-je bien interprété ces indices?!
- l’humour tout à fait particulier. Malgré la lourdeur des crimes présentés, on sent comme une légèreté, sûrement accentuée par la simplicité graphique, mais aussi par le ton, ou l’angle d’approche utilisé. Peut-être est-ce parce que la présence de l’ours est si aberrante qu’on prend automatiquement tout le récit au second degré? Chose certaine, l’album fourmille de petites cocasseries, comme le téléphone Mickey Mouse qui trône chez Théo : n’est-ce pas un peu paradoxal de retrouver un tel objet chez un antiquaire de l’occulte?! J’aime beaucoup cet humour si particulier, bien qu’un peu difficile à définir, que j’ai ressenti tout au long de ma lecture.
- l’efficacité de l’intrigue. Aussi tordue, enchevêtrée et machiavélique qu’elle soit, je VEUX connaître la teneur de cette histoire! Et ça m’étonne d’autant plus que ce n’est pas un genre de récits que j’apprécie particulièrement! C’est, à mon sens, la meilleure preuve que cet album est une réussite, vous ne trouvez pas??!
Ce qui m’a le plus agacé :
- peut-être un peu la touffeur de l’intrigue. Il y a beaucoup de monde, beaucoup de lieux différents, beaucoup de contextes. Faire le lien entre tout ça demande une bonne dose de concentration et de logique! S’y retrouver exige parfois de relire certains passages ou certaines images… ce qui, en soit, n’est pas déplaisant! Le fait qu’il nous manque encore certains éléments-clés n’aident évidemment pas, non plus.
- la rapidité de lecture. Comme les vignettes sont de grande taille, dans un album de petit format (18,5 cm x 26 cm, comme tous ceux de cette collection), ça fait qu’il n’y a souvent que trois vignettes par planche. Et comme il y a, somme toute, assez peu de texte, cet épisode se lit très rapidement. Finalement, on pourrait s’interroger sur la pertinence d’avoir séparé ce récit en trois tomes… Il me semble que je suis resté sur ma faim!
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