#01- SAINT-JEAN-D'ACRE
Scénariste(s) : Frédéric BRRÉMAUD
Dessinateur(s) : Federico BERTOLUCCI
Éditions : Soleil
Collection : X
Série : Richard Coeur de Lion
Année : 2005 Nb. pages : 46
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre
Genre(s) : Héros animalier, Fantastique médiéval, Humour
Appréciation : 3 / 6
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Du Disney mal apprêté
Écrit le lundi 19 juillet 2010 par PG Luneau
Vous vous souvenez de Robin des Bois, le classique de Disney avec un renard dans le rôle-titre, une renarde dans celui de la belle Mariane et un blaireau qui incarnait Frère Tuck? On nous y racontait les méfaits du méchant roi Jean Sans Terre qui avait la charge du royaume en l’absence de son frère, le grand Richard Cœur de Lion.
Et bien Frédéric Brrémaud et Federico Bertolucci semblent avoir été fort marqués par cet excellent dessin animé car pour leur série Richard Cœur de Lion, non seulement ils nous racontent cette croisade vécue par le grand roi, mais ils le font en repiquant presque intégralement le graphisme zoomorphique que les animateurs de Disney y avaient déployé! Au cours de toutes mes lectures bédéesques, j’ai rarement vu du calquage de personnages frôler autant le plagiat! Si le dessin de Bertolucci est agréable et assez bien maîtrisé, il n’a absolument rien d’original puisqu’il reprend presque ligne pour ligne la bible graphique de ce Robin des bois : les poules, les rhinocéros et les hyènes en armure sont identiques à ceux du dessin animé, de même que les chiens vêtus en pèlerins. Mais monsieur Bertolucci s’est quand même forcé : pour son personnage du grand Saladin, il a pigé dans le Roi Lion pour calquer la tête du méchant oncle Scar, puis pour son Conrad de Montferrat, le méchant de service, il s’est servi du visage de Shere Khan, du le Livre de la jungle, mais en gris… pour ne pas que soit trop évident??! Disney pour Disney, autant qu’on en ait pour notre argent!! Sommes-nous vraiment surpris d’apprendre que ce Bertolucci a travaillé longtemps chez Disney-Italie?! Mais de là à tout copier de manière aussi évidente!! Ça m’apparaît osé!
Pour ce qui est du scénario, il va à peu près comme suit : Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, quitte son royaume et part, en compagnie de Philippe-Auguste, roi de France, pour aller en Palestine taper du Musulman. Les deux monarques débarqueront à Saint-Jean-d’Acre, où Conrad de Montferrat, un noble de haut lignage attiré par l’appât du gain, a déjà débuté le siège.
Montferrat presse ses deux alliés royaux à attaquer au plus vite : la ville ne tiendra pas sous le nombre de leurs armées!! Mais Richard est troublé. Le pays lui rappelle de vagues souvenirs et il s’y sent bien. De plus, il désire attendre l’arrivée du roi d’Allemagne… et puis, curieusement, la personnalité de Saladin lui plait et il ne désire pas affronter ce farouche guerrier qui en dégage! Tout ceci aura l’heur de plaire à Paranoïa, la jeune et très agile musulmane qu’on a donnée à Richard à titre d’aide de camp, d’interprète et de conseillère particulière.
Cœur de Lion pourra-t-il encore longtemps retenir les assauts de Conrad de Montferrat et de ses hommes? Rien n’est moins sûr. Et saura-t-il calmer les ardeurs de la belle Paranoïa, qui accepte mal de voir le grand monarque refuser ses avances? Il vous faudra lire l’album pour le savoir… Quoique…
Est-ce que je recommande vraiment cet album, qui m’a beaucoup déçu? Peut-être pas. J’avais gardé un assez mauvais souvenir de ma première lecture, lors de sa parution en 2005. La relecture que je viens d’en faire, dans le but d’enchaîner avec le tome #2, m’a tout autant dérangé. Ce n’est pas que c’est mauvais en soit, mais trop de petits détails sont venus m’horripiler tout au long du récit, tant sur le plan graphique que scénaristique. Chacun de ces petits reproches seraient pardonnables, pris individuellement, mais leur accumulation me pousse à ajuster ma note à la baisse, même s’il s’agit d’un thème qui me passionne. Peut-être le tome suivant saura-t-il apporter des explications qui éclairciront mes appréhensions? Je nous le souhaite de tout cœur… de lion!
Plus grandes forces de cette BD :
- l’éclatement de certaines mises en page. Federico Bertolucci est fort habile pour encastrer de petites vignettes dans des cases plus grandes ou pour faire dépasser un personnage du cadre de sa vignette sans nuire à la fluidité de lecture. Certaines planches sont d’ailleurs très belles, comme celle de la page 3 ou celle de la page 45, avec son intéressante case en diagonale.
- les interventions assez verbeuses du narrateur. Malgré qu’elles soient assez longues, elles sont rédigées sur un ton très humoristique. De plus, ces apartés se font moins fréquents à partir du milieu de l’album.
- une assez bonne anthropomorphisation des animaux. Quoi que Bertolucci ait calqué presque intégralement la bible graphique du dessin animé Robin des Bois, il n’en demeure pas moins que c’est un de mes films de Disney préférés. J’adore tous ces personnages animaliers qui bougent et vivent comme des humains, et Bertolucci parvient à rester bien fidèle à ces traits que j’ai toujours adorés. C’est d’ailleurs probablement pourquoi j’ai acheté l’album, en tout premier lieu!
- le personnage de Philippe-Auguste. C’est très drôle de voir cet illustre roi de France personnifié par un cochon couard et maladroit. Il apporte une belle dose d’humour.
