#01- LARMES D'ABEILLE
Scénariste(s) : Régis LOISEL, Jean-Blaise Mitildjian dit DJIAN
Dessinateur(s) : Vincent MALLIÉ
Éditions : Vents d'Ouest
Collection : X
Série : Grand mort
Année : 2007 Nb. pages : 60
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre
Genre(s) : Fantastique
Appréciation : 4.5 / 6
|
Très lente mise en place
Écrit le mercredi 13 octobre 2010 par PG Luneau
Loisel est un auteur qui fait partie des bonzes, en Europe. C’est pourquoi il peut s’en permettre : après des succès fulgurants comme sa Quête de l’oiseau de temps, son fabuleux Peter Pan et l’excellente série présentement en cours Magasin général, inspirée du terroir de sa nouvelle terre d’adoption (chacun sait que le maître vit maintenant au Québec!), je suis sûr qu’il peut se permettre certains caprices auprès des éditeurs chez qui il dépose ses projets!
Aussi, Vents d’Ouest n’a pas du faire trop de chichi quand ils ont réalisé que le premier tome de la nouvelle série qu’il rédige en compagnie de son ami Djian faisait dans le long format : soixante pages, c’est devenu rare, surtout pour un premier tome!! Toutefois, je ne suis pas sûr qu’ils auraient accepté de publier cette très longue mise en place si le nom du grand maître n’y avait pas été associé!
Non pas que l’album n’est pas bon! Au contraire, nous sommes devant un objet de qualité, tant au niveau des dessins de Vincent Mallié que sur le plan du scénario de Loisel et Djian… mais j’ai rarement vu des auteurs oser prendre tant de temps pour mettre en place leur récit. Voyez plutôt.
Le Grand mort, c’est l’histoire de Pauline, une jeune universitaire qui s’en va séjourner dans la campagne bretonne, question de préparer tranquillement sa maîtrise en science-éco. Malheureusement, suite à une série de problèmes mécaniques fortuits, elle se retrouve à crécher chez Erwan, un gentil Breton de son âge, qu’elle vient de rencontrer. L’étrange jeune homme semble croire au Peuple Fée!?! Pour amadouer le scepticisme de cette invitée-surprise, le garçon lui présente maître Cristo, un vieil aveugle qui permettra à la jeune femme de découvrir un fascinant univers parallèle.
Voilà. C’est tout. Ce synopsis résume les soixante pages de l’album… et n’importe quel scénariste aurait pu faire tenir ce même récit dans vingt pages, tout au plus. Mais voilà : Loisel et Djian ne sont pas n’importe qui. Ces deux hommes prennent le temps d’installer, de montrer, de faire sentir et ressentir les choses. Ils étoffent, prennent leur temps et nous entraînent doucement, de manière toute naturelle. Cette lenteur est nécessaire, je crois, pour qu’on accepte, en tant que lecteur, que le fantastique soit si près de notre monde moderne. Mais ce que le récit gagne alors en réalisme, il le perd en rythme.
Ça fait qu’à la fin des soixante pages, j’ai finalement trouvé qu’on n’était pas rendu bien loin dans l’intrigue! Heureusement que j’ai déjà la suite sous la main, car je ne suis pas sûr que j’aurais été assez accro pour attendre un an avant de me la taper! Car, quand on ne sait encore rien de ce que les protagonistes sont venus faire dans un monde féérique après soixante pages, on peut raisonnablement se demander si on le saura au bout de trois ou quatre cents pages, non?!?
Un tome d’introduction, donc, mais qui introduit peu de gens et fort peu d’informations sur leur mission ou le monde dans lequel ils sont plongés. C’est à souhaiter que le tome deux sera plus éclairant!
Plus grandes forces de cette BD :
- la couverture et la quatrième de couverture. D’un beau rouge vif, la première nous montre Pauline, l’héroïne, qui traverse une espèce de champ de blé écarlate avec une mystérieuse créature bleuâtre sur les épaules. Ça donne déjà le ton pour ce qui est de l’étrangeté. Pour ce qui est de la quatrième de couverture, elle présente, en un filigrane trop palot à mon goût, un des splendides paysages bucoliques que l’on peut retrouver dans l’album.
- le personnage de Pauline. Énergique et fougueuse, gaffeuse et malchanceuse, sceptique mais complètement dépassée par les événements, elle a tout pour plaire! Et ce surnom de Popo! Quel délice! Surtout quand on sait ce que signifie ce terme chez nos cousins français!!
- la clarté éclatante des verts qui illuminent tous les paysages de l’album. C’est vivifiant et ça donne le goût d’aller courir dans les bois! Bravo à monsieur Mallié pour ses superbes scènes forestières et au dénommé Lapierre pour la vivacité de ses couleurs.
- la scène dans les blés rouges, comme sur la couverture. Si elle débute de manière fort cocasse, cette scène se continue en suscitant de vastes inquiétudes auprès des lecteurs les plus attentionnés. Déjà, sur la couverture, la menace potentielle était évoquée, de manière tout à fait subtile. J’ai bien aimé la manière toute discrète employée par le scénariste pour faire monter la tension narrative. Un lecteur un peu endormi ou nonchalant passera à côté sans même s’en rendre compte… Personnellement, ça m’a rendu tout fier de l’avoir perçu!
- la longueur de l’album! Un premier tome de soixante pages!! Wow! Habituellement, on retrouve cette pagination exceptionnelle seulement dans les one-shot ou les tomes finaux, quand les auteurs veulent boucler leur intrigue correctement et qu’ils ont mal calculé leurs affaires : alors seulement certains éditeurs acceptent de déroger. Mais ici, pour un début de série (et le tome deux est tout aussi long!!), c’est vraiment étonnant… Et ça laisse place à une mise en situation très graduelle… et même, vous l’aurez compris, peut-être un peu trop!
Ce qui m’a le plus agacé :
- l’absence d’illustration sur les pages de garde. Pour un bel album comme celui-là, je trouve dommage que l’illustrateur n’ait pas pris la peine de nous gâter un peu. L’éditeur aurait pu lui fouetter les sangs! Deux doubles pages beiges, ça fait fade pas à peu près!
- la lenteur du récit. Comme je le disais plus haut, l’essentiel de toute cette histoire pourrait tenir en vingt planches! Ici, les auteurs misent sur les ambiances, les impressions, les non-dits… Ça ralentit le rythme d’autant, ce qui explique que le motif du périple dans cet univers féérique n’est pas du tout abordé. Dommage, car bien que le monde enchanté est visuellement très beau, si les protagonistes s’y retrouvent sans raison, moi, ça ne me satisfait pas : j’ai besoin de comprendre, de voir une logique, même (et surtout!) dans le fantastique! Vivement des explications!
|