#07- SEPT PRISONNIERS
Scénariste(s) : Mathieu GABELLA
Dessinateur(s) : Patrick TANDIANG
Éditions : Delcourt
Collection : 7
Série : 7
Année : 2009 Nb. pages : 64
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : S.F.
Appréciation : 4.5 / 6
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Une grotte préhistorique... sur la Lune!?
Écrit le mercredi 28 juillet 2010 par PG Luneau
Quelle découverte sensationnelle ce serait de trouver une grotte contenant des sépultures préhistoriques et des peintures rupestres sur notre unique satellite naturel!? Tous les scientifiques du monde entier voudraient s’y rendre pour étudier ce fabuleux phénomène! C’est en gros ce qui se passe dans le dernier tome de la collection 7 intitulé 7 prisonniers.
Le problème, c’est que l’histoire se déroule en 2062 et qu’en ces temps futurs, la Lune est devenue une grosse colonie pénitentiaire où tous les criminels de la planète sont largués sans possibilité de retour. Ils y vivent dans un pitoyable état de barbarie sauvage dû au sévère rationnement auquel l’ONU les contraint. Regroupements tribaux, guerres sans pitié et cannibalisme ont rapidement refait surface dans cette jungle sans pitié.
Le problème, c’est aussi que ce sont ces prisonniers qui ont découvert la grotte, et ils viennent d’envoyer un ultimatum aux dirigeants de la prison : ils feront sauter ce trésor archéologique si leurs conditions de vie ne s’améliorent pas.
Le problème, c’est aussi que l’ONU n’en a rien à foutre de cette découverte scientifique, qu’elle a gardé l’information secrète et qu’elle n’a rien dit non plus au sujet de la révolte des prisonniers et du fait que ceux-ci ont pris le contrôle total de la prison. Pourquoi alerter l’opinion publique puisque, de toute façon, les renégats n’ont aucun moyen de quitter le sol lunaire, les vivres et les nouveaux arrivants étant largués trop loin des bâtiments pour qu’ils puissent espérer assaillir les navettes?!
Mais le multimillionnaire français Laroche Galouseau n’a que faire de tous ces problèmes, car il a les contacts, l’argent et l’intelligence pratique pour contourner tous ces obstacles. C’est ainsi qu’il a appris pour la découverte de la grotte, pour la rébellion et pour l’ultimatum… Et c’est ainsi qu’il a pu, grâce à quelques pots-de-vin bien placés, orchestrer une mission d’exploration passablement ingénieuse. Pour ce faire, ce «charmant» personnage est évidemment prêt à tuer sa mère… au sens propre (!?), puisque seuls les criminels ont accès à la Lune! Dans la navette qui l’y amène, il se sélectionnera une équipe de cinq condamnés aux compétences complémentaires pour non seulement découvrir ce qui se cache dans cette grotte mystérieuse, mais aussi revenir sans encombre, et libres, sur Terre, malgré la surveillance satellite.
Vous l’aurez compris, messieurs Gabella et Tandiang nous plongent dans une mission à la James Bond des plus tordues… mais contrairement à notre 007 adoré, les choses ne tourneront pas toujours bien, loin de là! À peu près rien ne fonctionnera comme prévu, dans cette galère, et c’est tant mieux pour nous, lecteurs, car nous en sommes quittes pour des rebondissements en cascades!
Si le personnage principal est prétentieux, manipulateur et antipathique, certains autres membres de son équipe suscitent plus d’intérêt, comme le docteur Labbé, narrateur et objecteur de conscience du groupe, ainsi que le mystérieux septième coéquipier, caché dans une espèce de sarcophage tout au long du trajet! Et comme il s’agit d’un one-shot, monsieur Gabella ne se sentait pas obligé de garder tous ses personnages pour en faire une série, ce qui nous donne une finale dès plus surprenante, pour ne pas dire déroutante!
Les dessins de monsieur Tandiang sont très réussis, dans un style réaliste, et les contrastes de couleurs très vives sur fond de nuit étoilée, concoctés par le coloriste Yves Lencot, donnent de superbes effets.
Bon scénario, beaux dessins, belles couleurs… Sept prisonniers, un des meilleurs tomes de cette collection éphémère. De quoi régaler les amateurs de S.F., ou les dilettantes ouverts d’esprit, comme moi!
Plus grandes forces de cette BD :
- le dessin et les couleurs, fort bien réussis. Les personnages sont peut-être un tantinet trop anguleux, mais ça reste agréable pour l’œil. De plus, les appareillages mécaniques (ascenseur vers l’astroport, vaisseaux spatiaux, bâtiments lunaires…) sont très impressionnants de complexité. Bravo à Tandiang et Lencot, un duo illustrateur/coloriste à suivre.