- le thème des Croisades abordé sous un angle léger. Il est clair que le but des auteurs n’est pas de reconstituer une fresque historique! Ils y vont de leur vision très personnelle de ce qui a pu se passer lors de cet important épisode de notre histoire occidentale. Néanmoins, ils nous présentent certains personnages historiques que je ne connaissais pas vraiment, tel le perfide Conrad. J’ai aimé goûter un peu de cette troisième Croisade et me baigner dans cette époque charnière.
- les couleurs vives. La coloration des eaux, tant celles de la mer (p.37) que celles des bassins et des piscines (p.36, 39 et 40), est particulièrement bien réussie, avec de beaux effets de miroitements.
Ce qui m’a le plus agacé :
- la violence relative du récit. C’est sûr, on ne fait pas la guerre sans casser les œufs… Mais de là à montrer les corps qui se font trancher en deux, en largeur ou en hauteur, il y a un écart qui aurait été plus souhaitable. Malgré les innombrables batailles des aventures d’Astérix, que l’on perçoit toujours comme très intenses, aucune goutte de sang n’a jamais été montrée par Uderzo dans ces dessins!! Ici, les têtes roulent plus souvent qu’à leur tour et les cadavres sont presque dépecés devant nos yeux! Si ça se veut cocasse, c’est surtout d’une morbidité inutile qui ne cadre pas avec la sympathique bonhomie du graphisme choisi.
- le nom du principal personnage féminin. Pourquoi diantre avoir affublé la belle courtisane qu’on met au service de Richard du ridicule nom de Paranoïa?! Ça se veut un jeu de mots? Je ne le comprends pas. Ça ne sonne même pas un tant soit peu arabe! Si au moins la courageuse jeune femme était d’un naturel surexcité, ou encore excessivement posée et d’humeur égale, j’aurais compris qu’il s’agissait d’un clin d’œil ou de sarcasme… Mais non, même pas! Bref, c’est du grand n’importe quoi!
- les mots manquants!!?? En effet, il appert que le bon roi Richard devine le nom de sa belle garde du corps, à la page 13 : bien que personne ne lui révèle le ridicule patronyme de celle-ci, il l’interpelle quand même par son nom dans la dernière vignette. Même chose à la page 32! Quand le soldat de gauche demande à celui de droite : «Quoi, Richard?», il fait de toute évidence référence à une exclamation dite par celui de droite l’instant d’avant… Or, la seule expression dudit soldat de droite, en apercevant le roi Richard qu’il croyait mort, est : «?!». M’est avis que le scénariste a retouché le texte de ses vignettes à la dernière minute, sans vérifier l’impact que ça aurait sur le reste du récit. Décidément, le métier de correcteur d’épreuves en est un qui se perd!!!
- les personnages non «zoomorphés». Pourquoi tous les personnages sont-ils des animaux sauf Paranoïa et les pitounes du harem de Saladin? Celles-ci sont on ne peut plus féminines, si ce n’est de leurs oreilles pointues qui leur donnent un air elfique! Oups! J’allais oublier l’autre personnage qui est resté humain : Jésus sur sa croix!! Les auteurs se sont gardé une petite gêne iconographique?!
- les soudains revirements psychologiques des personnages. Trop épris de l’épouse (turque!!?) de son frère, Richard ne remarque pas les efforts que met Paranoïa pour le courtiser. Pourquoi change-t-il subitement son fusil d’épaule? Et pourquoi Paranoïa prend-elle la mouche aussi soudainement? Doit-on comprendre qu’elle est outrée par ce que les Croisés font subir à son peuple alors qu’elle avait cru en la bonté de Richard? Si telle est l’explication, elle n’est pas évidente, preuve supplémentaire que la narration n’est pas fluide du tout.
- les passages incohérents, flous ou sans rapport. Par exemple, les planches 16 et 17 ne font que rallonger inutilement le récit : qu’est-ce que cette histoire de carottes et de souris lancée aux pieds du roi Richard a à voir avec l’apparition de Saladin sur les remparts? Voilà une scène bien mal narrée. De même, le fameux rêve de massacre dans une église, qui ouvre l’album et qui revient par intermittence : il semble important, mais saura-t-on un jour en quoi? Serait-il en lien avec les mystérieuses impressions de déjà-vu de Richard? Le saura-t-on un jour? Beaucoup de mystères plus ou moins bien amenés.
- l’inégalité des dessins. Si certaines planches sont correctes, d’autres sont plutôt pauvres, avec des dessins aux proportions maladroites et, trop souvent, des fonds en à-plat qui évitent d’avoir à dessiner les décors. Ça sent le «fait à la va-vite».
- le gros problème de focus. À qui s’adresse ce récit? Les personnages animaliers, dans la plus pure tradition disneyenne, peuvent nous laisser croire que c’est pour les enfants, mais les massacres bien sentis et les courtisanes aux courbes assez provocantes freineront sans doute les ambitions des petites mamans qui veulent une petite BD pour leur petit garçon chéri. De plus, quel genre veut-on camper? On est dans l’animalier, dans l’historique, dans l’humoristique (quoi que fort peu drôle!), dans le parodique, dans l’anachronique (les doigts et bras d’honneur, la chanson We are the champion, le génie qui mange un sac de chips!!…), dans le fantastique (que vient-il faire dans cette histoire, d’ailleurs, ce génie de la lampe?!)… Si parfois un tel amalgame peut donner un résultat intéressant, il en résulte ici un fouillis qui rime avec n’importe quoi. Et les dessins enfantins n’aident en rien à nous repérer dans ces salmigondis embrouillés!
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