- la narration par un des six membres recrutés (à leur corps défendant) par Laroche Galouseau. Ça enlève un peu de focus à ce milliardaire qui, de toute façon, n’est pas attachant. Puis ça donne un son de cloche différent, une vision extérieure.
- les beaux inserts allégoriques. De-ci de-là, monsieur Tandiang intercale des cases en contrepoint, toutes avec des papillons fluorescents. Ces vignettes insufflent un brin de poésie dans toute cette histoire un brin morbide et, même si le sens de certaines est plus nébuleux, la plupart s’amuse à illustrer de manière imagée les situations dans lesquelles se retrouvent les héros.
- la construction du récit. Elle est assez fluide pour permettre à un lecteur moins expérimenté dans ce genre d’histoire complexe (comme moi, par exemple!) de quand même bien suivre et bien comprendre ce qui se passe. C’est vraiment un gros point fort car avec tout le contenu qu’il y a dans ce récit, ça aurait pu très facilement partir en vrille.
- les bulles d’air. Quel moyen de transport original, pour survivre en sol lunaire. Il s’agit de gros ballon translucide dans lequel chacun s’insère pour ensuite «rouler» jusqu’à destination. L’air inclus dans le ballon étant le seul disponible, on ne peut pas se permettre de faire trop de détours!! Toutefois, il me semble qu’il y a un illogisme. Mes cours de physique sont loin, mais je crois me rappeler que l’absence de pression atmosphérique sur la Lune devrait faire en sorte que l’air du ballon cherche à prendre de l’expansion : les bulles ne devraient-elles pas forcément éclater?
- l’histoire, déjà solide, qui est fortement rehaussée par tous les imprévus. On ne nous lâche pas deux secondes. Quand ce n’est pas en nous essoufflant dans une course folle contre la montre ou lors des attaques entre les clans (lors de l’alunissage, par exemple), c’est en nous gardant collés à notre album par des explications étonnantes sur le fonctionnement interne des tribus de prisonniers (les images en lien avec le cannibalisme sont particulièrement dégoûtantes!!). Un bel équilibre entre action et discussions, toujours stimulant.
- la finale. Plus on avance dans le récit, plus la part «Mission Impossible à la James Bond» laisse place à une aventure de survivance qui lorgne presque vers le fantastique. On sent que les choses finiront très mal pour à peu près tout le monde, mais on ne sait pas d’où viendra le danger, ni quelle forme il prendra. Cela fait en sorte que, quand on arrive à l’apothéose finale, on a beau nous avoir un peu expliqué le phénomène, jamais on n’aurait pu s’attendre à ça! Surprenant, grandiose, fulgurant…
Ce qui m’a le plus agacé :
- certains aspects un peu tirés par les cheveux. Par exemple, quand le milliardaire devient borgne lors d’une escarmouche et qu’on a droit à un simple «Nettoyez-moi ça en vitesse, docteur», sans aucune autre réaction, aucun contrecoup affectif ou aucun besoin de réadaptation, on croirait presque que c’est une joie que de perdre un œil!! De plus, il nous est permis de douter un peu de l’intelligence incroyable et de la chance inouïe de cet homme, qui a su tout orchestrer ce plan impossible en moins d’une semaine, C’est peut-être un peu fort, même pour un génie.
- la touffeur du récit. Il y a vraiment beaucoup d’éléments disparates dans cette histoire : le contexte politique, l’ingénieux plan préparé à l’avance, l’organisation et les modes de survie des clans de prisonniers, la grotte, son incroyable contenu et l’ampleur de l’impact que cette découverte pourrait avoir, l’interaction de tous ces éléments, les psychologies un brin tordues de la plupart des personnages… C’est un peu comme si ça allait être la seule BD que l’auteur n’écrira jamais et qu’il voulait tout y mettre! Pourtant, monsieur Gabella a d’autres titres à son actif! Heureusement, il réussit à rester clair malgré tout.
- la narration philosophico-moraliste du docteur Labbé. Bien qu’il soit celui avec le plus grand sens moral, ses états d’âme n’en deviennent pas plus intéressants pour autant!
- le non-respect des contraintes. Encore une autre dyade d’auteurs qui contourne la consigne des sept personnages, en en laissant un, tout au long du récit, dans un état de stase végétative complète. Ce personnage mystérieux, aux capacités mentales hors du commun, n’aura finalement aucun rôle à jouer, au bout du compte, tant les choses tournent mal pour les six autres! Mais le principe de cette collection n’était-il pas, justement, de présenter sept histoires mettant en scène sept personnages en mission? C’est de la triche que d’en laisser de côté!! Mais rappelons qu’ils n’ont pas été les seuls à détourner cette consigne : presque tous les créateurs engagés pour cette collection s’y sont adonnés, certains avec beaucoup moins de chic, d’ailleurs! (voir Sept guerrières)
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